Un
nouveau gouvernement a été constitué et Bouteflika affirme qu’il
démissionnera avant le 28 avril. Nouvelle manœuvre du régime pour
désarticuler la contestation.
La semaine dernière le chef de l’état-major de l’armée
algérienne, Ahmed Gaïd-Salah, avait prôné le recours à l’article 102 de
la constitution algérienne pour exiger le départ du président Abdelaziz
Bouteflika pour « incapacité » à remplir ses fonctions. C’était un
retournement important et un coup dur pour le « clan Bouteflika » au
pouvoir qui se voyait privé d’un allié de taille.
Du côté de l’opposition libérale certains dénonçaient également une
« tentative de coup d’Etat » militaire, cherchant ainsi à se
repositionner alors que le chef de l’armée leur avait coupé le pied sur
la voie constitutionnelle. Car le recours à l’article 102 avait déjà été
envisagé par l’opposition ainsi que par le clan au pouvoir lui-même,
comme une manière de sauver le régime en se débarrassant de la figure
désormais gênante de Bouteflika. En agissant ainsi, Gaïd Salah se
donnait les moyens d’apparaître comme un interlocuteur politique
incontournable dans les recompositions du régime à venir. Ce que les
masses populaires algériennes n’avaient pas manqué de comprendre,
manifestant leur rejet de la manœuvre en descendant encore massivement
dans les rues vendredi dernier.
C’est dans la foulée que ce dimanche le nouveau premier ministre
Noureddine Bedoui, nommé le 11 mars dernier en pleine contestation du
régime, annonçait la formation d’un nouveau gouvernement avec 27
ministres dont 8 de l’ancien gouvernement. Parmi eux on retrouve
Gaïd-Salah qui conserve ses deux casquettes en tant que chef de l’armée
et vice-ministre de la Défense Nationale. Au-delà de la médiocrité des
personnages débauchés en urgence pour jouer le rôle des nouveaux
ministres, la principale information est que le chef de l’état-major de
l’armée devient le numéro 2 du nouveau gouvernement.
Lundi après-midi, ce qui devait arriver arriva, et le président
Bouteflika annonçait par voie de presse qu’il démissionnerait avant le
28 avril, quand son mandat arriverait officiellement à son terme. Le
changement de gouvernement apparaît donc comme une manœuvre du régime
pour assurer la mise en place d’une transition en sa faveur, et ne
surtout pas laisser un vide de pouvoir.
Car après la démission du président, le nouveau gouvernement aura 90
jours pour organiser de nouvelles élections. Beaucoup d’analystes
prévoyaient d’ailleurs le départ de Bouteflika avant même l’annonce
officielle et estimaient ainsi que ce nouveau gouvernement était
justement mis en place pour mener une « transition ordonnée ».
En effet, même si la composition du gouvernement semble être un
« compromis » entre les différentes factions du régime (l’armée et le
clan Bouteflika), c’est le plan du chef de l’armée qui semble commencer à
se mettre en place : sacrifier Bouteflika pour tenter de calmer la
contestation et surtout sauver le régime (ou au moins sauver l’essentiel
du régime).
Evidemment, cela pose la question de savoir qui (ou quoi) remplacera
Bouteflika, un grand « casse-tête » pour les classes dominantes
algériennes. Cependant, cette « solution » en forme de compromis
devenait urgente. Car le conflit entre l’état-major de l’armée et le
clan Bouteflika ouvrait une brèche importante dans un contexte explosif,
qui pourrait profiter non seulement à l’opposition libérale, mais aussi
aux masses populaires mobilisées.
