Alors
 qu’il se rendait au G20 à Osaka au Japon, la garde civile espagnole a 
découvert dans un avion officiel du président brésilien 39 kilos de 
cocaïne dissimulés dans la valise du sergent Rodrigues.
L’affaire déjà surnommée « Aerococa » éclabousse le président 
d’extrême droite qui a grandement fondé sa campagne présidentielle sur 
la lutte contre la délinquance et l’embellissement de l’image des forces
 armées, plus que jamais impliquées dans la politique du pays. Ainsi, ce
 mercredi 26 juin, Jair Bolsonaro a dû faire face à l’annonce de la 
retenue par la garde civile espagnole du sergent Rodrigues après que des
 officiers aient découvert dans l’avion de réserve du président 
brésilien 39 kilos de cocaïne dissimulée dans la valise du militaire.
Une affaire de drogue qui met à mal la guerre anti-pauvre du président
Le scandale de l’Aerococa tombe très mal pour le gouvernement 
réactionnaire qui a développé depuis les tous premiers mois de son 
mandat présidentiel une rhétorique anti-drogue censée légitimer aux yeux
 de la population une répression accrue des classes populaires 
brésiliennes et une politique internationale provocatrice à l’égard des 
Etats touchés par le narcotrafic. « Nous sommes en guerre » avait en 
effet déclaré le président brésilien avant de valider le projet 
d’aggravation des peines liées au trafic de drogue et d’encourager la 
police à user de leurs armes sur les « criminels de la drogue ».
Inspiré par son collègue le président philippin Duterte qui compte à 
son actif près de 13 000 morts dans les opérations contre les 
stupéfiants depuis 2016, Bolsonaro vise par la lutte armée contre la 
drogue à poursuivre une croisade contre les classes populaires 
brésiliennes dans les favelas. Le député de l’opposition Marcelo Freixo 
n’a pas tardé à pointer cette contradiction : « Cette affaire 
démontre l’erreur de poursuivre une guerre dans les favelas brésilienne 
qui criminalise les pauvres. Le trafic d’arme et de drogue implique des 
gens de pouvoir. Il est nécessaire de suivre l’argent et de poursuivre 
ceux au sommet ».
Davantage, les 39 kilos de cocaïne à peine dissimulés dans la valise 
du sergent fragilisent fortement la rhétorique pro-armée du président 
brésilien, lui-même ancien capitaine dans l’armée. Malgré les tentatives
 de laver l’honneur de ceux qui l’entourent, Jair Bolsonaro n’a pas su 
désamorcer la bombe qui n’a pas tardé à exploser sur les réseaux 
sociaux. Les opposants au pouvoir réactionnaire du président ont en 
effet utilisé les réseaux sociaux pour dénoncer la collusion entre 
pouvoir, armée et narcotrafic.
Enfin, à l’international, l’affaire Aerococa fait ironiquement écho 
au scandale vénézuélien où le président Maduro avait lui-même été 
épinglé en transportant de la drogue dans son avion officiel. Eduardo 
Bolsonaro, fils du président chargé des affaires étrangères au Congrès 
avait alors taclé le pouvoir vénézuélien de « dictature du trafic de drogue ».
La vraie nature de l’armée mise à nue
A la différence d’autres pays d’Amérique latine, les militaires 
brésiliens depuis la fin de la dictature ont joué un rôle politique par 
différents biais : députés, conseillers, gouverneurs et même ministres. 
Mais depuis la crise politique et la polarisation dans le pays avec la 
montée de Bolsonaro et du bonapartisme judiciaire, les militaires jouent
 un rôle de plus ne plus centrale dans le Brésil. L’un des axes centraux
 de la carrière politique de Bolsonaro a toujours été la défense des 
intérêts corporatistes de l’armée.
