L’Union Africaine et la CEDEAO ont suspendu le Mali après le deuxième coup d’Etat en moins d’un an mais, au Sahel, le plan ne se déroule pas comme prévu par un impérialisme français en perte de vitesse dans la région.
Ce premier juin l’Union Africaine (UA) a décidé de suspendre symboliquement le Mali jusqu’à ce qu’un gouvernement civil soit rétabli. Cette décision de l’organisation panafricaine fait suite à celle de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) qui avait pris une initiative similaire dimanche dernier. Ces organisations multinationales africaines tentent de faire pression sur les militaires qui ont mené un second coup d’Etat après celui d’il y a neuf mois. Il s’agit aussi de faire pression sur le général Assimi Goïta qui a pris la tête de l’Etat et est devenu à ses 38 ans l’homme fort du pays.
En effet, le 24 mai dernier, à la suite d’un remaniement ministériel mettant à l’écart deux militaires-ministres proches de ceux qui avaient mené le coup d’Etat en août 2020, le président malien et son premier ministre ont été arrêtés par l’armée. Moins de 48h après la Cour Constitutionnelle déclarait Goïta président et chef du processus de transition.
La France a très rapidement réagit et condamné le coup d’Etat. Le président français Emmanuel Macron a même déclaré dans une interview au JDD qu’il pourrait retirer ses troupes du pays si les « islamistes extrémistes » arrivaient au pouvoir au Mali. Une déclaration qui a plutôt l’air d’un exercice de posture à des fins politiques aussi bien extérieures qu’internes (une partie de plus en plus importante de la population française est hostile à l’intervention de l’armée au Sahel). Cependant, une menace que la France aurait du mal à mettre en pratique étant donnés non seulement les enjeux militaires et géopolitiques d’une telle décision mais même des questions logistiques. C’est une menace qui reste en outre assez floue : s’agirait-il de mettre fin à l’ensemble de l’opération Barkhane ; de quels islamistes au pouvoir parle-t-on ; s’agit-il d’empêcher le gouvernement malien de négocier avec les organisations armées islamistes ?
La réalité c’est que ces menaces et déclarations de la part de Paris occultent mal la perte progressive d’influence de la France au Sahel et en Afrique en général. L’impérialisme français voit le Mali comme un des pays du cœur de son arrière-cour africaine composée de toute une série d’ex-colonies française et au-delà. Au Mali c’était essentiellement l’Etat français qui faisait et défaisait les gouvernements, pacifiquement ou par la force. Bien que les militaires qui ont mené le coup d’Etat en août 2020 et la semaine dernière ait dit et juré vouloir respecter les accords et le partenariat avec l’armée française, ces coups d’Etat semblent être le fait de militaires ayant agit indépendamment de la volonté de l’impérialisme français.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les menaces françaises. C’est dans ce cadre aussi que s’inscrivent les décisions de la CEDEAO et de l’UA. Cependant, les mesures prises par ces organisations sont restées assez symboliques, au grand dam de Paris. Comme l’explique le journal burkinabé L’Observateur, « Assimi Goïta a sans doute profité des divisions au sein de la CEDEAO dans la mesure où les chefs d’Etat n’étaient pas sur la même longueur d’onde au sujet de la réponse à apporter à ce second coup d’Etat en l’espace de 9 mois. A côté des intransigeants, qui préconisaient une ligne dure comme la première fois, il y avait les modérés ou, si vous voulez, les réalistes, partisans de l’accompagnement pour ne pas ajouter du chaos au chaos. Quitte à passer outre les pressions et les menaces comminatoires de Jupiter [Macron] qui, le jour même du sommet, menaçait dans une interview accordée au Journal du dimanche de laisser le Mali et ses voisins se débrouiller avec la pieuvre terroriste ».
