Nous avons interviewé le photojournaliste palestinien Mohammed Zaanoun basé à Gaza qui revient sur la situation dans la Bande au cours des bombardements israéliens et sur les conditions de vie à Gaza.
Philippe Alcoy et Lili Krib
Nous publions ci-dessous l’interview du photojournaliste palestinien Mohammed Zaanoun réalisée le 20 mai dernier par Lili Krib et Philippe Alcoy, quelques heures avant le cessez-le-feu à Gaza.
RP : pouvez-vous nous dire comment est la situation à Gaza ?
À Gaza, il n’y a pas d’Internet. C’est très difficile de contacter qui que ce soit dans le monde, ça prend beaucoup de temps. Juste quelques minutes et c’est coupé.
Vous connaissez la situation à Gaza, les chaînes de télévision, tout parle de Gaza en ce moment. Je suis un photojournaliste, je vais tous les jours prendre des photos de toutes les destructions, tous les bombardements à Gaza. Là, pendant qu’on discute, j’entends les bombardements des avions israéliens depuis ma maison.
C’est vraiment horrible à écouter, il y a beaucoup de bombardements, 200 bombardements en ce moment. Beaucoup d’enfants ont été tués. Je suis allé dans un des bâtiments détruits, écouter trois enfants coincés sous les décombres. Je suis resté dans ce bâtiment pendant des heures. Le temps que l’ambulance arrive, tous les enfants sont morts. Tout va très mal à Gaza, maintenant toutes les rues sont détruites ou en cours de destruction, il n’y pas d’eau, pas d’électricité, pas d’internet, c’est très dur maintenant.
Je suis allé dans une des écoles où toutes les familles du Nord de Gaza viennent, pour sauver leur vie. Je travaille sur l’histoire sur l’une des femmes qui a mis son bébé dans cette école, [après l’y avoir mis au monde]. Je voudrais que de nombreuses personnes, du monde entier, viennent à Gaza pour voir, vraiment. Là, maintenant, j’ai besoin de soutien psychologique, j’ai besoin de [ce] soutien parce que je ne peux plus imaginer que je vais continuer à voir davantage de gens tués.
Tous les enfants [à Gaza] sont traumatisés. Nous avons besoin d’un programme d’ampleur pour leur apporter un soutien psycho-social. J’ai trois enfants, deux filles et un garçon. Tous les jours, ils me demandent : « Où est ce bombardement ? », et ils ont très très peur d’entendre ça.
RP : Vous êtes journaliste, que pouvez-vous nous dire à propos de la couverture médiatique dans le monde par rapport aux bombardements à Gaza ?
Je pense à tous les médias qui ont du pouvoir dans le monde, tandis que nous n’en avons pas et qu’ils nous affaiblissent plus encore. Les médias soutiennent Israël, ils soutiennent [toute sa politique]. Mais nous, en Palestine, nous envoyons maintenant aux gens du monde entier ce qui se passe en Palestine. Les gens du monde entier voient nos images par Snapchat, WhatsApp etc. Je pense que plus d’un million de personnes voient mes stories sur Snapchat. Nous avons envoyé, [partagé] nos photos et vidéos pour que les gens dans le monde entier les voient. Aujourd’hui, mon ami a pris des photos d’une voiture détruite par les tirs d’un avion d’Israël. Cette voiture appartenait aux chaînes de télévision. Deux personnes ont été tuées, deux amis tués.
Il n’y a pas d’Israéliens à Gaza. Mais les Israéliens ont fermé toutes les frontières de Gaza, et [tout accès à] la mer, avec le port égyptien au sud de Gaza. C’est la seule frontière que nous avons pour pouvoir voyager dans n’importe quel pays du monde.
Je pense que tous les médias du monde ont une ligne éditoriale qui exclue les Palestiniens. Ils soutiennent Israël, ils soutiennent le meurtre de femmes et d’enfants, ils soutiennent la destruction de tous les bâtiments de Gaza. Mais nous savons que tous les gens, les gens libres du monde entier, soutiennent les Palestiniens. J’ai été blessé en 2006, j’ai été blessé par Israël. Ceci [montre son visage] vient d’Israël. Mais quand je suis retourné à Gaza, après les soins médicaux, je suis retourné travailler, prendre des photos et des vidéos. Je voulais que les gens du monde entier voient les Palestiniens avec moi. Mais je suis à la recherche d’aide humanitaire, c’est ce que je recherche le plus.
RP : Israël contrôle la partie essentielle des services publics à Gaza, pouvez-vous nous raconter comment c’est de vivre dans la Bande ?
Aujourd’hui, nous avons des générateurs. [L’électricité que j’utilise en ce moment même provient de] générateurs. Ça nous permet de gagner une ou deux heures d’électricité. Et tout cela en bénissant Dieu. Nous n’avons pas d’eau, pas de bonne eau, [tout est] détruit. Tout est détruit. Il y a une société palestinienne d’électricité à Gaza, mais le pétrole, le solaire et le benzène sont contrôlés par Israël, parce qu’il contrôle toutes les frontières de Gaza [et donc tout le territoire gazaoui]. Mais je pense que le contrôle israélien de la frontière égyptienne doit être soumis à celui de l’Égypte parce qu’elle est fermée, mais parfois elle s’ouvre.
