24.6.19

General Electric. Belfort, quel « front uni » pour sauver les emplois ?


La droite et le Medef peuvent-ils être des alliés des salariés menacés de perdre leur emploi ?
Philippe Alcoy

Autour de 10 000 personnes ont participé à la manifestation à Belfort contre la suppression de 1050 emplois chez General Electric. Un arc d’organisation plus que large du mouvement politique, syndical mais aussi patronal (!) a pris part à la manifestation : des salariés, mais aussi des Gilets jaunes, des syndicalistes et des représentants syndicaux, associatifs, des habitants, des figures politiques. Dans le carré de tête, des figures politiques comme Jean-Luc Mélenchon, mais aussi furtivement Philippe Poutou ont pu partager la banderole de tete avec le maire LR de Belfort, Damien Meslot, la présidente du conseil régional, Marie-Guite Dufay du PS et même des représentants locaux du Medef. D’autres figures comme Nathalie Arthaud pour Lutte Ouvrière ont préféré intervenir, à juste titre, au sein du cortège très fourni ce samedi.

A Belfort, General Electric emploie autour de 4 300 salariés, dans une ville de près de 50 000 habitants. L’enjeu économique et politique local est énorme et la crainte d’une fermeture à terme des activités du site est dans tous les esprits. En plus, cette affaire est hautement symbolique et pourrait devenir une « affaire nationale » étant donnée l’implication directe du président de la république, Emmanuel Macron, lors de la vente d’Alstom à GE quand il était ministre de Hollande en 2015. Dans un contexte de mécontentement populaire vis-à-vis des conditions de vie, du faible pouvoir d’achat pour des millions de salariés et de remise en cause des inégalités, ces éléments pourraient encore alimenter le rejet massif du président et de son gouvernement et devenir un obstacle supplémentaire pour la poursuite des réformes.

En effet, la lutte des salariés de GE contre la suppression des postes peut devenir un emblème pour l’ensemble des salariés qui subissent aujourd’hui des menaces de fermeture de sites mais aussi des pressions au travail et un management agressif qui provoquent tant de souffrances. En ce sens, nous pouvons nous interroger sur quelle stratégie et quel programme les salariés pourraient mettre en place pour gagner face à un géant mondial comme GE.

Défendre les intérêts des travailleurs ou ceux de la patrie ?

 

L’annonce de la suppression de plus de 1 000 emplois dans le site de Belfort par la multinationale nord-américaine sert à plusieurs représentants politiques et élus locaux pour abonder dans la « défense des intérêts nationaux » face aux entreprises étrangères (comme si les patrons français ne fermaient pas d’usines et ne licenciaient pas). On parle d’un « fleuron de l’industrie française » dilapidé entre les mains de capitaux étrangers ; pire encore : américains !

Ainsi, la droite gaulliste, qui veut se peindre en « sociale », et le patronat, tentent de transformer la lutte des salariés de GE en une lutte non pour leurs intérêts de classe mais en une lutte pour la défense des « intérêts communs de la patrie », de « l’industrie nationale ». Ainsi, il s’agit de faire croire qu’il y aurait des intérêts communs entre les salariés (français ou non) et le patronat national à travers un discours patriotique.

Regrettablement, des partis comme La France Insoumise participent à alimenter cette fausse idée. Ainsi, Jean-Luc Mélenchon déclarait samedi lors de la manifestation en soutien aux salariés de GE : « Comme beaucoup, je ressens comme une blessure (…) C’est davantage qu’une usine dont il est question : il est question de science, de technique et de patrie ».

Ce type de discours, en plus de répandre le chauvinisme parmi les travailleurs et les classes populaires (ce qui prépare le terrain pour que le RN récolte les fruits), dévie la contestation des salariés : au lieu de se diriger contre le patronat, contre la classe qui les exploite, elle se dirige contre le « patronat étranger », contre les « multinationales étrangères ». Ainsi, les suppressions de postes ne répondraient pas aux calculs pour augmenter les profits mais à la négligence des intérêts de l’industrie française.

Or, les suppressions de postes chez GE répondent totalement à des calculs de rentabilité et de choix stratégiques de la multinationale nord-américaine. Mais ces calculs capitalistes sont exactement les mêmes qui ont amenés le très français groupe Bouygues à céder ses parts chez Alstom pour permettre ensuite de vendre la section énergie Alstom à GE ; ce sont les mêmes calculs de rentabilité qui dans les entreprises françaises font que chaque des salariés sont licenciés, des sites fermés. Et c’est contre cette logique de la classe capitaliste qu’il faut se battre.

