La Russie étend de plus en plus son influence dans le pré-carré africain traditionnel de l’impérialisme français. Une bonne nouvelle pour les peuples africains ?
Lundi 7 juin Paris annonçait qu’elle « gelait » l’aide budgétaire française (autour de 10 millions d’euros) et « suspendait » sa coopération militaire avec la République Centrafricaine. La raison ? Les autorités centrafricaines seraient « complices » d’une campagne antifrançaise menée principalement par la Russie dans le pays. Cette annonce s’ajoute au retrait fin avril des 5 coopérants militaires dans le pays. La France maintient cependant son aide humanitaire qui bénéficie directement la population ainsi que sa participation dans des missions militaires encadrées par l’Union européenne et l’ONU en Centrafrique.
Cette décision de la France suit celle allant dans le même sens prise la semaine dernière à l’encontre du Mali. En effet, vendredi dernier Paris annonçait la suspension des opérations militaires communes avec l’armée malienne afin de signifier l’opposition de la France au coup d’Etat du 24 mai dernier.
Le dénominateur commun entre les évènements au Mali et en Centrafrique c’est l’alarme de l’impérialisme français face aux avancées de la Russie dans son pré-carré postcolonial traditionnel en Afrique. En effet, en 2017 la Russie a débarqué en Centrafrique pour aider le gouvernement centrafricain à faire face à une rébellion armée dirigée par l’ancien président François Bozizé. C’est la diplomatie française elle-même qui a suggéré aux autorités à Bangui de faire appel à la Russie. Mais la Russie a peu à peu commencé à développer différentes politiques pour écarter la France, notamment à travers des campagnes sur les réseaux sociaux afin d’alimenter l’hostilité des populations locales contre la France et sa tradition colonialiste dans le continent. L’armée française a tenté de répondre à cette campagne russe en employant à son tour ses propres « trolls » pro-français. Une tentative aux résultats pitoyables qui a été découverte et démantelée par Facebook.
Au Mali, il y a de plus en plus d’affirmations indiquant que les militaires putschistes seraient proches de la Russie. En effet, l’un des deux militaires éjectés du gouvernement de transition (ce qui a été l’élément déclencheur du coup d’Etat du 24 mai), le colonel Sadio Camara, a été formé en Russie et était dans ce pays lors du premier coup d’Etat d’août 2020. Certains analystes affirment également que ces militaires étaient sur le point de passer un contrat militaire avec Moscou.
Mais le Mali et la Centrafrique ce ne sont pas des cas isolés en Afrique concernant la poussée de l’influence russe. Depuis 2014, 19 pays africains ont passé des accords militaires avec la Russie ; en 2019 le président russe, Vladimir Poutine, a organisé un sommet africain auquel presque tous les Etats du continent ont participé ; la Russie cherche également à établir une base militaire dans le continent, sans mentionner qu’elle est arrivée à un accord avec le Soudan pour l’établissement d’une base naval sur les côtes de la Mer Rouge. A tout cela il nous faut ajouter que la Russie est devenue en 20 ans le principal exportateur d’armes vers l’Afrique : 49% du total selon le Stockholm International Peace Research Institute, loin devant la France, les Etats Unis et la Chine.
Moscou a tiré profit de la tradition de la diplomatie soviétique pour rétablir ses liens économiques, militaires et géopolitiques avec les Etats africains. Bien que la Russie tente d’ouvrir des accès à l’exploitation de matières premières en Afrique, son principal intérêt reste l’exportation d’armements vers le continent. Il s’agit d’une industrie fondamentale pour une économie russe très dépendante de l’exportation de gaz et pétrole.
De ce point de vue la Russie n’entend pas substituer la France sur tous les domaines en Afrique. La France possède avec ses ex-colonies des relations militaires mais aussi commerciales et économiques que la Russie n’est pas en mesure de remplacer. Cependant, le continent africain fait de plus en plus l’objet d’une concurrence accrue entre puissances mondiales et régionales dont la Chine est l’une des principales. En ce sens, le recul de l’influence de la France dans certains Etats africains stratégiques sur le terrain militaire et politique pourrait ouvrir la porte pour que d’autres puissances tentent de la déplacer et gagner de nouveaux marchés.
Il faut ajouter à cela le fait que la politique de l’impérialisme français en Afrique est de plus en plus contestée par les populations locales, les travailleurs et la jeunesse. Dans ce contexte la Chine et la Russie (mais aussi d’autres puissances comme la Turquie) apparaissent comme des « alternatives » sur le plan économique, militaire et politique. C’est en ce sens qu’il faut comprendre les campagnes hypocrites de la Russie contre l’impérialisme français sur les réseaux sociaux.
Cependant, il ne faudrait pas exagérer l’importance de ces campagnes russes (mais pas que) sur les réseaux sociaux. La politique de l’impérialisme français en Afrique reste le principal moteur de la contestation de la Françafrique parmi les populations locales. Le fait que des factions des classes dominantes africaines se tournent vers la Russie et la Chine contribue également à augmenter leur popularité dans les pays africains. « Nous connaissons les réalités des relations d’État à État, les intérêts priment. Toutefois, avec la Russie ce sera un partenariat gagnant-gagnant (…) Nous ne voulons plus de partenaire demi-dieu qui, même en cas de bavure, ne rend point de compte », déclarait un membre d’une plateforme prorusse au Mali.
Mais cela veut-il dire que les peuples africains seraient dans une meilleure situation si la Russie venait substituer l’impérialisme français ? Aucunement. La Russie de Poutine ne porte aucun projet d’émancipation pour la classe ouvrière, pour la jeunesse et les classes populaires africaines. Au contraire, Poutine défend les intérêts géopolitiques, militaires et économiques du capitalisme russe. En ce sens, Moscou ne se gêne pas à défendre des régimes réactionnaires qui lui garantissent la protection de ses intérêts ; c’est d’ailleurs cette politique « pragmatique » qui pousse des dictateurs africains à chercher le soutien de Poutine ou de la Chine. Mais l’impérialisme français et les autres puissances impérialistes appliquent exactement la même logique, comme on a pu le voir dans le cas du Tchad où Emmanuel Macron a adoubé Mahamat Déby, le fils du dictateur tchadien Idriss Déby après sa mort.
Alors que le continent africain devient de plus en plus un objet de dispute entre plusieurs puissances mondiales et régionales, plus que jamais l’avenir des exploités et opprimés d’Afrique repose sur leur propre action et organisation en totale indépendance des puissances impérialistes et de leurs alliés locaux mais aussi des différents Etats et régimes capitalistes qui se présentent faussement comme des « amis » des peuples africains.
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