Entretien.
La contestation contre la « loi esclavagiste » de Viktor Orban devient
de plus en plus une remise en cause de l’ensemble du « régime ».
Depuis la semaine dernière, des milliers de Hongrois se
mobilisent dans les rues de la capitale Budapest mais aussi dans
d’autres villes du pays. La raison ? Une nouvelle réforme du Code du
Travail qui permet au patronat d’imposer jusqu’à 400 heures
supplémentaires par an aux travailleurs tout en ne les payant que 36
mois plus tard.
La presse et les observateurs locaux parlent du caractère « inouï »
de la mobilisation : la goutte d’eau qui fait déborder le vase de la
colère contre le « régime Orban » en Hongrie. Nous avons interviewé
Gergő Varga, éditeur du site Mérce et participant actif dans la mobilisation.
Les manifestants dénoncent une « loi esclavagiste » du gouvernement de Viktor Orban, complètement favorable au patronat. Vous pouvez nous expliquer cette nouvelle loi ?
La loi esclavagiste a été clairement écrite pour attirer les
industriels allemands, relevant la limite maximale d’heures
supplémentaires que les travailleurs peuvent réaliser par an à 400
heures, celles-ci pouvant être payées jusqu’à 36 mois plus tard. Cela
peut aussi être vu comme un geste pour anticiper les crises et se ranger
du côté des entreprises en les rendant plus résistantes en cas de
troubles économiques.
L’autre loi qui a déclenché les manifestations a été la création de
dites ‘Cours administratives’, qui pourraient donner aux juges nommés
par le FIDESZ [le parti de Viktor Orban] le dernier mot sur toute une
série de questions concernant les dépenses publiques et la transparence.
Cela n’a pas été élaboré de façon claire vis-à-vis des classes
populaires et a plutôt cette loi est plutôt destinée à protéger les
intérêts centraux du FIDESZ : il s’agit en réalité d’un clou
supplémentaire sur le cercueil de l’Etat de droit et de la démocratie
libérale.
Même si la Hongrie a bénéficié des investissements des multinationales de l’automobile, notamment allemandes, et que beaucoup d’usines ont ouvert dans le pays, en Europe Centrale et de l’Est (donc aussi en Hongrie) il y a un important phénomène d’émigration qui pose la problématique du manque de main d’œuvre. Cela peut-il expliquer le vote de cette nouvelle loi ?
Oui, il s’agit bien d’une tendance assez claire mais le traitement
par les médias dominants de ces sujets étant peu répandu, il n’y a pas
de discours clair à ce propos. L’Ukraine a déjà fourni une grande partie
de la main d’œuvre - ce qui constitue une immigration plus acceptable
étant donné qu’elle s’oppose aux migrants musulmans dans le cadre du
discours hégémonique de droite. Le seul moyen de maintenir la
« compétitivité », à travers une main d’œuvre peu chère, est alors de
miner les acquis sociaux existants.
Il est intéressant de noter que beaucoup de gens qui ne sont pas
protégés par des contrats collectifs travaillent déjà de longues heures,
et sont ainsi « en désaccord » avec le discours sur le droit du
travail, puisqu’aucun acteur significatif n’a exprimé une position plus
offensive sur la question, et que les syndicats tardent à mettre en
place des actions organisées à grande échelle (même s’il faut dire que
certains d’entre eux font déjà de leur mieux).
La « loi esclavagiste » est-elle la seule raison de manifester ?
Je pense que le vote de ces lois associé à la façon dont cela a été
fait, c’est-à-dire par le biais de tentatives d’obstruction de la part
de l’opposition, a été la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Les
discours ne portent plus sur telle ou telle loi mais reflètent en
réalité une énorme coalition de rage et de haine contre le régime Orban,
ce qui a, au départ, produit des scènes de manifestations inattendues
où des antifa, côte à côte avec des néonazis, repoussaient les
policiers.
Les medias disent que les manifestations sont organisées par une opposition très large, allant du parti Vert jusqu’à l’extrême-droite du Jobbik, aux côtés des organisations citoyennes et de jeunesse. Cette « alliance » peut-elle représenter une alternative pour la classe ouvrière et la jeunesse en Hongrie ?
C’est effectivement là le fait le plus inquiétant. A l’origine, les
manifestations ont été lancées par une nouvelle coalition, amorcée par
des étudiants qui avaient constitué un syndicat étudiant en solidarité
avec les travailleurs, manifestant ensembles en essayant de mener une
critique systématique contre le régime d’Orban, tout en construisant une
plateforme à partir de leurs intérêts matériels.
Cependant, les partis d’opposition (dirigés par le parti
extraparlementaire allié hongrois de Macron, Momentum !) se sont lancés
dans les rues avec des actions radicales, hégémonisant le discours et
déplaçant l’axe des besoins matériels de la classe ouvrière vers un
ressentiment général contre le régime d’Orban. La revendication de
recourir au parquet européen est à nouveau à l’ordre du jour et il y a
eu des signes de solidarité envers les travailleurs de la police (!),
tout en prônant la non-violence, en dénonçant les manifestants
« violents ». Ainsi, ceux qui sont descendus spontanément dans les rues
en plein froid de décembre durant trois soirs d’affilé pour s’opposer à
cette loi, et qui étaient suffisamment violents pour brûler quelques
poubelles et jeter du papier-toilette sur les CRS… sont maintenant remis
à la police par les organisateurs des manifestations !
L’attention est aujourd’hui tournée vers les médias publics, sorte de
plateforme de propagande pour le FIDESZ, puisque des membres des partis
d’opposition ont essayer de passer à l’antenne et ont été mis à la
porte par les voyous de la sécurité. Résultat : ils ont été invités à
rejoindre les manifestations contre la loi travail et ont réussi à
dévier complètement les discours dans les médias pour NE PAS parler de
la réforme du travail. Donc, quel que soit le bénéficiaire de cette
alliance, il est hautement improbable qu’elle offre autre chose qu’une
valeur symbolique à la classe ouvrière et à la jeunesse.
Pendant les manifestations à Budapest, certains manifestants portaient un gilet jaune ; peut-on dire que le mouvement des Gilets Jaunes en France a influencé les manifestants en Hongrie ?
Nous nous attendions à un mouvement de type Gilets Jaunes mais nous
avons eu plutôt les Bonnets Blancs, puisque les députés d’opposition ont
dénoncé la non-existante violence, ont pris la place des travailleurs
syndiqués derrière la banderole de la principale centrale syndicale et
ont commencé à parler d’une coalition populaire anti-Orbán.
On verra comment évolue la situation mais ces Bonnets Blancs, parmi
lesquels beaucoup ont voté les lois anti-ONG, dont certains sont parmi
les plus néolibéraux et dont d’autres encore ont fait partie du
gouvernement précédent , laissant une bonne partie du pays sombrer dans
l’esclavage de l’endettement… ces bonnets blancs ont tenu leurs discours
lors d’une manifestation organisée par la Gauche. Plus encore que la
désolation qu’inspiraient leurs discours vides et leur offre de
résistances symboliques aux travailleurs, ils n’avaient rien à dire aux
30 000 personnes qui leur exigeaient la grève générale. Ils ne prêchent
que pour la non-violence, ils ne peuvent pas comprendre l’idée de la
grève générale ! Donc, les Gilets Jaunes devront attendre, pour le
moment.
Certains dirigeants syndicaux parlent de faire grève contre la loi, vous pensez que c’est possible ? Quels sont les secteurs les plus en colère contre cette « loi esclavagiste » ?
Beaucoup de syndicats ont en effet exprimé l’idée de faire grève et
il y a quelques blocages d’autoroutes. Cependant, compte tenu du
calendrier et de leur activité dans les médias, les espoirs ne sont pas
grands. Le taux de syndicalisation est faible, les fonds de grève sont
vides. Les enseignants, les Vasas (métallos) et les travailleurs
de la chimie semblent être les plus radicaux mais ils ont annoncé qu’ils
n’allaient commencer à organiser la grève générale que si le président
(János Áder) promulguait la loi. Je pensais qu’ils étaient un peu plus
en avance.
La politique des syndicats est aussi un problème. Beaucoup de
dirigeants syndicaux sont connus pour être de mèche avec le FIDESZ, et
leur capacité de mobiliser et de faire grève est très faible étant donné
les attaques précédentes au Code du Travail. Mais au moins, pour le
moment, ils semblent être en train d’évoluer vers une prise de position
politique alors que ces huit dernières années, le mouvement syndical se
déclarait strictement « apolitique ».
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