26.5.21

Mali. Un « putsch dans le putsch » complique la stratégie de l’impérialisme français au Sahel


Ce lundi le président du gouvernement transitoire Bah Ndaw et Moctar Ouane, son premier ministre, ont été arrêtés par la junte et enfermés au camp militaire de Kati près de Bamako.

Philippe Alcoy et Youri Merad

Bah Ndaw venait de procéder à un remaniement de son gouvernement. Il a notamment remplacé deux figures des militaires ayant mené le coup d’Etat d’août 2020 dans les ministères de la sécurité et de la défense pour les concéder à deux généraux de l’armée plus “neutres” et plus proches de l’actuel président. Ces deux avaient par ailleurs été arrêtés par la junte lors du putsch du mois d’août. Putsch militaire qui avait été mené pour destituer l’ex-président Idriss Boubacar Keïta dit « IBK », un dirigeant corrompu à la solde totale des gouvernements occidentaux et grand allié de la France.

En même temps que le retour d’anciens hommes politiques corrompus de l’ancien gouvernement d’IBK, Ndaw a également fait entrer au gouvernement des représentants de l’opposition, comme garantie d’un soi-disant retour démocratique, réclamé par les puissances impérialistes pour apaiser la crise politique et la contestation sociale qui traverse le pays depuis des années.

Le régime de Keïta avait fait l’objet d’une contestation très large de la population avant le coup, notamment au travers de nombreuses grèves et manifestations fortement réprimées. Sa destitution par la junte militaire avait alimenté des illusions d’une partie de la population quant à la fin de la corruption. Or, le nouveau gouvernement de « transition », sous la tutelle des militaires et soutenu par les puissances impérialistes (notamment la France), s’est révélé aussi corrompu que le gouvernement précédent. En outre, les militaires putschistes avaient déclaré ouvertement leur intention de continuer à se subordonner à l’impérialisme français dans la lutte contre les organisations islamistes.

Ce remaniement menaçait la position des militaires putschistes dans des ministères clés. C’est pour cela qu’Assimi Goïta, vice-président du gouvernement de transition et figure emblématique du coup d’État militaire d’août, a annoncé l’arrestation des membres du gouvernement. Dans un communiqué diffusé mardi à la télévision, le colonel putschiste a déclaré : « suite à une crise de plusieurs mois au plan national prenant en compte des grèves et manifestations diverses des acteurs sociaux et politiques, le gouvernement dirigé par Monsieur Moctar OUANE, s’est montré incapable de constituer un interlocuteur fiable, susceptible de mobiliser la confiance des partenaires sociaux ». Il a ensuite annoncé les avoir démis de leur fonction en attendant les élections prévues en 2022.

Grève générale suspendue et une opposition indécise

Quelques heures avant l’arrestation du président et de son premier ministre, l’UNTM (Union nationale des travailleurs de Mali) avait décidé de prolonger la grève générale face à l’échec des négociations avec le gouvernement. Appelée principalement à l’initiative des fonctionnaires, d’employés de banques et administratifs, c’est cette grève générale notamment qui avait amené le premier ministre Moctar Ouane à démissionner d’abord, puis à proposer le remaniement ministériel appliqué lundi.

Avec des revendications démocratiques mais surtout économiques qui font suite à la crise, largement aggravée par la pandémie de Covid-19, « la grève [était] largement suivie par les banques, le Trésor, la douane et les impôts », avait déclaré à l’AFP Ousmane Traoré, un responsable de l’UNTM. Selon lui, « dans toutes les régions du Mali et à Bamako, l’administration [était] paralysée ». Cependant, suite au coup d’Etat le syndicat a décidé de « suspendre » le mouvement de grève par « manque d’interlocuteurs ». Ainsi, le secrétaire général de l’UNTM, Yacouba Katilé a déclaré : « à la date d’aujourd’hui, nous n‘avons aucun interlocuteur. Compte tenu de cette situation, nous avons décidé de ne pas pénaliser davantage nos militants et la population de manière générale. Et dès qu’un nouveau pouvoir sera mis en place, nous reviendrons à la charge. Nous ne voyons pas en termes de personnes mais en termes d’autorités en face pour discuter ». Une décision qu’au contraire des déclarations va simplifier la tâche des putschistes, leur offrant du temps d’assoir leur pouvoir ou de négocier un nouveau gouvernement préservant leurs positions dans l’appareil d’Etat.

Quant à l’opposition incarnée par le front M5RFP (Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques), elle a été invitée à participer d’un éventuel nouveau gouvernement. Pour le moment le mouvement n’a pas accepté mais sa participation n’est pas à exclure étant donné sa popularité auprès d’une partie importante de la population. Les militaires verraient dans leur participation au gouvernement un gage de « légitimité ». Le M5RFP semble plutôt divisé face à ce « putsch dans le putsch ». Il faut rappeler que le M5RFP avait déjà refusé de participer au gouvernement de transition suite au remaniement de Ndaw.

Un nouveau casse-tête pour la stratégie française au Sahel

Macron s’est empressé de dénoncer le coup d’État militaire et a notamment menacé les putschistes de sanctions internationales.

Pour Macron et l’Etat français, les inquiétudes n’ont rien à voir avec la « démocratie » malienne et encore moins avec les violations des droits humains que subi la population malienne et les travailleurs du pays. Ce qui inquiète la France c’est que l’instabilité du régime malien mette en danger les opérations militaires qu’elle mène dans le pays et la région depuis des années, voire des décennies. En effet, quelques mois après la tenue du G5 Sahel, l’enjeu pour le gouvernement français, dans son pré-carré africain est de maintenir son influence économique, militaire et géopolitique dans la région face à une concurrence de plus en plus accrue contre d’autres puissances impérialistes ou régionales telles que les Etats-Unis, la Chine, la Russie mais aussi la Turquie.

Bien que la junte militaire ne s’oppose pas à l’intervention impérialiste, et garantissait même au moment du premier coup d’État que la « totalité des accords passés » avec les armées occidentales seraient respectés, le gouvernement français a tout intérêt à avoir des politiciens et/ou des militaires malléables à la tête de l’Etat malien. Or, la junte actuelle démontre encore une fois qu’elle n’hésite pas à agir poursuivant ses propres intérêts, même si cela va partiellement à l’encontre des intérêts immédiats de l’impérialisme français.

Dans la crise actuelle ce sont deux ennemis des travailleurs et du peuple malien qui s’affrontent. D’un côté la junte militaire qui met toute sa force répressive en place pour préserver ses privilèges économiques et politiques, et de l’autre des politiciens (mais aussi des militaires) mis en place par les puissances impérialistes pour assurer leurs intérêts et ceux des multinationales qui pillent et exploitent la population.

C’est pour cela que la classe ouvrière, la jeunesse et les classes populaires n’ont rien à attendre de ces factions bourgeoises qui toutes deux poursuivent des objectifs réactionnaires. Pour notre part nous revendiquons le retrait immédiat des troupes impérialistes françaises et de ses alliés du Mali et du Sahel.

RP

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