1500
euros par an de frais d’inscription dans un pays où le salaire mensuel
est de 350 euros. Certains parlent du mouvement le plus puissant des
dernières années. Entretien avec Redi Muçi depuis Tirana.
Les étudiantes et étudiants albanais se mobilisent en masse
contre une nouvelle hausse des frais d’inscription dans l’un des pays
les plus pauvres du continent. Alors que le salaire mensuel moyen est
d’à peine 350 euros, une nouvelle hausse des frais d’inscriptions à
l’université pourrait les porter jusqu’à 2000 euros l’année, et faire
que les étudiants doivent payer pour passer les rattrapages.
Nous avons interviewé Redi Muçi, enseignant à l’université de
Géologie et Mines de Tirana (capitale albanaise) et membre du Mouvement
Pour l’Université (Levizja Për Universitetin).
Jeudi dernier des milliers d’étudiants ont pris les rues de Tirana et d’autres villes à travers le pays. Comment cela a-t-il commencé et que demandent les étudiants ?
Ce que nous sommes en train de voir ces derniers jours, c’est la
conséquence directe de la réforme néolibérale dans l’éducation appliquée
depuis juillet 2015. Cette réforme se basait sur l’idée que la
concurrence entre les universités pour s’autofinancer allait conduire à
une augmentation de leur qualité. De fait, la seule chose qui a augmenté
ce sont les frais d’inscription. Ainsi, ce semestre, une taxe
supplémentaire a été ajoutée pour les étudiants devant passer un
rattrapage. Cela a été l’étincelle qui a mis le feu à la ville. Cela a
commencé à la faculté d’Architecture et Urbanisme, et le jour suivant 15
000 manifestants selon la presse ont manifesté devant les portes du
ministère.
La liste de revendications commence avec la baisse des frais
d’inscription et une augmentation du budget de l’éducation, et inclut
d’autres revendications telles que des meilleures chambres
universitaires, la démission des professeurs corrompus, des
investissements pour les laboratoires et des librairies, entre autres.
Për Universitetin est l’un des organisateurs des manifestations à Tirana, quelles sont vos revendications ?
Le Mouvement Për Universitetin a organisé plusieurs manifestations
contre cette réforme depuis 2012 quand elle a été mentionnée pour la
première fois. Nous revendiquons une éducation publique et gratuite.
Nous avons également dénoncé de nombreux problèmes mis en avant par les
étudiants dans leur vie quotidienne à l’université ; des problèmes tels
que des infrastructures de mauvaise qualité et plusieurs abus de la part
d’enseignants, qui sont dénoncés par les étudiants ces derniers jours
dans les manifestations.
Le Mouvement considère que la seule voie à suivre pour les étudiants
c’est de rejeter toute tentative de marchandage avec le gouvernement et
d’appeler à l’abrogation inconditionnelle de cette loi néolibérale, ce
qui serait une pierre de touche pour une nouvelle réforme qui parte des
revendications des étudiants.
Comment vivent les étudiants albanais aujourd’hui ?
Beaucoup d’étudiants en Albanie vivent dans des conditions terribles.
Les frais d’inscription sont parmi les plus élevés de la région,
surtout si l’on prend en compte le salaire moyen dans le pays. Les
étudiants n’ont le droit à aucune réduction. Les chambres universitaires
ressemblent aux catacombes d’il y a plusieurs siècles. Elles sont
gérées par des membres des partis dominants qui veulent gagner un
maximum d’argent en ne faisant aucun investissement. Si l’on ajoute à
cela les conditions lamentables des salles de cours et bibliothèques,
leur révolte est plus que légitime.
Comment s’organise le mouvement ?
La mobilisation étudiante a atteint des proportions inouïes,
impossibles à prévoir. Pour le moment il y a une sorte de chaos positif
qui préside chaque manifestation quotidienne où se sont formées
plusieurs poches de protestation.
Le problème le plus important actuellement ce sont les tentatives
incessantes des militants des partis d’opposition [bourgeoisie] qui
essayent de canaliser l’énergie selon les agendas de leurs partis. Cela a
généré des affrontements physiques à plusieurs reprises avec nos
militants, qui heureusement ont le soutien et la protection des
étudiants. Cependant, il y a eu une cohérence fascinante concernant le
rejet de tout marchandage avec le gouvernement et de toute implication
de figures politiques des partis d’opposition.
Quelle a été la réponse du gouvernement ?
Au début le premier ministre, Edi Rama, a traité les étudiants de
« cancres » pour lesquels les contribuables devaient payer plus
d’impôts. Cela, cependant, s’est retourné spectaculairement contre lui
et depuis il a changé sa rhétorique en essayant d’attirer une équipe de
négociateurs des étudiants, dans une tentative d’apparaître très
concerné par les revendications des étudiants. Hier (8 décembre) la
ministre de l’éducation a fait une tentative de se rapprocher des
manifestants, mais elle a été huée et pourchassée.
En France les étudiants sont en train de bloquer des universités, d’organiser des manifestations, aussi contre l’augmentation des frais d’inscription des étudiants non-européens ; ils comprennent que cela n’est qu’un premier pas avant une augmentation générale pour l’ensemble des étudiants. Quel message vous aimeriez envoyer à la mobilisation étudiante en France en lien avec votre mobilisation ?
Les étudiants en France ont raison d’être inquiets pour cette
nouvelle mesure. Si l’on regarde l’histoire de l’augmentation des frais
d’inscriptions dans les universités en Angleterre, le gouvernement de
Margaret Thatcher avait commencé par augmenter les frais d’inscription
des étudiants étrangers et puis ceux de tout le monde. Le « modèle
anglo-saxon » a servi d’enrobage de sucre pour la réforme néolibérale en
Albanie aussi. Nous menons une lutte commune ! A l’image des « Gilets
Jaunes », les étudiants doivent résister cette vague néolibérale qui
s’abat sur nos sociétés.
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