L’imposition d’une nouvelle loi de sécurité à
Hong Kong confirme que l’absorption de la cité-Etat au sein de la Chine
continentale soulève des enjeux internes et externes. Mais cette
manœuvre de Pékin révèle-t-elle sa force ou ses faiblesses dans un
environnement international de plus en plus hostile ?
Philippe Alcoy
Il y a une semaine, le gouvernement chinois révélait les contours
plus précis de la nouvelle loi de sécurité qu’il a imposée à Hong Kong.
Cette manœuvre du pouvoir central chinois lui permet d’avancer vers un
contrôle plus serré de l’ancienne colonie britannique rétrocédée à la
Chine en 1997, sous d’importantes conditions. Elle est vue comme une
menace pour les libertés démocratiques beaucoup plus larges dont
bénéficie la population hongkongaise par rapport à celle de la Chine
continentale. C’est pour cela que le 1er juillet dernier des
manifestations ont été organisées pour protester contre le renforcement
de l’emprise de Pékin.
En effet, parmi les détails que l’on a pu découvrir sur la nouvelle
loi de sécurité nous apprenons que le délit de « sécessionnisme » (dont
la définition reste très large) pourra désormais être puni de
l’emprisonnement à vie ; ceux qui seraient complices ou qui joueraient
des rôles clés dans ces activités risquent entre trois et dix ans
d’emprisonnement. Les tentatives de renversement du système chinois ou
du gouvernement hongkongais seront punies avec le même type de peines.
La définition « d’actes terroristes » incluse dans la loi est tellement
large qu’elle pourrait englober le simple blocage de la circulation ou
« la mise en danger de la santé publique », ce qui aujourd’hui, au
milieu de la pandémie de Covid-19, pourrait comprendre tout simplement
le fait de négliger les gestes barrière. Cette loi s’attaque également à
ce que les autorités considèrent l’ingérence étrangère, ce qui permet
de s’attaquer à des institutions, des médias et des individus étrangers
opérant à Hong Kong, et même s’ils se trouvent en dehors de Hong Kong et
de la Chine. A tout cela il faut ajouter les dispositifs que l’on
connaissait déjà, comme la possibilité que le pouvoir chinois déploie à
Hong Kong ses forces de sécurité, et qu’il puisse transférer aux
tribunaux de Chine continentale des cas concernant des individus de Hong
Kong.
Tout cela fait craindre effectivement à la population hongkongaise,
notamment la jeunesse, que le régime chinois mette fin progressivement à
certaines de leurs libertés démocratiques comme celles de réunion,
d’association, de manifestation, de presse, entre autres. De leur côté
les puissances impérialistes occidentales profitent de cette situation
pour déployer toute leur hypocrisie et se gargariser de déclamations sur
« la démocratie », avec pour seul objectif de faire pression sur la
Chine pour atteindre leur propres objectifs économiques et
géopolitiques.
Pourquoi Pékin décide-t-il de passer à l’offensive maintenant ?
Effectivement, on peut se demander pourquoi le régime chinois a
décidé de passer à l’offensive maintenant. En effet, depuis que Hong
Kong a été rétrocédé à la Chine par le Royaume-Uni, Pékin tente de
renforcer son contrôle du territoire autonome. Mais à chaque fois les
autorités chinoises se sont heurtées à la résistance de la population
locale. Cependant, les conditions ont changé, au niveau aussi bien local
qu’international.
Depuis un an Hong Kong est traversé par des mobilisations très
hostiles au pouvoir central chinois, justement face à la tentative de
Pékin d’avancer vers un contrôle plus serré de la ville autonome. Mais
il y a des facteurs externes et internes qui se sont développés ces
derniers mois et qui ont poussé le gouvernement de Xi Jinping à franchir
ce pas. Parmi les éléments internes, nous devons mentionner
l’inquiétude des dirigeants chinois face à une accentuation du
mécontentement social suite aux conséquences économiques de la crise du
Covid-19, ses conséquences en matière d’emploi et d’appauvrissement
d’une partie considérable de l’énorme classe ouvrière et des secteurs
populaires.
C’est en ce sens qu’en avril dernier
le Parti Communiste Chinois a mis en place une « task force » afin de
défendre la « sécurité politique » du pays et « résoudre les conflits
liés au Coronavirus ». Le contrôle du mécontentement de la classe
ouvrière est une question centrale pour la stabilité politique du
régime.