La première incarnée par la fraction patronale d’un Issad Rebrab –
première fortune du Maghreb, patron entre autre de CEVITAL – lui-même
soutenu par le général Toufik (ex-DRS), a déjà obtenu un certain nombre
de concessions : l’arrestation du rival et ancien chef du FCE Ali
Haddad, et l’interdiction de sortie du territoire à l’égard de
Mahieddine Tahkout qui avait bénéficié des faveurs du « clan
Bouteflika » pour ouvrir des usines d’assemblages en Algérie et remettre
en cause le monopole du patron de CEVITAL sur l’importation des
voitures Hyundai. Cependant la faiblesse structurelle de la bourgeoisie
nationale étouffée au berceau par l’impérialisme, et incapable à ce
titre de reconstruire un bloc hégémonique dominant sans l’appui d’un
homme providentiel qui saura donner l’illusion de s’élever au-dessus des
classes en apaisant la colère sociale à travers la redistribution des
miettes des profits colossaux engendrés par la rente pétrolière,
l’empêche de prétendre à prendre elle-même le pouvoir durablement.
A l’autre extrémité de par la misère et la répression qu’elles vivent
au quotidien, et qui contraste avec l’opulence et le luxe des riches
hommes d’affaires qui se disputent le gâteau, c’est aux masses
populaires que revient le mérite d’avoir su mettre en crise le régime de
Bouteflika par leur mobilisation. Mais elles restent orphelines de
direction politique en mesure de les immuniser contre les nombreuses
manœuvres que tentera le clan au pouvoir pour assurer sa survie, et de
projeter une alternative à l’exploitation et l’oppression que leur
promet le régime. Ce dernier, fort de son expérience et ayant tiré les
bilans de la révolution de 2011 en Egypte, similaire de par le rôle
prépondérant de l’armée sur la scène politique, tente donc à travers ce
nouveau gouvernement de colmater les brèches et d’orchestrer une
transition ordonnée, sans toucher aux fondamentaux du régime.
Mais rien ne dit si cette nouvelle manœuvre du régime réussira à
désamorcer la contestation qui dure depuis plus de six semaines. Comme
on peut lire dans un article de l’agence TSA : « Gaid
Salah a obtenu l’accord de la présidence, mais il n’a fait que la
moitié du chemin. Le plus dur sera de convaincre la rue qui, jusque-là,
s’est montrée intransigeante sur une transition non contrôlée par le
pouvoir. La première réponse est venue des réseaux sociaux où l’annonce
du nouveau gouvernement semble avoir déçu. Des ministres sont déjà
moqués. Mais la vraie réponse viendra comme à chaque fois de la rue : ce
sera vendredi prochain ». Car si Gaïd Salah sort temporairement
gagnant du bras de fer avec le clan Bouteflika, la rue ne semble pas
dupe à juste titre de ce général qui a été au service du régime pendant
plus de quinze années.
Mais pour renverser le régime politique actuel, le mouvement massif
et formidable du peuple algérien devra aller plus loin. La revendication
ne peut pas rester à un confus « système dégage ». Car le régime
utilisera tout type de manigances pour faire passer ses manœuvres pour
du « changement », et profitera du manque de perspective politique pour
jouer la carte de l’essoufflement.
Et ce ne sont pas seulement les tenants actuels du régime qui
essayeront de détourner la contestation. Les différents partis de
l’’opposition libérale essayeront aussi de canaliser la mobilisation
vers leurs « alternatives » qui mèneront vers des impasses, c’est-à-dire
à la restauration du régime Bouteflika sans Bouteflika.
C’est en ce sens que le mouvement devrait se donner comme tâche de
lutter pour imposer une Assemblée Constituante Révolutionnaire où les
travailleurs, la jeunesse, les femmes et l’ensemble des classes
opprimées puissent discuter de tous les problèmes qui les affectent au
quotidien. Et cela sur les ruines de l’actuel régime construit par le
FLN, qui s’appuie sur le pillier fondamental de l’armée, et qui est
constitué de capitalistes « amis » des puissances étrangères et soumis
aux intérêts impérialistes. Pour cela les travailleurs et la jeunesse
doivent construire des cadres d’auto-organisation dans les lieux de
travail, dans les universités, dans les lycées et les quartiers
populaires pour diriger eux-mêmes leur mobilisation. C’est ce qui
permettra de construire la grève générale pour mettre fin à ce régime
réactionnaire.
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