Ce scandale, qui a des proportions internationales, entache l’image 
de cette institution réactionnaire et dévoile en quelque sorte sa vraie 
nature. En effet, la possession et le trafic de drogue sont le deuxième 
type de crime le plus traité par les tribunaux militaires fédéraux. Il 
arrive derrière la « désertion » (absence dans le poste de plus de huit 
jours). Les cas des policiers militaires ne sont même pas comptabilisés 
car ils relèvent des tribunaux militaires mais au niveau des Etats.
Conscients de cela, aussi bien la presse dominante que le 
gouvernement et Bolsonaro lui-même, essayent de présenter cette affaire 
comme « un cas isolé », un « crime d’opportunité » profitant de son 
poste de travail, et qui n’a rien à voir avec toute l’institution 
militaire. En ce sens, Bolsonaro déclarait : « Les forces armées 
représentent un contingent de près de 300 000 hommes et femmes formés 
selon les principes les plus intègres de l’éthique et de la morale ». Il a en même temps promis que le sergent serait « jugé conformément à la loi ».
Conformément à la loi ? Justement, les militaires sont jugés selon un
 code pénal spécial qui n’est pas le même que celui des civils. Et la 
peine maximale pour les cas de trafic de drogue est de cinq ans, trois 
fois moins qu’un civil. Selon le criminologue Fabrício Campos, cité par O Estado de S. Paulo, « l’une
 des raisons qui expliquent cette différence c’est que normalement les 
modifications de la législation pénale se font habituellement sur les 
lois appliquées aux civils et le Code Pénal Militaire est resté 
pratiquement inchangé depuis 1969 et avec les mêmes peines prévues de 
cette époque ».
Comme on voit, alors que Bolsonaro (et les gouvernements précédents) 
étaient très « courageux » à l’heure de durcir les peines contre les 
pauvres, ils ont garanti l’impunité pour les crimes des militaires. Les 
mêmes qui assassinent dans les favelas, qui participent aux trafics 
divers.
Un scandale qui fragilise davantage Bolsonaro dans un climat de réforme déjà tendu
Ce scandale vient fragiliser un pouvoir brésilien déjà en passe à des
 difficultés. Le 9 juin dernier, la divulgation de messages de texte 
privés par le journal The Intercept ont remis en question l’impartialité
 du juge désormais ministre de la Justice Sergio Moro dans l’inculpation
 de l’ancien président Lula, dans le cadre de l’opération anticorruption
 « Lava Jato ». Alors que cette dernière avait permis d’évincer le 
candidat du Parti des Travailleurs (PT), favorisant ainsi l’élection de 
Jair Bolsonaro, ces messages de texte gênent grandement le gouvernement 
réactionnaire dont la popularité s’est en partie nourrie d’un discours 
anti-corruption.
Aussi, le gouvernement Bolsonaro est déchiré entre les différentes 
ailes qui le composent, avec notamment « l’aile militaire » qui s’oppose
 à « l’aile idéologique » proche du président. Il ne serait pas 
impensable que cette « découverte » soit le résultat de renseignements 
que la police espagnole aurait reçu de la part de personnes ayant eu 
l’information. Un autre risque c’est qu’à partir du sergent Rodrigues on
 puisse remonter une filière de trafic importante aux conséquences 
politiques imprédictibles.
Tout cela dans un contexte où les disputes n’ont pas seulement lieu 
par le haut, mais aussi par en bas avec des mobilisations de rue très 
importantes. Ainsi, le président a dû en effet affronter sa première 
grève générale le 14 juin en réaction à la réforme des retraites, tandis
 que le mouvement étudiant s’était déjà emparé massivement de la rue 
pour combattre les coupes budgétaires historiques dans l’enseignement 
supérieur. Entre un soutien réduit au Congrès (le président ne dispose 
que de 60 députés), une opposition qui se renforce, et une base sociale 
qui ne cesse de s’étioler suite aux scandales successifs et l’annonce 
des réformes, Jair Bolsonaro pourrait donc avoir à faire face à une 
crise d’ampleur tant dans les institutions que dans la rue.
 

 
 
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