Mais pourquoi s’attaquer à Hong Kong alors ? En effet, un mouvement
d’insatisfaction sociale en Chine continentale pourrait se trouver
renforcé par un mouvement social de contestation contre le régime du
Parti communiste chinois (PCC) qui dure depuis un an. En ce sens, mettre
fin au mouvement mais plus largement réussir à avoir un contrôle
structurel plus serré de Hong Kong est devenu un enjeu de plus ne plus
stratégique pour le maintien de la stabilité politique et sociale sur
l’ensemble du territoire chinois. Et ce contrôle serré sera bien
évidemment accompagné d’une limitation des libertés démocratiques à Hong
Kong.
Il ne s’est pas agi d’une décision facile à prendre pour Pékin. Car
Hong Kong et la Chine continentale ont tiré profit de la politique
d’« un pays, deux systèmes » instaurée en 1997. Alors que ce
fonctionnement permettait à Hong Kong, notamment à ses élites et classes
dominantes, de rester intégré aux circuits internationaux de commerce,
des finances mais aussi politiques, tout en préservant des avantages en
termes de droits par rapport au reste de la population chinoise, pour
Pékin Hong Kong apparaissait comme une « vitrine » qui lui permettait
d’inspirer confiance au reste du monde, et notamment aux investisseurs.
Comme on peut le lire dans un article récent de Geopolitical Futures sur le sujet : « La
Chine, bien sûr, aurait pu le faire il y a quelques années [accentuer
son contrôle sur Hong Kong]. La principale raison pour laquelle cela n’a
pas été fait, c’est qu’elle bénéficie énormément de la réputation de
Hong Kong en tant que centre financier stable et basé sur l’état de
droit - une réputation acquise grâce à l’autonomie et aux libertés
politiques de la ville. La loi de sécurité nationale compromettra sans
aucun doute la position et la capacité de Hong Kong à répondre aux
besoins financiers de la Chine continentale, posant d’énormes dangers
pour l’économie chinoise déjà chancelante. Mais Pékin parie fortement
sur sa capacité à atténuer les risques et à ne pas franchir la ligne qui
sépare l’élimination des menaces politiques de la ville et la
destruction de tout le système ».
Un monde de plus en plus hostile à la poussée chinoise
Mais les contradictions et dangers internes ne suffissent pas à
expliquer l’attitude de Pékin envers Hong Kong (mais aussi envers
Taïwan). Comme nous le disions plus haut, il y a des facteurs externes
qui exercent une pression sur le gouvernement chinois et qui le poussent
à exercer un contrôle plus fort sur ses « territoires périphériques »,
qui risqueraient de devenir un point d’appui pour des puissances
étrangères concurrentes.
En effet, la pandémie de Coronavirus a accentué des tendances déjà à
l’œuvre au niveau international. L’économie capitaliste est en train
d’entrer dans une phase de crise que les mesures mises en place pour
combattre la propagation du nouveau virus n’ont fait qu’accélérer. Cette
crise sanitaire et économique a dévoilé le niveau de dépendance de
certaines productions vis-à-vis de la Chine. Autrement dit, elle a
dévoilé le monopole de la Chine sur certaines chaînes de production
mondiales. Ceci est en train de pousser plusieurs puissances
impérialistes, dont la France, à se poser la question d’une
relocalisation de certaines productions pour réduire leur « dépendance »
à l’égard de Pékin.
L’attitude des Etats Unis à l’égard de la Chine mérite une mention
particulière. En effet, bien avant le déclenchement de la pandémie le
gouvernement de Trump s’est engagé dans un bras de fer commercial avec
la Chine. L’objectif de Washington est de forcer la Chine à ouvrir
davantage son marché de consommation aux multinationales
nord-américaines, ce qui pourrait représenter un danger pour l’économie
nationale chinoise. Et pour arriver à ses fins Washington utilise tous
les moyens à sa disposition, dont un soutien hypocrite au mouvement à
Hong Kong.
Mais Trump n’est pas le seul. Comme indiqué précédemment, toutes les
puissances impérialistes et leurs alliés tentent de faire pression sur
la Chine en créant un climat international nettement hostile à Pékin. Le
Japon et l’Australie, qui sont des partenaires-concurrents directs de
la Chine dans la région, sont parmi les plus agressifs aux côtés des
Etats-Unis. Mais les pays européens se montrent eux aussi de plus en
plus hostiles. Ainsi, Jean-Yves Le Drian, le ministre des affaires
étrangères français, a déclaré cette semaine que la France envisageait
de prendre « des mesures que je serai amené à diffuser le moment venu ».
