Les grands perdants seront les pays sud-américains qui verront leur dépendance vis-à-vis des puissances impérialistes renforcée.
Vingt ans après le début des négociations sur un accord de
libre-commerce entre l’Union Européenne et le Mercosur, les deux blocs
sont arrivés à un premier compromis. Des facteurs économiques et
politiques internes et internationaux ont poussé les deux parties à
débloquer les points de friction. Cependant, malgré les déclarations sur
le caractère « historique » de l’évènement, rien n’est encore dit, les
parlements de tous les pays signataires devant ratifier l’accord ainsi
que le parlement européen avant qu’il ne prenne effet. Certains parlent
d’un processus qui pourrait prendre entre 2 et 5 ans. Une éternité.
Les termes de l’accord
Même si les détails de l’accord doivent encore être peaufinés, ce sur
quoi les dirigeants des deux blocs ont concordé c’est une ouverture des
marchés du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) aux
produits industriels (mais aussi agricoles) européens en échange d’une
ouverture (partielle) du marché agricole européen aux produits
sud-américains. Parmi les principaux bénéficiaires de telles mesures se
trouvent le secteur de l’automobile, la chimie, la pharmaceutique mais
aussi les entreprises de services et BTP européens. Du côté des
capitalistes latino-américains, c’est avant tout le secteur de
l’agrobusiness qui se frotte les mains.
En effet, avec ces mesures, concrètement, 91% des droits de douane
imposés sur les produits industriels européens seront éliminés à terme.
Autrement dit, 4,5 milliards de dollars par an en moins pour les Etats
sud-américains. Du côté des importations agricoles du Mercosur en
Europe, ce sont autour de 92% de taxes douanières actuelles qui seraient
progressivement éliminées. Cependant, cela n’affectera pas tous les
produits agricoles étant donné que l’UE a imposé une liste de plus de
100 produits duits qui échapperaient à cet accord ; et sur d’autres
marchandises, produites en Europe, il y aura seulement une réduction de
taxes et non une élimination totale. C’est le cas notamment pour les
importations de viande.
A la merci de l’impérialisme
Il s’agirait d’un marché géant de près de 800 000 consommateurs,
représentant 18 000 milliards d’euros, soit un quart du PIB mondial.
Pour les multinationales européennes et pour les gros producteurs
agricoles sud-américains c’est une aubaine. Bien sûr elle inquiète le
secteur de l’agriculture européenne, qui pourrait perdre sans doute
quelques parts de marché. Mais c’est avant tout pour les économies des
pays du Mercosur que les plus grands problèmes se posent à moyen terme, à
commencer par l’industrie.
En effet, les termes de l’accord sont complètement inégaux et
renforce le sous-développement structurel historique des pays
latino-américains et leur place subordonnée dans le marché mondial :
exportation de matières premières et de produits agricoles à faible
valeur ajoutée et importation de biens industriels à forte valeur
ajoutée. En plus de cela, en termes de productivité les pays
sud-américains sont incapables de faire face à une concurrence « d’égal à
égal » face aux monopoles impérialistes européens. Les résultats
économiques et sociaux pourraient être catastrophiques :
désindustrialisation, re-primarisation des économies nationales, hausses
du chômage. Autrement dit, un retour des fléaux des années 1990.
Les européens sous la pression des guerres commerciales
Mais on ne peut pas comprendre la conclusion de cet accord sans
pointer la situation des multinationales européennes au milieu de la
« guerre commerciale » lancée par Trump contre la Chine et les mesures
de rétorsion de celle-ci contre les capitaux occidentaux.
En Amérique latine particulièrement, ces deux puissances se livrent
depuis plusieurs années une concurrence acharnée : les Etats Unis voient
d’un très mauvais œil que la Chine réussisse à développer des liens
commerciaux étroits avec les pays de « l’arrière-cour » historique de
l’impérialisme nord-américain. Cette concurrence sino-américaine
laissait les capitaux européens relégués dans la région, ce qui s’ajoute
aux conséquences de la « guerre commerciale » entre les Etats-Unis et
la Chine qui touche des secteurs importants de l’industrie européennes
comme l’automobile. Ce n’est pas un hasard que L’Association des
Constructeurs Européens d’Automobiles (ACEA) ait salué de façon
enthousiaste l’accord. Pour eux « ce texte contrebalance la guerre
commerciale entre les Etats-Unis et la Chine. Celle-ci a déjà affecté
plusieurs constructeurs européens, comme Daimler et BMW ».
