La droite et le Medef peuvent-ils être des alliés des salariés menacés de perdre leur emploi ?
Autour de 10 000 personnes ont participé à la manifestation à
Belfort contre la suppression de 1050 emplois chez General Electric. Un
arc d’organisation plus que large du mouvement politique, syndical mais
aussi patronal (!) a pris part à la manifestation : des salariés, mais
aussi des Gilets jaunes, des syndicalistes et des représentants
syndicaux, associatifs, des habitants, des figures politiques. Dans le
carré de tête, des figures politiques comme Jean-Luc Mélenchon, mais
aussi furtivement Philippe Poutou ont pu partager la banderole de tete
avec le maire LR de Belfort, Damien Meslot, la présidente du conseil
régional, Marie-Guite Dufay du PS et même des représentants locaux du
Medef. D’autres figures comme Nathalie Arthaud pour Lutte Ouvrière ont
préféré intervenir, à juste titre, au sein du cortège très fourni ce
samedi.
A Belfort, General Electric emploie autour de 4 300 salariés, dans
une ville de près de 50 000 habitants. L’enjeu économique et politique
local est énorme et la crainte d’une fermeture à terme des activités du
site est dans tous les esprits. En plus, cette affaire est hautement
symbolique et pourrait devenir une « affaire nationale » étant donnée
l’implication directe du président de la république, Emmanuel Macron,
lors de la vente d’Alstom à GE quand il était ministre de Hollande en
2015. Dans un contexte de mécontentement populaire vis-à-vis des
conditions de vie, du faible pouvoir d’achat pour des millions de
salariés et de remise en cause des inégalités, ces éléments pourraient
encore alimenter le rejet massif du président et de son gouvernement et
devenir un obstacle supplémentaire pour la poursuite des réformes.
En effet, la lutte des salariés de GE contre la suppression des
postes peut devenir un emblème pour l’ensemble des salariés qui
subissent aujourd’hui des menaces de fermeture de sites mais aussi des
pressions au travail et un management agressif qui provoquent tant de
souffrances. En ce sens, nous pouvons nous interroger sur quelle
stratégie et quel programme les salariés pourraient mettre en place pour
gagner face à un géant mondial comme GE.
Défendre les intérêts des travailleurs ou ceux de la patrie ?
L’annonce de la suppression de plus de 1 000 emplois dans le site de
Belfort par la multinationale nord-américaine sert à plusieurs
représentants politiques et élus locaux pour abonder dans la « défense
des intérêts nationaux » face aux entreprises étrangères (comme si les
patrons français ne fermaient pas d’usines et ne licenciaient pas). On
parle d’un « fleuron de l’industrie française » dilapidé entre les mains
de capitaux étrangers ; pire encore : américains !
Ainsi, la droite gaulliste, qui veut se peindre en « sociale », et le
patronat, tentent de transformer la lutte des salariés de GE en une
lutte non pour leurs intérêts de classe mais en une lutte pour la
défense des « intérêts communs de la patrie », de « l’industrie
nationale ». Ainsi, il s’agit de faire croire qu’il y aurait des
intérêts communs entre les salariés (français ou non) et le patronat
national à travers un discours patriotique.
Regrettablement, des partis comme La France Insoumise participent à
alimenter cette fausse idée. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon déclarait samedi
lors de la manifestation en soutien aux salariés de GE : « Comme
beaucoup, je ressens comme une blessure (…) C’est davantage qu’une usine
dont il est question : il est question de science, de technique et de
patrie ».
Ce type de discours, en plus de répandre le chauvinisme parmi les
travailleurs et les classes populaires (ce qui prépare le terrain pour
que le RN récolte les fruits), dévie la contestation des salariés : au
lieu de se diriger contre le patronat, contre la classe qui les
exploite, elle se dirige contre le « patronat étranger », contre les
« multinationales étrangères ». Ainsi, les suppressions de postes ne
répondraient pas aux calculs pour augmenter les profits mais à la
négligence des intérêts de l’industrie française.
Or, les suppressions de postes chez GE répondent totalement à des
calculs de rentabilité et de choix stratégiques de la multinationale
nord-américaine. Mais ces calculs capitalistes sont exactement les mêmes
qui ont amenés le très français groupe Bouygues à céder ses parts chez
Alstom pour permettre ensuite de vendre la section énergie Alstom à GE ;
ce sont les mêmes calculs de rentabilité qui dans les entreprises
françaises font que chaque des salariés sont licenciés, des sites
fermés. Et c’est contre cette logique de la classe capitaliste qu’il
faut se battre.