Mais même si ces prises de position de la part de ces organisations panafricaines sont très partielles et symboliques en fin de comptes, elles contribuent à leur discrédit ainsi qu’à celui de l’impérialisme français. En effet, de plus en plus de voix s’élèvent en Afrique, notamment parmi la jeunesse, contre le double discours français et des organisations fantoches à ses services. Tout le monde a encore en tête Emmanuel Macron en train d’adouber le fils du dictateur Idriss Déby après la mort de celui-ci. En ce sens, dans un autre article de L’Observateur, on remarque qu’après la suspension de la constitution tchadienne facilitant l’usurpation du pouvoir par Mahamat Déby Itno, « des instances régionales et sous-régionales ont fait profil bas, encouragées en cela par le soutien de la France aux nouveaux maîtres de la patrie de Tombalbaye ». En ce même sens, mais en élargissant un peu le panorama, va la critique de Leslie Varenne : « Emmanuel Macron a eu tort de s’aventurer sur le terrain de la « légitimité démocratique », c’est une pente abrupte et glissante. En Afrique francophone qui peut s’en targuer ? Les chefs d’Etat qui ont été réélus grâce à des troisièmes mandats anticonstitutionnels et/ou des scrutins non-crédibles ? Dans ces conditions, faut-il demander aux 750 hommes des Forces françaises de Côte d’Ivoire (FFCI) de partir ? Sans oublier évidemment le très récent cas d’école tchadien où le fils a remplacé illico le défunt père lors d’une passation de pouvoir anticonstitutionnelle. Une succession familiale pourtant entérinée par l’Union africaine et la France. Les anciennes autorités maliennes de transition ne pouvaient pas non plus se prévaloir d’une quelconque légitimité démocratique : Bah Ndaw et Moctar Ouane avaient été choisis par le groupe d’officiers auteurs du putsch de 2020. Avant de se retrouver à la tête de l’Etat, le premier était un colonel à la retraite et le second travaillait pour des institutions internationales. Aucun des deux n’avaient donc d’activité politique qui leur aurait permis de s’appuyer sur une once de légitimité, qu’elle soit démocratique ou populaire ».
Tout cela montre que l’impérialisme français n’a que faire de la « démocratie » en Afrique, ce qu’il cherche en réalité ce sont des régimes qui garantissent ses intérêts militaires, économiques et géopolitiques dans le continent. C’est cela qu’une partie de la population africaine est en train de voir de plus en plus clairement, sans que cela se traduise mécaniquement en une conscience anti-impérialiste et révolutionnaire, en tout cas pour le moment. Ce n’est pas un hasard que le gouvernement français tente de « clore » certains dossiers sur son passé colonial et de complicité avec les pires crimes sur le sol africain comme le génocide rwandais et la guerre d’Algérie. En reconnaissant partiellement certaines « erreurs » de la France, les autorités françaises tentent de mettre fin aux débats sur les crimes passés de la France et sur son actualité néocoloniale et impérialiste. Mais parallèlement ce même gouvernement français mène une offensive réactionnaire contre les études postcoloniales dans les universités françaises. Le fameux « en même temps » macroniste.
Et dans ce monde du « en même temps », bien que la CEDEAO et l’UA ne soient pas allées aussi loin que la France et ses alliés les plus dévoués auraient voulu, leur attitude sert aussi les intérêts de la France. Encore selon Leslie Varenne, « le Conseil de sécurité et la Cedeao ont rendu un grand service à la France. Car comment l’armée française aurait-elle pu continuer à combattre aux côtés des militaires maliens si Paris avait réussi à imposer des sanctions ciblées contre la hiérarchie de ces mêmes soldats ? La question vaut aussi pour l’EUTM, la mission de formation de l’Union européenne. Comment condamner une armée que vous êtes en train de former ? L’interrogation est toute aussi brûlante et pertinente pour la Minusma qui travaille également avec les armées française et malienne et dont une de ses missions consiste à « soutenir le gouvernement malien ». Par ailleurs, comment menacer de quitter le Mali illico et presto alors que la ministre de la Défense, Florence Parly, a passé trois ans à convaincre avec ténacité tous ses homologues européens de rejoindre le Sahel dans l’opération Takuba ? ».
Ainsi, l’affaiblissement de la France en Afrique en ce moment est une grande inquiétude pour Paris car le continent fait l’objet d’énormes convoitises. En effet, l’Afrique est vu comme un pays représentant d’énormes opportunités économiques dans un futur pas si éloigné. Il existe ainsi une dispute pour se « pré-positionner » dans le continent avant ce « décollage promis ». L’impérialisme français est ainsi concurrencé non seulement par la Chine et la Russie (les « démons » de l’Occident) mais aussi par des puissances impérialistes telles que les Etats-Unis mais aussi l’Espagne ; à ce groupe il faudrait ajouter des puissances régionales telles que la Turquie.
Cette concurrence laisse une marge de manœuvre plus importante pour différentes factions des classes dominantes des pays tels que le Mali qui pourraient chercher à s’appuyer sur les différents concurrents pour obtenir des faveurs de l’un ou de l’autre. En ce sens, les putschistes maliens peuvent représenter un obstacle relatif pour les plans français aujourd’hui mais ils ne sont nullement des alliés des travailleurs et des classes populaires maliennes et de la région.
Pour notre part, en France, nous considérons que le mouvement ouvrier français doit exiger le retrait de l’ensemble des militaires français d’Afrique, y compris ceux en « mission de formation ». La présence de l’armée française en Afrique ne peut servir qu’à redoubler l’oppression sur les pays africains et à augmenter la souffrance des populations locales déjà aux prises avec des dictateurs nationaux et organisations armées islamistes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire