Trump
a menacé de « dévaster économiquement » la Turquie si elle attaquait
les kurdes en Syrie. Derrière ces menaces se cache avant tout le besoin
de maintenir les équilibres régionaux que la défense des alliés
américains.
Le président nord-américain, Donald Trump, a lancé un message
très dur à l’égard de la Turquie sur son compte Twitter. Alors que Trump
parlait du retrait progressif des troupes nord-américaines de la Syrie,
il a lancé : « nous allons dévaster économiquement la Turquie si elle s’en prend aux Kurdes [en Syrie] ».
Les réactions des dirigeants turcs ont été immédiates. Le ministre
des Affaires Etrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a ainsi déclaré que la
Turquie « n’avait pas peur et qu’elle ne se laisserai pas intimider par aucune menace ». Le porte-parole du président turc, İbrahim Kalın, a quant à lui déclaré que « les
terroristes ne peuvent être vos partenaires et alliés. La Turquie
attend des Etats Unis d’honorer notre partenariat stratégique et ne veut
pas que cela soit embrouillé par la propagande terroriste ».
Starting the long overdue pullout from Syria while hitting the little remaining ISIS territorial caliphate hard, and from many directions. Will attack again from existing nearby base if it reforms. Will devastate Turkey economically if they hit Kurds. Create 20 mile safe zone....— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 13 janvier 2019
En effet, à la mi-décembre, Trump a annoncé la fin de la mission des
Etats Unis en Syrie suite à la victoire sur Daesh. La conséquence
directe de cela est le départ des 2 000 troupes nord-américaines de la
Syrie dans les prochains mois. Beaucoup d’analystes craignent que la
Turquie profite du « vide » laissé par les Etats Unis et lance une
nouvelle offensive contre les positions Kurdes au nord et nord-est du
pays. Certains rapports parlent de 80 000 soldats turcs stationnés à la
frontière syrienne, prêts à lancer l’offensive militaire la plus
importante depuis l’invasion de la partie orientale de l’île de Chypre
en 1974.
Beaucoup ont également dénoncé l’attitude nord-américaine comme une
« trahison » à l’égard des Kurdes, alliés fondamentaux dans la lutte
contre Daesh. Cependant, cette alliance a toujours été purement tactique
pour les Etats Unis. Washington est plus intéressé à préserver son
alliance stratégique avec d’anciens partenaires régionaux comme la
Turquie. C’est cela que l’on a vu lors de l’offensive d’Erdogan contre
les forces kurdes à Afrin.
Un œil sur Téhéran
Cependant, cette fois l’administration nord-américaine ne semble pas
prête à laisser autant de marge de manœuvre à la Turquie face aux forces
Kurdes dans une région sensible. En effet, les Etats-Unis ont profité
d’une opportunité pour annoncer leur retrait après un semblant de
« victoire » contre « le terrorisme ». Cependant, ils sont conscients du
« vide » qu’ils laissent sur le terrain en retirant leurs dernières
troupes.
Le principal danger pour les intérêts nord-américains et ceux de
leurs alliés (notamment Israël et l’Arabie Saoudite) c’est l’Iran. On
craint effectivement que Téhéran profite du départ des Etats-Unis pour
élargir son influence dans la région et ainsi affecter l’équilibre dans
la région.
Ainsi Washington espérait que la Turquie joue ce rôle de
« contention » de l’influence iranienne. Or, même si cela n’est pas une
surprise pour personne, Ankara semble plus intéressée d’anéantir les
forces combattantes kurdes que de bloquer l’influence iranienne, que la
Turquie ne voit pas vraiment comme une « menace » (en tout cas pas au
même niveau que les Etats Unis et ses plus proches alliés régionaux).
Equilibre régional
C’est en ce sens que l’on peut comprendre « l’avertissement » de
Trump à la Turquie : un « coup de pression » sur la Turquie pour qu’elle
s’aligne vraiment derrière les objectifs fixés par les Etats Unis
contre l’Iran et éviter que le départ nord-américain ne provoque un
déséquilibre de pouvoirs dans une région explosive.
Pour ce faire, dans le même tweet, Trump fait une proposition qui a
tout l’air d’un compromis : la création d’une « zone tampon ». Même s’il
ne précise rien sur cette proposition, les autorités turques n’ont pas
hésité à signaler leur accord avec elle. En effet, pour la Turquie une
« zone tampon » permettrait de « protéger » sa frontière et d’éviter
qu’une force armée kurde conséquente se forme de l’autre côté de la
frontière.
Du côté des Etats-Unis, l’intérêt est là encore lié à l’Iran. Même si
cela semble peu probable, on ne peut en effet pas exclure qu’une
offensive turque dans le territoire contrôlé par les forces kurdes
n’entraine une intervention des forces gouvernementales et des milices
chiites pro-iraniennes, et ainsi ouvrir un risque que l’Iran finisse par
en tirer profit.
Ainsi, les déclarations de Trump n’ont rien à voir avec une
quelconque « fidélité » vis-à-vis de son allié kurde. L’impérialisme
nord-américain a déjà largement démontré qu’il est capable d’abandonner
ses alliés d’hier si une nouvelle alliance plus favorable se présente à
lui. La question centrale est de maintenir l’équilibre régional et
d’éviter que les intérêts nord-américains soient affectés par le départ
annoncé des troupes étatsuniennes.
Cependant, rien ne peut garantir que la Turquie cède à la pression
américaine, ni que la Turquie soit capable (et ait la volonté) de
bloquer l’influence iranienne, ni que les Kurdes acceptent les plans
nord-américains de « zone tampon », en tout cas sans que cela n’ouvre
des fissures dans le camp kurde.
RP.
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