Un « front républicain » pour sauver l’emploi ?
Mais une fois posée la question de la « défense de la patrie », toute
alliance est permise. Ainsi, toujours Mélenchon dans la manifestation
de samedi expliquait très content l’unité large allant des syndicats jusqu’au maire LR de Belfort, Damien Meslot : « alors
là il y a le syndicaliste Sud à côté de moi et de l’autre côté il y a
le maire LR. C’est un réac, mais il est avec nous, il se bat avec nous,
c’est bien ». Ensuite, Mélenchon conseille d’interviewer le maire LR
qui confirme, lui aussi très fièrement, la « large unité », très large
même : « toutes les tendances politiques sont représentées de
Jean-Luc Mélenchon jusqu’au Parti Socialiste, Les Républicains et on
arrive même à faire défiler le Medef aux côtés de la CGT… ».
Évidemment, que les salariés dans leurs luttes peuvent faire jouer
les contradictions entre les différentes fractions des classes
dominantes pour affaiblir leur ennemi plus immédiat. Mais de là à
confondre une fraction de ceux qui les exploitent comme un allié il y a
un pas. Ni le Medef ni les partis patronaux et autres réactionnaires
comme LR ou le PS ne sont alliés des travailleurs. Les enjeux politiques
et économiques locaux, combinés à l’approche des élections municipales
l’année prochaine, peuvent expliquer cet « engouement » de ces partis
réactionnaires pour la cause des salariés de GE. Mais il ne faut pas se
tromper.
Ce même maire LR, Damien Meslot, fervent partisan de Nicolas Sarkozy
(ni plus ni moins), en 2015 célébrait la vente d’Alstom. Dans un
communiqué cité par France 3 Régions (aujourd’hui dument supprimé) Meslot déclarait par rapport à cette vente : « Elle est, pour Belfort et son territoire, synonyme d’avenir et représente un tournant pour le secteur industriel belfortain ».
Encore, dans une vidéo de 2014, on peut le voir saluer l’intention
d’achat d’Alstom par GE et revendiquer une tribune signée dans les pages
des Echos aux côtés de 150 entreprises locales en faveur de cet achat.
Comme dans le cas de la privatisation d’ADP, le « front républicain »
avec les partis pro patronaux est, au mieux, une « illusion » et, au
pire, amène les travailleurs vers d’autres alternatives capitalistes qui
impliquent des sacrifices pour les salariés.
En ce sens, le fait que les salariés de GE aient expulsé les
représentants du RN de leur manifestation est une très bonne nouvelle.
Mais ce serait une erreur de reproduire sur le terrain de la lutte
sociale le « front républicain » électoral. Car si le RN est l’un des
pires ennemis de la classe ouvrière, nous pouvons dire autant de LR ou
le PS et encore pire du Medef.
L’unité des travailleurs pour imposer zéro licenciement chez GE
Si la mobilisation des salariés, des classes populaires, des voisins
et des petits commerçants des alentours contre la suppression d’emplois
chez GE exerce une pression sur les élus locaux, c’est bien. Cependant,
il n’est pas possible que ce soient ces partis pro-patronaux qui
prennent la tête de la mobilisation ou qui arrivent à exercer leur
influence néfaste sur la lutte.
L’unité des travailleurs et les classes populaires, à Belfort et
partout dans le pays, doit partir d’un programme qui exige « zéro
licenciement » à GE, contrairement à des plans soi-disant de
reconversion » qui finissent par laisser toujours des salariés sur le
carreau. Pour cela, face à ces discours nationalistes rances, il faut
défendre la nationalisation de l’ensemble du secteur de l’énergie sous
contrôle ouvrier. Ce serait la seule façon de planifier la production
énergétique en respectant l’emploi et l’environnement, à l’heure où
l’écologie est devenue le nouvel atout pour couvrir les politiques
antisociales patrons et gouvernements.
Un tel programme ne peut être défendu que par un mouvement solidement
unifié entre les différentes couches des travailleurs et des classes
populaires, organisé à la base et démocratiquement. Ce qui est
totalement incompatible avec une alliance avec des partis patronaux ou
avec des fractions du patronat.
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