Entre
luttes intestines de différents secteurs du régime et tentatives de
contrôler l’autoritarisme judiciaire, un coup dur pour le gouvernement
de Bolsonaro et ses alliés.
Jeudi soir les juges du Tribunal Suprême Fédéral (STF, la Cour
Suprême brésilienne) ont décidé, lors d’une votation serrée (5 voix
contre 6), déclarer inconstitutionnelles la jurisprudence qui permet
qu’un condamné soit emprisonné avant l’épuisement de l’ensemble de ses
recours si sa condamnation a été confirmée en appel. Cette décision
pourrait bénéficier à près de cinq mille personnes sur une population
carcérale de plus de 800 000 personnes au Brésil, dont une écrasante
majorité sont des pauvres, des Noirs, des habitants des favelas.
Cependant, selon les juges, les mises en liberté ne seront pas
automatiques mais soumises à l’examen des juges en charge des affaires.
Autrement dit, l’autoritarisme judiciaire continuera à jouir de tout son
pouvoir discrétionnaire.
Cependant, parmi ces condamnés emprisonnés se trouvait l’ex-président
Lula Da Silva qui grâce à cette décision du STF pouvait demander sa
liberté. C’est ce qui a été fait dès le lendemain par ses avocats et un
juge vient de décréter la mise en liberté immédiate de Lula Da Silva. Un
vrai revers pour l’opération anticorruption « Lava-Jato », dirigée par
l’ex juge Sergio Moro, actuel ministre de la Justice de Bolsonaro, et
très liée à l’impérialisme nord-américain. Cependant, cela ne veut pas
dire que les charges contre Lula sont retirées, seulement il attendra
les nouveaux recours en liberté.
L’opération « Lava-Jato » avait en effet joué un rôle central dans
l’emprisonnement arbitraire de Lula en avril 2018 et dans la
manipulation des élections de la même année qui ont vu Jair Bolsonaro
arriver au pouvoir. L’ex-juge devenu ministre Sergio Moro était le
principal référent de cette opération soi-disant « anticorruption ».
C’est lui d’ailleurs qui a décrété la prison pour Lula alors qu’il était
le favori pour remporter la présidentielle de 2018.
L’arbitraire et les manipulations de l’opération Lava-Jato ont été
dénoncés dès le début par certaines voix. Ces accusations ont été
confortées quand il y a quelques mois la presse révélait des messages
privés entre l’alors juge Moro et les procureurs où le juge aidait et
guidait clairement l’enquête pour condamner l’ex-président brésilien.
Autrement dit, contrairement à ce que la presse internationale affirme,
l’opération Lava-Jato n’a rien d’une lutte contre la corruption mais au
contraire il s’agit d’une vaste opération politique visant à
reconfigurer la scène politique brésilienne.
Même si l’intention première était de favoriser les partis de
centre-droit, pro-impérialistes et favorables aux intérêts du grand
capital, notamment nord-américain, la polarisation sociale et politique
du pays a provoqué plutôt l’effondrement des partis de la droite
traditionnelle et c’est finalement le candidat ultra néolibéral
d’extrême-droite, Bolsonaro, qui en est sorti gagnant. Celui-ci, sans
même pas commenter la décision du STF, a préféré apporter son soutien à
son ministre de la Justice en reconnaissant son aide précieuse pendant
la campagne : « si sa mission [l’opération Lava-Jato] n’avait pas été
bien accomplie, je ne serais pas ici, c’est donc en partie à Sergio
Moro que nous devons ce qui se passe actuellement dans la politique
brésilienne ». Un clair remerciement à Sergio Moro pour lui avoir
aplani le terrain vers la présidence du Brésil avec l’emprisonnement
arbitraire de Lula à seulement quelques mois de l’élection.