Hong Kong devient ainsi un instrument de la pression internationale
contre la Chine. Bien évidemment les puissances impérialistes n’ont que
faire des « libertés démocratiques » ; on trouve parmi leurs alliés les
régimes les plus arbitraires, comme les pétromonarchies du Golfe. Les
capitalistes occidentaux ont profité (et profitent encore) du régime
dictatorial chinois qui étouffe toute tentative d’organisation et de
contestation ouvrière. Sans ce régime répressif, ils auraient
difficilement pu faire des profits pharamineux en surexploitant les
travailleurs et travailleuses chinois. Ces puissances cherchent en
réalité à limiter la montée de la Chine et essayent en même temps de
résoudre leurs contradictions économiques sur le dos des capitalistes
chinois et en espérant gagner de parts du marché interne chinois.
Contre Pékin, contre les impérialistes et leurs alliés
On peut dire que l’offensive du gouvernement Xi sur Hong Kong répond à
ces pressions internes et externes sur la Chine. Mais en même temps le
pouvoir chinois peut mener cette offensive car il se sent suffisamment
en confiance pour maîtriser la situation, parce qu’il pense qu’il peut
sacrifier partiellement la place financière et commerciale
internationale de Hong Kong en compensant avec l’activité d’autres
centres importantes comme Shanghai.
Les impérialistes utilisent cette situation de façon démagogique. Ils
revendiquent l’accord sino-britannique signé en 1984, et qui
définissait certaines conditions pour la rétrocession de Hong Kong à la
Chine. Bien que cet accord garantisse des libertés démocratiques à la
population hongkongaise que les Chinois du « continent » n’ont pas, il
faut pointer certaines vérités occultées par les gouvernants et les
médias occidentaux. Tout d’abord, la politique du « un pays, deux
systèmes » est dans une large mesure fallacieuse. En effet, la Chine et
Hong Kong n’ont pas « deux systèmes » ; dans les deux territoires le
capitalisme est bien le seul système qui existe (même si le capitalisme
chinois a beaucoup de caractéristiques propres et particulières). Comme
nous l’avons déjà dit cependant, le régime politique dont bénéficie Hong
Kong possède infiniment plus de libertés démocratiques que la Chine
continentale ; l’avancée du contrôle de Pékin sur Hong Kong représente
un recul des droits démocratiques, et les Hongkongais ont raison de se
battre contre cette offensive réactionnaire.
Cependant, ce n’est pas de la main des puissances impérialistes que
les Hongkongais pourront obtenir la préservation de leurs libertés
démocratiques. Et là on arrive à une autre vérité bien occultée ces
derniers temps : le traité sino-britannique est de l’esprit colonialiste
de l’impérialisme britannique ; il est présenté aujourd’hui comme une
« garantie de liberté » alors que l’on évite de poser la question du
colonialisme britannique à Hong Kong, on se tait sur les atrocités
impérialistes commises en Chine par les Britanniques, mais aussi par
d’autres puissances mondiales. Non, ce ne sont pas les traités rédigés
par les puissances colonialistes qui garantissent la liberté des
peuples. Au contraire. Ce traité par exemple stipule que le système
capitaliste ne pourra pas être renversé à Hong Kong pendant 50 ans à
compter de 1997. La Chine n’est pas un pays socialiste et elle n’entend
nullement instaurer le socialisme à Hong Kong. Cette clause est
totalement réactionnaire.
Bien que les militant communistes révolutionnaires défendent la lutte
contre l’offensive antidémocratiques des différents gouvernements
capitalistes (et pas seulement celui de la Chine), nous devons aussi
poser les questions des inégalités sociales, de la misère, de
l’exploitation et des oppressions. En ce sens, tout en soutenant
pleinement le mouvement de résistance à Hong Kong, nous dénonçons
l’hypocrisie des gouvernements impérialistes, et rejetons les tentatives
de récupération des capitalistes concurrents de la Chine qui ne
cherchent qu’à atteindre leurs propres fins. Les vrais alliés du
mouvement à Hong Kong sont les centaines de millions d’ouvriers et de
paysans pauvres de Chine continentale ; ce sont tous les travailleurs et
travailleuses précaires de Hong Kong même. La lutte pour les droits
démocratiques et contre la mainmise de Pékin pose la question du système
capitaliste, et de l’oppression impérialiste. Transformer le cauchemar
du gouvernement central (mais aussi celui des impérialistes) en réalité
requiert l’unité des travailleurs et des travailleuses de la Chine
continentale avec ceux et celles de Hong Kong.
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