Un « front républicain » pour sauver l’emploi ?

 

Mais une fois posée la question de la « défense de la patrie », toute alliance est permise. Ainsi, toujours Mélenchon dans la manifestation de samedi expliquait très content l’unité large allant des syndicats jusqu’au maire LR de Belfort, Damien Meslot : « alors là il y a le syndicaliste Sud à côté de moi et de l’autre côté il y a le maire LR. C’est un réac, mais il est avec nous, il se bat avec nous, c’est bien ». Ensuite, Mélenchon conseille d’interviewer le maire LR qui confirme, lui aussi très fièrement, la « large unité », très large même : « toutes les tendances politiques sont représentées de Jean-Luc Mélenchon jusqu’au Parti Socialiste, Les Républicains et on arrive même à faire défiler le Medef aux côtés de la CGT… ».

Évidemment, que les salariés dans leurs luttes peuvent faire jouer les contradictions entre les différentes fractions des classes dominantes pour affaiblir leur ennemi plus immédiat. Mais de là à confondre une fraction de ceux qui les exploitent comme un allié il y a un pas. Ni le Medef ni les partis patronaux et autres réactionnaires comme LR ou le PS ne sont alliés des travailleurs. Les enjeux politiques et économiques locaux, combinés à l’approche des élections municipales l’année prochaine, peuvent expliquer cet « engouement » de ces partis réactionnaires pour la cause des salariés de GE. Mais il ne faut pas se tromper.

Ce même maire LR, Damien Meslot, fervent partisan de Nicolas Sarkozy (ni plus ni moins), en 2015 célébrait la vente d’Alstom. Dans un communiqué cité par France 3 Régions (aujourd’hui dument supprimé) Meslot déclarait par rapport à cette vente : «  Elle est, pour Belfort et son territoire, synonyme d’avenir et représente un tournant pour le secteur industriel belfortain ». Encore, dans une vidéo de 2014, on peut le voir saluer l’intention d’achat d’Alstom par GE et revendiquer une tribune signée dans les pages des Echos aux côtés de 150 entreprises locales en faveur de cet achat.

Comme dans le cas de la privatisation d’ADP, le « front républicain » avec les partis pro patronaux est, au mieux, une « illusion » et, au pire, amène les travailleurs vers d’autres alternatives capitalistes qui impliquent des sacrifices pour les salariés.

En ce sens, le fait que les salariés de GE aient expulsé les représentants du RN de leur manifestation est une très bonne nouvelle. Mais ce serait une erreur de reproduire sur le terrain de la lutte sociale le « front républicain » électoral. Car si le RN est l’un des pires ennemis de la classe ouvrière, nous pouvons dire autant de LR ou le PS et encore pire du Medef.

L’unité des travailleurs pour imposer zéro licenciement chez GE

 

Si la mobilisation des salariés, des classes populaires, des voisins et des petits commerçants des alentours contre la suppression d’emplois chez GE exerce une pression sur les élus locaux, c’est bien. Cependant, il n’est pas possible que ce soient ces partis pro-patronaux qui prennent la tête de la mobilisation ou qui arrivent à exercer leur influence néfaste sur la lutte.

L’unité des travailleurs et les classes populaires, à Belfort et partout dans le pays, doit partir d’un programme qui exige « zéro licenciement » à GE, contrairement à des plans soi-disant de reconversion » qui finissent par laisser toujours des salariés sur le carreau. Pour cela, face à ces discours nationalistes rances, il faut défendre la nationalisation de l’ensemble du secteur de l’énergie sous contrôle ouvrier. Ce serait la seule façon de planifier la production énergétique en respectant l’emploi et l’environnement, à l’heure où l’écologie est devenue le nouvel atout pour couvrir les politiques antisociales patrons et gouvernements.

Un tel programme ne peut être défendu que par un mouvement solidement unifié entre les différentes couches des travailleurs et des classes populaires, organisé à la base et démocratiquement. Ce qui est totalement incompatible avec une alliance avec des partis patronaux ou avec des fractions du patronat.

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