L’affaire
rappelle la xénophobie du président récemment élu et le racisme
structurel de l’Etat brésilien. Des millions de pauvres seront affectés,
des villes entières resteront sans aucun accès aux soins.
L’un des fonds de commerce électoral du président brésilien
Jair Bolsonaro a été son ton « anticommuniste », « anti-gauche » en
général. Cela lui a permis d’attiser la haine de classe viscérale de la
petite-bourgeoisie réactionnaire brésilienne, résidente des quartiers
chics des grandes villes. Cette petite-bourgeoisie aisée et marquée par
un racisme et une haine de classe profonds et structurels. Cette même
frange de la population qui voyait dans le Parti des Travailleurs (PT)
un « danger communiste » car on leur « imposait » de déclarer leurs
employées domestiques et de respecter leurs droits en tant que
travailleuses.
Alimentant ce sentiment réactionnaire, Bolsonaro a décidé de
s’attaquer à Cuba, seul pays latino-américain où une révolution a été
victorieuse (malgré toutes ses contradictions et limites) et « bête
noire » de toutes les classes dominantes du continent. Il a en effet,
sur une vidéo à destination des médecins brésiliens, déclaré qu’à partir
de 2019 il allait expulser « 14 000 médecins cubains » (faisant un
geste de guillemets au moment de prononcer le mot « médecins » en signe
de doute sur leurs compétences professionnelles). Dans le même message
il a laissé entendre que les médecins cubains travaillant au Brésil
pourraient finir dans la prison de Guantanamo, endroit tristement réputé
pour ses tortures et abus de tous types.
En effet, le Brésil a mis en place depuis 2013 un programme appelé
« Plus de médecins » au travers duquel des médecins de différents pays,
notamment Cuba, étaient affectés dans des aires complètement démunies de
services de santé. Ce programme a permis à des communes des régions les
plus pauvres du pays d’avoir accès parfois pour la première fois à un
médecin.
Vejam o que ele disse dos médicos cubanos do Mais Médicos. Os pobres vão sofrer com a falta de médicos. pic.twitter.com/7syQKoNeOO— José Guimarães (@guimaraes13PT) 15 novembre 2018
Après les déclarations de Bolsonaro, le gouvernement cubain a décidé
de se retirer du programme, indiquant que plus de 8 000 médecins cubains
quitteraient le pays d’ici la fin de l’année. Près de 30 millions de
personnes seront affectées et on calcule que 367 communes se verront
privées de médecins, les Cubains étant souvent les seuls professionnels
de la santé dans ces zones misérables du Brésil. Une catastrophe, la
première grande catastrophe sociale produite par Bolsonaro avant même
d’assurer son poste de président le 1er janvier prochain.
Une défense hypocrite des droits des médecins cubains
Face au tollé que l’affaire a suscité, Bolsonaro a essayé d’expliquer
sa position en se lançant dans une « défense » hypocrite des droits des
médecins cubains, sans oublier de renforcer les préjugés contre
ceux-ci. Dans un tweet il a déclaré : « nous conditionnons la continuité
du programme Plus de Médecins à l’application d’un test de compétences,
au fait que les salaires soient entièrement versés aux professionnels
cubains, aujourd’hui la plupart [du salaire] est destinée à la
dictature, et à la liberté d’amener avec eux leurs familles.
Malheureusement, Cuba n’a pas accepté ».
Condicionamos à continuidade do programa Mais Médicos a aplicação de teste de capacidade, salário integral aos profissionais cubanos, hoje maior parte destinados à ditadura, e a liberdade para trazerem suas famílias. Infelizmente, Cuba não aceitou.— Jair M. Bolsonaro (@jairbolsonaro) 14 novembre 2018
Par la suite, il a essayé de rejeter la faute sur le gouvernement
cubain en affirmant dans un autre tweet, et en contradiction avec le
mépris xénophobe qu’il exprime dans sa vidéo : « en plus d’exploiter ses
propres citoyens ne payant pas intégralement les salaires des
professionnels, la dictature cubaine démontre une grande
irresponsabilité en négligeant les impacts négatifs sur la vie et la
santé des Brésiliens… ».
