14.6.21

Annulation des ferrys entre l’Espagne et le Maroc sur fond de tensions entre les deux États

 

Un nouvel épisode des tensions entre Madrid et Rabat. La décision du Maroc touche des millions de Marocains voulant rentrer dans leur pays pour les vacances d’été. Le roi a dû reculer partiellement suite aux plaintes.

Philippe Alcoy

Le 6 juin dernier le royaume du Maroc annonçait que cette année comme l’année dernière, en raison des conditions sanitaires, il n’y aurait pas de ferry faisant la traversée entre les côtes andalouses en Espagne et le Maroc. De cette façon, les touristes et surtout les marocains habitant en Europe qui voudraient se rendre dans leur pays pour visiter leur famille devront emprunter les ferrys partant des ports de Marseille, de Sète ou de Gênes en Italie.

Cette décision n’est pas anodine. Elle rallonge considérablement le trajet pour beaucoup de voyageurs : la traversée depuis Algésiras en Espagne jusqu’à Tanger au Maroc est d’à peine plus d’une heure alors que depuis Marseille elle est de 40 heures. Pour beaucoup de Marocains résidant en Espagne (principale communauté étrangère dans le pays), devoir aller jusqu’en France pour se rendre au Maroc est juste irrationnel. A cela il faut ajouter des coûts exorbitants : des billets 40% plus chers, sans compter les dépenses à bord des ferrys au cours des longs trajets.

Face à cette situation le roi Mohammed VI en personne a demandé aux compagnies aériennes, notamment la Royal Air Maroc, de mettre à disposition des Marocains d’Europe des billets à bas prix. Le roi répond effectivement à la pression populaire que sa décision avait déclenchée. Cependant, même si cette mesure peut faciliter le déplacement de certains, pour beaucoup elle n’est pas suffisante étant donné que cette population a pour habitude de voyager en voiture pour éviter de devoir en louer une sur place.

Rappelons qu’en 2019, la dernière année où la traversée a été ouverte, 3,3 millions de voyageurs et environ 800 000 voitures ont traversé l’Espagne pour se rendre au Maroc. Cela représente des revenus très importants pour les entreprises de la région d’Andalousie et des milliers d’emplois, notamment précaires et saisonniers (hôtellerie, restauration, animation, tourisme, transports, etc.). Rien qu’en termes de fonctionnaires, l’activité économique qui découle du passage des voyageurs à destination du Maroc mobilise 21 000 agents. Autrement dit, la décision du royaume du Maroc affecte des millions de personnes, notamment des travailleurs et travailleuses marocains mais aussi espagnols.

Et c’est une décision réactionnaire et antipopulaire qui n’a rien à voir avec la situation sanitaire (la pandémie dans les deux pays reste stable). Elle découle des différends et des actuelles tentions entre l’Espagne et le Maroc. En effet, le Maroc dénonce l’Espagne de complicité avec le Front Polisario qui se bat pour l’indépendance du Sahara Occidental, territoire dont le Maroc revendique la souveraineté et entend annexer. Le leader de ce mouvement, Brahim Ghali, a été soigné de Covid-19 sur le sol espagnol à la demande de l’Algérie (partenaire énergétique central de l’Espagne et soutien du Front Polisario), ce qui a irrité le Maroc. Ce pays a délibérément laissé passer des milliers de migrants vers l’enclave coloniale espagnole de Ceuta en termes de représailles. Le gouvernement espagnol a ensuite tenté de traduire Ghali devant la justice pour donner quelques gages au Maroc, mais finalement le leader du Front Polisario a été exfiltré par l’Algérie.

L’annulation des ferrys entre l’Espagne et le Maroc se produit dans ce contexte. Hier c’étaient les migrants, aujourd’hui ce sont les familles marocaines issues notamment des classes populaires voulant se rendre au Maroc : le royaume de Mohammed VI joue effectivement avec le sort de millions de personnes pour obtenir des garanties de la part de l’Espagne impérialiste quant à ses propres objectifs réactionnaires au Sahara Occidental et dans la région. L’Espagne et les autres puissances se servent elles aussi du sort de millions de personnes pour faire pression sur le Maroc. Le gouvernement algérien de son côté n’a rien à faire du sort du peuple du Sahara Occidental, il poursuit ses propres objectifs dans la région et dans sa concurrence avec le Maroc en tant que principal allié des impérialistes au Maghreb. Il s’agit en fin de comptes de marchandages géopolitiques indécents. Voilà la réalité de ces gouvernements réactionnaires.

RP

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