La décision du STF est un coup contre le gouvernement et l’opération
Lava-Jato. En effet, même si le STF, la Lava-Jato, Bolsonaro et les
partis du « grand centre » ainsi que la droite traditionnelle étaient
dans une alliance lors du coup d’Etat institutionnel en 2016, depuis
plusieurs mois se déroulent plusieurs luttes internes, entre fractions
des classes dominantes et des secteurs de pouvoir, y compris au sein du
gouvernement, y compris au sein du parti de Bolsonaro. Le STF et le
pouvoir judiciaire ont profité de l’affaiblissement du camp
« bolsonariste » de ces derniers mois suite à une série de scandales
pour lui asséner un coup important afin de le contrôler et le mettre sur
leur tutelle. Comme affirment nos camarades du Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs au Brésil : « Avec
cette décision consolidée, la Cour suprême, institution centrale du
coup d’Etat institutionnel et de l’arrestation arbitraire de Lula, se
renforce en tant qu’autorité tutélaire de Bolsonaro et ses exagérations
réactionnaires qui déstabilisent le régime et le subordonne davantage au
Congrès, tout en accordant un coup de grâce à Lava-Jato ». Comme on
peut voir, contrairement à ce qu’affirment certains (dont le PSOL,
parti à la gauche du PT), la décision du STF n’a rien d’une « victoire
de la démocratie ».
Du côté du Parti des Travailleurs (PT), parti de Lula, on présente
cette décision comme une victoire et on prétend légitimer la stratégie
légaliste et électoraliste dans le cadre du régime adoptée par le parti.
En ce sens, comme on peut lire dans le journal Poder360 : « la
direction du parti discute déjà de l’avenir du plus grand dirigeant du
PT. La libération de Lula pourrait contribuer à mettre fin à la
léthargie du parti. L’ancien président devrait à nouveau faire des
caravanes dans le pays et aider à rallier l’opposition au gouvernement
de Jair Bolsonaro ».
Un plan purement électoraliste qui fait écho à l’attitude passive
(voire complice) du parti, les syndicats et mouvements sociaux qu’il
dirige, à travers des bureaucraties, qui ces derniers mois ont tout fait
pour empêcher qu’une opposition puissante aux politiques du
gouvernement se mette en place dans les rues mais aussi dans les lieux
de travail, dans les universités et lycées. Car en effet la politique de
conciliation de classes du PT l’amène à jouer un rôle de contention et
de préservation d’un régime totalement corrompu et réactionnaire. C’est
en ce sens que le PT tente de canaliser le mécontentement populaire, qui
s’est exprimé par des centaines de milliers lors des manifestations
contre les coupes budgétaires dans l’université et la réforme des
retraites, vers une voie électorale et institutionnelle.
En ce sens, nous ne pouvons pas exclure qu’un secteur de la
bourgeoisie brésilienne ait décidé de mettre en liberté Lula, tout en
gardant une épée de Damoclès sur lui avec la menace de le renvoyer en
prison à tout moment, pour avoir une option de contention dans une
situation sociale éventuellement explosive. En effet, les mobilisations
qui ont secoué l’Equateur et qui sont en train d’ébranler le Chili,
ainsi que le camouflet électoral subi par Mauricio Macri en Argentine,
fait craindre aux classes dominantes brésiliennes qu’une situation
semblable puisse se produire aussi au Brésil. Dans ce cas-là, Lula
pourrait devenir une aide importante pour le régime.
Du côté de Bolsonaro, cette décision du STF représente évidemment un
revers important. Mais certains analystes pensent aussi que la
libération de Lula pourrait finalement bénéficier au gouvernement en lui
donnant un adversaire clair, ce qui est utile pour le bolsonarisme et
lui permettre de rejouer la polarisation de 2018 et souder une base de
droite réactionnaire contre « le danger rouge ».
Une politique en faveur des intérêts des travailleurs et des classes
populaires doit s’opposer fermement à l’arbitraire de l’opération
politique réactionnaire Lava-Jato mais aussi au non moins réactionnaire
pouvoir judiciaire. Il faut exiger la fin des poursuites arbitraires
contre Lula et de tous les procès montés. Cependant, cela n’implique
aucunement un soutien politique à Lula et au PT dont la politique au
pouvoir a consisté à protéger les intérêts des classes dominantes
brésiliennes et de l’impérialisme ; et dont les organisations syndicales
et sociales jouent aujourd’hui un rôle néfaste en bloquant toute
possibilité de lutte contre les politiques réactionnaires de Bolsonaro.
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