Il est évident que certaines conditions imposées par le gouvernement
cubain aux médecins et aux travailleurs en général qui partent en
mission à l’étranger sont néfastes et violent des droits élémentaires
comme le fait de partir avec sa famille entre autres. Mais ce serait
vraiment délirant de croire que ces déclarations de Bolsonaro visent en
quoi que ce soit la défense des droits des travailleurs.
En tant que parlementaire, Bolsonaro s’est opposé aux droits des
employées domestiques, a voté toutes les mesures anti-ouvrières de Temer
comme la réforme du marché du travail, réduisant considérablement les
droits des travailleurs et généralisant la sous-traitance. Les seuls
« travailleurs » qu’il a défendu tout au long de sa carrière ont été les
militaires, corporation dont il a fait partie jusqu’en 1988.
Le même Bolsonaro qui veut tout privatiser au Brésil, services
publics comme entreprises d’Etat, serait donc devenu un défenseur des
salariés et de la démocratie.
Derrière l’affaire des médecins cubains, le racisme de l’Etat brésilien
Chassez le naturel… Bolsonaro s’est rapidement auto-démasqué dans sa
« défense » des médecins cubains. Il a ainsi ressorti sa xénophobie pour
affirmer que certains maires avaient licencié des médecins brésiliens
pour les remplacer par des professionnels cubains. Aucune preuve ou même
nom de commune n’a été cité. Il a en effet repris l’art qu’il manie à
la perfection : les Fake News, les intrigues de bas étage et
réactionnaires.
Mais cette affaire ravive tout le sentiment raciste et xénophobe qui
existe au sein des classes dominantes brésiliennes. En effet, à l’époque
où le programme a été mis en place, les médecins brésiliens avaient
dénoncé que leurs « postes étaient en danger » par l’arrivée « massive »
des Cubains. Des scènes scandaleuses avaient eu lieu dans des hôpitaux
où des médecins brésiliens, blancs, huaient, insultaient et lançaient
des remarques racistes contre les médecins cubains en grande partie
noirs. A l’époque, une journaliste est même allée jusqu’à dire qu’elle
trouvait qu’une docteure cubaine « avait une tête d’employée
domestique ». Autrement dit, elle était noire et au Brésil les Noires
n’ont pas une tête de médecin mais d’employée domestique . Une remarque
profondément raciste et marquée également par le mépris de classe de
cette petite-bourgeoisie réactionnaire, aujourd’hui radicalisée et
constituant la base électorale de Bolsonaro.
(Un médecin cubain se fait huer par des collègues brésiliens lors de son arrivée à l’hôpital)
Il faudrait rappeler que le Brésil, l’un des pays les plus riches du
continent, est incapable de fournir l’assistance médicale la plus
basique à des millions de personnes dans son territoire. La plupart de
ces personnes sont noires, appartenant aux segments les plus défavorisés
des classes populaires, habitant dans les régions les plus misérables
du pays, dans les quartiers périphériques ou dans les favelas des
grandes villes.
Cuba, malgré l’embargo, les difficultés d’une économie à l’agonie et
la politique néfaste de la bureaucratie dirigeante, est reconnue pour
avoir l’un des systèmes de santé les plus performants au monde. L’accord
du gouvernement du PT à l’époque avec le gouvernement cubain a permis
de combler partiellement et de façon précaire ce manque structurel du
Brésil dans le secteur de la santé. L’opinion des patients sur les
médecins cubains est très positive, pour beaucoup ces professionnels
leur ont permis d’avoir accès à un médecin pour la première fois.
C’est la première catastrophe sociale de « l’ère Bolsonaro ». Sa
politique raciste et élitiste va conforter son électorat rétrograde mais
ouvre déjà un problème politique énorme qu’il devra résoudre en
urgence, à moins d’assumer ouvertement la dégradation de l’accès aux
soins pour des millions de personnes et risquant de faire face à leur
colère.
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