Désespérés
par le manque de main-d’œuvre, les agro-industriels Allemands et
Britanniques jouent avec les nécessités de milliers de saisonniers
roumains d’Europe de l’Est mettant en danger leurs vies.
Un aéroport bondé. Voilà une scène incroyable en ces temps de
pandémie de Covid-19. La raison ? Un corridor aérien ouvert entre la
Roumanie et l’Allemagne pour permettre à des ouvriers et ouvrières
saisonniers d’aller travailler dans les campagnes allemandes pour la
période de récolte qui commence dans les prochains jours. Alors qu’en
Roumanie même le gouvernement a imposé dès la fin mars un confinement
très strict et que l’Allemagne avait fermé ses frontières, voilà que les
impératifs économiques permettent de déroger aux précautions
sanitaires. Et ceux qui risquent le plus ce sont effectivement ces
ouvriers et ouvrières qui face au besoin économique n’ont d’autres choix
que de prendre ces risques.
Fini les temps où des journaux
remplissaient leurs pages pendant l’été en parlant de la « délinquance
roumaine ». Maintenant les grands groupes de l’agro-industrie
ouest-européenne s’arrachent les travailleurs roumains… et les Bulgares,
et les Polonais, et les Moldaves, et les Ukrainiens, et même les
Russes.
Oui, les campagnes ouest-européennes sont durement frappées par les
mesures de confinement et de fermeture de frontières prises par les
différents gouvernements. Les ouvriers et ouvrières saisonniers venus
d’Europe de l’Est et d’Afrique du Nord, qui d’habitude travaillent dans
les récoltes, ne peuvent pas se rendre dans les différents pays d’Europe
de l’ouest.
En effet, l’Allemagne nécessite 300 000 travailleurs saisonniers
chaque année pour mener à bien ses récoltes ; la France 200 000 ; la
Grande Bretagne 90 000 ; en Italie ce seraient 370 000 travailleurs
nécessaires. L’essentiel de ce travail est réalisé par des ouvriers
saisonniers venus de l’étranger. C’est pour cela que le gouvernement
allemand a négocié directement avec le gouvernement roumain pour
permettre que des milliers de travailleurs ruraux de ce pays se rendent
en Allemagne pour la saison de récoltes. Ainsi, depuis le 2 avril, 13
vols ont eu lieu entre les deux pays amenant 18 740 travailleurs vers
les campagnes allemandes. Ces deux derniers jours il y a eu cinq vols.
Et la Grande-Bretagne a rapidement émulé le gouvernement allemand. Ainsi
jeudi dernier un premier vol amenait 150 ouvriers et ouvrières
roumains.
Cette situation a provoqué une rupture désorganisée des mesures
sanitaires de sécurité, mettant en danger la vie de milliers de
travailleurs. Des images ont circulé dans les réseaux sociaux montrant
l’aéroport de Cluj en Roumanie où entre 1500 et 2000 personnes
s’entassaient pour prendre un vol vers l’Allemagne. Dans un très bon
article paru dans The Guardian, Costi Rogozanu et Daniela Gabor décrivent la scène ainsi : « Il
s’ensuivit une ruée épique de milliers de travailleurs pour embarquer
sur des vols à bas prix spécialement affrétés pour l’immense pont
aérien. Beaucoup avaient reçu leurs contrats sur des applications,
d’autres ont été embauchés par des intermédiaires habilités, mais tous
se sont retrouvés entassés dans les mêmes bus de nuit pour se rendre à
l’aéroport. Les images qui ont suivi ont été choquantes : un pays en
quarantaine stricte a vu des milliers de personnes sortir des bus bondés
pour se rendre dans un petit aéroport régional afin d’embarquer dans
les avions. Étant donné que de nombreux travailleurs venaient de
Suceava, le hotspot roumain de Covid-19, nous ne pouvons qu’espérer que
cela n’aura pas été l’un des événements de super-contamination les plus
importants de l’Europe ».
Même si certains petits producteurs embauchent aussi de la
main-d’œuvre étrangère pour travailler dans leurs champs, ce sont
principalement les grands groupes de l’agro-industrie qui ont besoin
désespérément de ces ouvriers. Et leur soif de profit les amène à les
mettre en danger. En effet, d’habitude les travailleurs saisonniers
venus d’Europe de l’Est et du nord de l’Afrique subissent d’horribles
conditions de travail (dans certains pays, on dénonce même certaines
pratiques proches de l’esclavage), de très longues journées de travail,
des salaires misérables et ils sont logés dans des habitations non
adaptées. Dans ces conditions, peut-on attendre que ces patrons se
préoccupent des conditions sanitaires des ouvriers et ouvrières
saisonniers ?
Les conditions de travail sont à telles point terribles qu’en
Grande-Bretagne une campagne de recrutement lancée fin mars a été un
échec cuisant : plus de 36 000 personnes avaient répondu à l’appel mais
seulement 16% ont participé à un entretien d’embauche en ligne et si 900
personnes se sont vus offert un poste ces dix derniers jours, seulement
112 l’ont accepté. Ces chiffres montrent à quel point les conditions de
travail sont inacceptables. Les ouvrières et ouvriers saisonniers
étrangers ne les acceptent que parce que dans leurs propres pays les
conditions de travail et les salaires sont encore plus dégradés. Ces
patrons tirent profit aussi de la misère de milliers de personnes dans
le continent.
En ce même sens, l’Allemagne tente de profiter de la précarité d’une
partie de la population pour compenser une partie de la main-d’œuvre
manquante. Ainsi, la ministre de l’agriculture, Julia Kloecker, a
déclaré qu’elle espérait embaucher 20 000 ouvriers dans les prochains
deux mois parmi les chômeurs, les étudiants et les demandeurs d’asile.
En France des agriculteurs commencent à demander de suivre l’exemple
Allemand et Britannique et d’aller chercher des ouvriers agricoles
saisonniers en Roumanie et dans d’autres pays de la région.
Cette pandémie est en train de révéler de plus en plus clairement les
mécanismes néfastes du capitalisme, ses inégalités, l’exploitation la
plus crue. Elle révèle aussi le caractère impérialiste et réactionnaire
de l’Union Européenne qui, parmi ses objectifs, cherchait à intégrer les
pays de la périphérie européenne à l’Est pour mieux exploiter leur
main-d’œuvre, au prix le plus bas possible et aux moindres coûts
sociaux. Cette pandémie nous aide aussi à voir clairement le « jeu » des
politiciens xénophobes (qu’ils soient d’extrême droite comme ceux de
« l’extrême-centre ») dont le commerce politique est fait de préjugés
racistes contre les travailleurs étrangers, ce qui sert en même temps à
maintenir ces travailleurs dans une position subordonnée. Il y a une
alliance évidente entre ces politiciens et ces politiques xénophobes et
nationalistes, entre le fonctionnement de l’UE en tant qu’instrument
pour redoubler la domination sur les pays de la périphérie européenne,
et le grand patronat qui tire profit de cette combinaison pour maximiser
ses profits.
Les travailleurs et travailleuses saisonniers sont des « travailleurs
essentiels », non seulement maintenant mais tout le temps. Ils doivent
jouir de conditions de travail dignes, de protection sociale, de
salaires qui correspondent à l’importance de leurs taches. C’est
inacceptable que les patrons occidentaux profitent de la pauvreté des
ouvriers à l’Est du continent, les poussant à risquer leur vie.
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