Le
régime iranien a reconnu avoir abattu l’avion de ligne ukrainien « par
erreur » et a relancé la contestation interne. Un régime à la défensive
mais qui ne semble pas sur le point de tomber.
Après avoir nié toute implication de l’Iran dans le crash de
l’avion de ligne ukrainien à Téhéran le même jour où l’Iran attaquait
des bases militaires irakiennes abritant des soldats nord-américains,
les autorités iraniennes ont finalement reconnu avoir abattu « par
erreur » l’avion de ligne. Près de 180 personnes étaient à bord de
l’avion. Des vidéos publiées plus tard montrent que l’avion a été
atteint par deux missiles avant de s’écraser. Un crime qui est le
résultat direct de la passe d’armes entre les Etats-Unis et l’Iran. Pour
le régime iranien cet événement efface pratiquement tous les gains
qu’il avait obtenu en se présentant comme une victime des attaques de
l’impérialisme étatsunien mais limite aussi l’effet d’unité nationale
retrouvé après l’assassinat par Washington du général Qassem Soleimani.
En effet, les images de millions de personnes défilant dans les rues
de différentes villes iraniennes rendant hommage au général Soleimani
contrastaient avec les images des manifestations massives contre le
régime et violemment réprimées depuis novembre. Même si l’effet du deuil
national pour Soleimani n’allait pas suffire pour résoudre les
contradictions économiques, sociales et politiques structurelles du
pays, le régime avait trouvé un moyen de gagner du temps. L’abattage
d’un avion de ligne a jeté à la poubelle une grande partie de cet effet.
Le jour même des manifestations contre les mensonges du régime ont eu
lieu, notamment à Téhéran.
Il faut cependant encore observer l’évolution de la dynamique de
mobilisation car les manifestations actuelles ne semblent avoir la même
composition de classe que celles qui ont secoué le pays il y a quelques
semaines. En effet, la contestation de cette semaine est impulsée
notamment par les étudiants et des secteurs des classes moyennes alors
qu’en novembre le mouvement contre la hausse du prix des carburants
était mené majoritairement par les secteurs ouvriers et populaires.
Trump tente de récupérer la contestation
De son côté l’impérialisme nord-américain tente tirer profit de la
contestation iranienne. Ainsi, Donald Trump a posté un message de
soutien aux manifestants iraniens en farsi, la langue du pays. Il y a
écrit : « au peuple iranien courageux et qui souffre depuis
longtemps : je suis avec vous depuis le début de ma Présidence, et mon
Administration sera toujours avec vous. Nous regardons de près vos
manifestations et sommes inspirés par votre courage ». Le secrétaire d’Etat nord-américain, Mike Pompeo, a lui aussi envoyé des messages de « soutien » aux manifestants.
Il s’agit d’une manœuvre grossière de l’impérialisme étatsunien pour
faire passer les manifestations contre le régime des ayatollahs pour des
expressions de soutien à la politique néfaste de Washington dans la
région et notamment vis-à-vis de l’Iran. En effet, au-delà du caractère
réactionnaire, corrompu et antipopulaire du régime iranien, la politique
de sanctions du gouvernement de Trump contre l’Iran touche
principalement les classes populaires du pays. Autrement dit, il s’agit
d’une politique impérialiste réactionnaire qui vise à affamer les
travailleurs et les masses et ainsi à provoquer des mobilisations contre
le régime le forçant à négocier sous des conditions défavorables.
Ainsi, le gouvernement de Trump est aussi responsable des misères que
subissent les classes populaires en Iran.
Mais la contestation du régime iranien est loin de se traduire
automatiquement en un soutien aux Etats-Unis. Comme on peut le lire dans
un communiqué des étudiants mobilisés de l’université polytechnique de Téhéran : ces
dernières années, la présence des États-Unis au Moyen-Orient n’a fait
que semer le chaos et le désordre. Nous savons depuis longtemps où nous
en sommes par rapport à ce pouvoir agressif. Néanmoins, nous comprenons
également que l’aventurisme américain dans la région ne peut pas être
une excuse pour justifier la répression intérieure. Si, de nos jours, la
‘sécurité nationale’ est dans toutes les bouches, le moment est venu de
nous demander ce qu’ils entendent par sécurité, pour quels groupes,
classes et couches sociales ? (…) Les politiques économiques des trois
dernières décennies, en collaboration avec la classe des rentiers, les
riches et les corrompus, ont créé un nombre énorme de démunis et de
parias. La situation est aggravée par le fait qu’une opposition
corrompue et totalement dépendante s’est développée en dehors de nos
frontières avec l’aide des médias et le soutien financier de puissances
extérieures. Oui, nous sommes aujourd’hui entourés du mal de tous côtés ».
Les raisons d’un mea culpa
Malgré le fait que les évidences allaient ressortir très rapidement
et malgré les premières déclarations des autorités iraniennes, le mea
culpa du régime reste un événement assez rare, notamment dans la
situation délicate dans laquelle se retrouve le pays. Selon Stratfor il y a des raisons politiques pour cette attitude du régime iranien : « la
pleine reconnaissance a fait tourner les têtes, mais il y avait une
raison au retournement de l’Iran : le pays n’a aucune envie de devenir
un paria international, mais préférerait trouver un moyen de s’engager
avec le reste du monde, de limiter l’impact des sanctions américaines et
négocier avec l’Occident ».
En effet, la réponse militaire iranienne à l’assassinat de Soleimani a
elle-même été très limitée par rapport aux discours sur une « vengeance
terrible » prononcés par les autorités du pays et dans les
manifestations. Téhéran, mais aussi Washington, ne souhaitaient pas une
escalade militaire. Pour les Etats-Unis l’assassinat de Soleimani
relevait plus d’une « aventure » sans un objectif stratégique clair
autre qu’approfondir la politique de « pression maximale » sur l’Iran.
Du côté de l’Iran, une réponse militaire à la hauteur de l’offensive
nord-américaine n’était pas possible à moins de risquer une guerre aux
conséquences imprévisibles, sans parler des implication pour la
situation économique du pays. C’est pour cette raison que la réponse
privilégiée a été politique : repousser les forces américaines de la
région.
C’est en ce sens qu’il faut comprendre le vote au parlement irakien
d’une motion exigeant le départ des troupes nord-américaines. A travers
cette politique l’Iran entend faire pression sur les Etats-Unis dans une
éventuelle nouvelle négociation en affirmant que l’impérialisme a
besoin de la coopération de Téhéran pour pouvoir continuer à avoir une
présence dans la région avec le moins d’hostilité possible. Cependant,
après ce crime avoué contre l’avion ukrainien et la contestation en Iran
mais aussi en Irak, ce plan du régime des ayatollahs pourrait subir un
revers.
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