Je pense que tout le monde, toutes les familles qui vivent à Gaza, veulent partir dans n’importe quel pays pour avoir un nouveau passeport, parce que [la situation actuelle ne respecte pas] les Palestiniens, qui n’ont ainsi aucun statut dans le monde. Mon frère Ezz, c’est un photographe [qui travaille à travers le monde], il a quitté Gaza pour la Hollande. Il veut obtenir un nouveau passeport, pour pouvoir entrer dans n’importe quel pays du monde. Et beaucoup d’amis ont quitté Gaza, comme mon frère. Je pense à chaque fois à voyager avec ma famille. Parce que nous sommes vraiment à la recherche d’une vie meilleure. Mon frère m’appelle tous les jours, il me dit « Je vais venir à Gaza, je vais venir travailler ». Mais je lui dis : « S’il te plaît, ne viens pas à Gaza ». J’ai six frères et six sœurs, toute ma famille est journaliste. Aujourd’hui je pensais à voir mon père. Cela fait 10 jours que je ne l’ai pas vu, à cause [de] la guerre. Mon père m’a appelé [en disant] : « S’il te plaît Mohammed, tu peux venir, pour que je puisse te voir, tu me manques ». J’y pense souvent, [mais je dois] travailler. Mais quand je travaillerai avec ma voiture, j’irai chez mon père pour le voir. Vraiment, nous oublions tout… Nous oublions tous les détails.
Je voulais vous raconter quelque chose. Le jour où Israël a bombardé Gaza, c’était mon anniversaire. À minuit, mon ami m’a dit : « Sors de chez toi, les Israéliens veulent tirer des roquettes sur le bâtiment à côté de chez toi ». Je suis sorti de chez moi avec ma famille pour aller ailleurs, n’importe où ailleurs. Actuellement, je ne suis pas chez moi, je suis chez mon oncle. Ce n’est pas ma maison. Et toute ma famille est installée à un autre endroit, hors de notre maison. À cause de tous les bombardements à côté de notre maison. C’est très dur d’entendre ça [les bombardements]. C’est horrible. Mais tous les jours, je vais [sur le terrain] prendre des photos. Le matin, je vais au travail mais pour prendre des photos « humanitaires » pour les gens de Gaza, des lieux, de tout à Gaza. Vraiment… vraiment, je suis triste pour ça, de voir tous les gens et tous les bâtiments détruits.
Tout le monde veut arrêter la guerre, arrêter les bombardements. Nous voulons sauver nos vies. Vraiment, c’est très dur de penser à quoi que ce soit sans soutien pour arrêter la guerre.
RP : Israël a détruit la tour où plusieurs médias comme Aljazeera ou Associated Press avaient des bureaux, pensez-vous qu’Israël vise les journalistes particulièrement ?
C’est vrai, c’est vrai. À chaque fois, à chaque guerre, les Israéliens ont ciblé tous les médias, tous les journalistes, tous les photographes, tous les caméramans. Je suis l’un des nombreux dans ce cas. À Gaza, j’ai été blessé par Israël. J’ai beaucoup de médicaments à [prendre], toutes les [parties] de mon corps ont été blessées par Israël. Jusqu’à présent, les Israéliens ont tiré sur des journalistes. Al Jazeera, n’importe qui, tous les bâtiments [des médias à] l’international.
RP : Pouvez-vous nous expliquer comment Israël vous a blessé ?
C’est arrivé lorsque je travaillais en 2006. Les Israéliens, alors que je prenais des photos de leurs avions, m’ont tiré dessus depuis leurs avions, ils m’ont lancé des roquettes, des missiles ont touché mon corps et mon visage, et ma caméra a explosé. Je ne sens plus ce côté de mon visage [montrant une moitié de son visage]. Et j’ai beaucoup, beaucoup, beaucoup d’endroits de mon corps [qui sont blessés], ils ont tiré ici [montrant sa poitrine et ses mains].
Les Israéliens m’ont tiré dessus une autre fois quand j’étais sur les territoires [palestiniens], ils m’ont tiré dessus pour me tuer. Toutes les blessures de mon corps viennent d’Israël. J’ai besoin de beaucoup d’opérations au visage et pour mon corps. Mais celles-ci [ne peuvent être faites] que hors de Gaza. Mais personne du corps médical international soutenant les journalistes ne m’a appelé [pour me venir en aide]. Parce que toutes les opérations nécessitent de l’argent [et je ne peux pas les payer].
J’ai envoyé à toutes les associations de journalistes des emails. Ils me répètent « Nous sommes désolés mais nous ne pouvons pas vous aider ». Je n’ai pas d’argent pour faire les opérations parce qu’elles sont très couteuses. L’aide aux journalistes existe partout dans le monde, permettant à tous les journalistes, aux freelancers de faire des opérations [dont ils ont besoin lorsqu’ils sont blessés]. Mais en Palestine cela a été arrêté, je ne sais pas pourquoi les Palestiniens, pourquoi Gaza. La première fois que j’ai été blessé, j’avais 18 ans. Maintenant, j’ai 35 ans. Je souffre toujours de ces blessures.
RP : Justement, c’est comment d’être jeune à Gaza, de quoi rêve la jeunesse gazaouie ?
Maintenant, tous les rêves [des gazaouis] se sont arrêtés à cause de la guerre. Tout le monde a un rêve. Mais maintenant, personne ne pense à ses rêves. Nous pensons juste à arrêter la guerre. Jusqu’à ce que cela arrive, je n’aurai pas de rêve.
RP : Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Je dirai, depuis Gaza à tous les peuples du monde : merci de soutenir les Palestiniens, en particulier à Gaza. De tous les gens de Gaza, des Palestiniens : continuez à soutenir les Palestiniens. Continuez à sauver des vies. Continuez à savoir [ce qui se passe], et s’il vous plaît, dites à tous les gens dans le monde que nous avons besoin de soutien, et à tout moment. Pas seulement pendant la guerre. À chaque instant, les Palestiniens ont besoin de soutien. Merci à tous ceux qui soutiennent les Palestiniens et merci de le montrer à l’internationale sur les réseaux sociaux. C’est vraiment important pour chaque famille en Palestine et à Gaza, nous avons besoin de soutien.
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