Calculs politiques désespérés
Du côté des gouvernements sud-américains ce qui semble les avoir
poussés à la signature de cet accord relève plus de nécessités
politiques immédiates. La clé de la négociation se trouvait dans
l’existence de deux gouvernements de droite profondément néolibérale
dans les deux principaux pays du bloc : Mauricio Macri en Argentine et
Jair Bolsonaro au Brésil. Les deux gouvernements se trouvent, pour
différentes raisons, sous une très forte pression économique et surtout
politique interne.
En effet, alors que l’ultra réactionnaire Bolsonaro a gagné
l’élection présidentielle brésilienne (l’une des plus anti-démocratiques
de son histoire) avec un discours fanfaron, sécuritaire et promettant
réformer le pays, la réalité c’est que depuis sept mois Bolsonaro n’a
été capable de faire voter aucune réforme centrale pour les capitalistes
brésiliens. En plus de cela, chaque semaine un nouvel scandale éclate
impliquant des membres de sa famille, l’ex juge Sergio Moro et actuel
super-ministre de la Justice, l’affaire d’Aérococa, entre autres. Le
gouvernement Bolsonaro a également été embourbé dans des luttes internes
pratiquement depuis le premier jour. Et comme si cela n’était pas
assez, il y a eu un début de mouvement massif de résistance à sa
politique parmi la jeunesse qui s’est mobilisée par des centaines de
milliers, parmi les travailleurs qui ont fait une première grève
générale le 14 juin dernier et même le mouvement LGBT qui s’est mobilisé
massivement clairement en réponse aux discours homophobes du président
et son parti.
Du côté du président argentin, il se trouve en pleine campagne
électorale pour sa réélection. Et la situation économique n’a fait
qu’empirer depuis plusieurs années malgré les promesses et une politique
ouvertement pro-FMI, pro impérialiste. L’inflation et le chômage sont
en train de créer une situation explosive dans le pays.
Ainsi, aussi bien Bolsonaro que Macri avaient besoin de présenter
quelque chose de « concret » dans leur bilan, une « réussite ». L’accord
avec l’UE leur a semblé une occasion en or, même si cela pourrait avoir
des conséquences économiques à moyen terme qui aillent à l’encontre des
intérêts de certains secteurs capitalistes nationaux et surtout
pourrait attirer la foudre de la part de Trump qui ne voit pas d’un bon
œil ce type d’accords.
Les intérêts des travailleurs et des classes populaires
Cet accord, s’il est finalement ratifié (ce qui est très loin d’être
garanti), sera une catastrophe principalement pour les travailleurs et
les classes populaires sud-américaines. Des fermetures d’usines et la
montée du chômage ainsi que l’accentuation de la privatisation des
services publics sont à l’horizon. Ces gouvernements et politiciens de
droite néolibérale et réactionnaires qui parlent de « patrie » à
longueur de journée montrent qu’en réalité sont à la merci des intérêts
des différentes puissances impérialistes et sont prêts à redoubler la
dépendance des pays sud-américains en échange d’en faire bénéficier les
classes dominantes locales.
En Europe, les démagogues réactionnaires utiliseront cet accord pour
alimenter leurs politiques xénophobes et nationalistes ; ils
n’hésiteront pas à utiliser le sort terrible des paysans écrasés par les
grands groupes agro-industriels pour justifier encore de mesures pour
protéger les intérêts de l’agrobusiness européen face à la concurrence
de leurs pairs sud-américains. Les libéraux de leur côté n’hésiteront
pas à faire de la démagogie en parlant de prix plus abordables pour les
consommateurs des classes populaires.
Aussi bien pour les travailleurs sud-américains que pour leurs sœurs
et frères européens il ne s’agit de s’opposer à ce traité au nom de la
« protection du marché national » mais de s’opposer au traité parce
qu’il favorise les intérêts des capitalistes et promet plus de calamités
pour les classes populaires. Il s’agit de s’opposer aux grands groupes
capitalistes qui imposent soumission et sous-développement d’un côté et
surexploitation et misère au nom de la compétitivité de l’autre.
Empêcher que les capitalistes « nationaux » imposent de la soumission
aux travailleurs d’ailleurs, renforce la lutte des travailleurs d’ici
pour leurs droits.
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