19.11.18

Menacés par Bolsonaro, 8 000 médecins cubains quitteront le Brésil


L’affaire rappelle la xénophobie du président récemment élu et le racisme structurel de l’Etat brésilien. Des millions de pauvres seront affectés, des villes entières resteront sans aucun accès aux soins.

Philippe Alcoy

L’un des fonds de commerce électoral du président brésilien Jair Bolsonaro a été son ton « anticommuniste », « anti-gauche » en général. Cela lui a permis d’attiser la haine de classe viscérale de la petite-bourgeoisie réactionnaire brésilienne, résidente des quartiers chics des grandes villes. Cette petite-bourgeoisie aisée et marquée par un racisme et une haine de classe profonds et structurels. Cette même frange de la population qui voyait dans le Parti des Travailleurs (PT) un « danger communiste » car on leur « imposait » de déclarer leurs employées domestiques et de respecter leurs droits en tant que travailleuses.

Alimentant ce sentiment réactionnaire, Bolsonaro a décidé de s’attaquer à Cuba, seul pays latino-américain où une révolution a été victorieuse (malgré toutes ses contradictions et limites) et « bête noire » de toutes les classes dominantes du continent. Il a en effet, sur une vidéo à destination des médecins brésiliens, déclaré qu’à partir de 2019 il allait expulser « 14 000 médecins cubains » (faisant un geste de guillemets au moment de prononcer le mot « médecins » en signe de doute sur leurs compétences professionnelles). Dans le même message il a laissé entendre que les médecins cubains travaillant au Brésil pourraient finir dans la prison de Guantanamo, endroit tristement réputé pour ses tortures et abus de tous types.

En effet, le Brésil a mis en place depuis 2013 un programme appelé « Plus de médecins » au travers duquel des médecins de différents pays, notamment Cuba, étaient affectés dans des aires complètement démunies de services de santé. Ce programme a permis à des communes des régions les plus pauvres du pays d’avoir accès parfois pour la première fois à un médecin.




Après les déclarations de Bolsonaro, le gouvernement cubain a décidé de se retirer du programme, indiquant que plus de 8 000 médecins cubains quitteraient le pays d’ici la fin de l’année. Près de 30 millions de personnes seront affectées et on calcule que 367 communes se verront privées de médecins, les Cubains étant souvent les seuls professionnels de la santé dans ces zones misérables du Brésil. Une catastrophe, la première grande catastrophe sociale produite par Bolsonaro avant même d’assurer son poste de président le 1er janvier prochain.

Une défense hypocrite des droits des médecins cubains 

 

Face au tollé que l’affaire a suscité, Bolsonaro a essayé d’expliquer sa position en se lançant dans une « défense » hypocrite des droits des médecins cubains, sans oublier de renforcer les préjugés contre ceux-ci. Dans un tweet il a déclaré : « nous conditionnons la continuité du programme Plus de Médecins à l’application d’un test de compétences, au fait que les salaires soient entièrement versés aux professionnels cubains, aujourd’hui la plupart [du salaire] est destinée à la dictature, et à la liberté d’amener avec eux leurs familles. Malheureusement, Cuba n’a pas accepté ».




Par la suite, il a essayé de rejeter la faute sur le gouvernement cubain en affirmant dans un autre tweet, et en contradiction avec le mépris xénophobe qu’il exprime dans sa vidéo : « en plus d’exploiter ses propres citoyens ne payant pas intégralement les salaires des professionnels, la dictature cubaine démontre une grande irresponsabilité en négligeant les impacts négatifs sur la vie et la santé des Brésiliens… ».

Il est évident que certaines conditions imposées par le gouvernement cubain aux médecins et aux travailleurs en général qui partent en mission à l’étranger sont néfastes et violent des droits élémentaires comme le fait de partir avec sa famille entre autres. Mais ce serait vraiment délirant de croire que ces déclarations de Bolsonaro visent en quoi que ce soit la défense des droits des travailleurs.

En tant que parlementaire, Bolsonaro s’est opposé aux droits des employées domestiques, a voté toutes les mesures anti-ouvrières de Temer comme la réforme du marché du travail, réduisant considérablement les droits des travailleurs et généralisant la sous-traitance. Les seuls « travailleurs » qu’il a défendu tout au long de sa carrière ont été les militaires, corporation dont il a fait partie jusqu’en 1988.

Le même Bolsonaro qui veut tout privatiser au Brésil, services publics comme entreprises d’Etat, serait donc devenu un défenseur des salariés et de la démocratie.

Derrière l’affaire des médecins cubains, le racisme de l’Etat brésilien 

 

Chassez le naturel… Bolsonaro s’est rapidement auto-démasqué dans sa « défense » des médecins cubains. Il a ainsi ressorti sa xénophobie pour affirmer que certains maires avaient licencié des médecins brésiliens pour les remplacer par des professionnels cubains. Aucune preuve ou même nom de commune n’a été cité. Il a en effet repris l’art qu’il manie à la perfection : les Fake News, les intrigues de bas étage et réactionnaires.

Mais cette affaire ravive tout le sentiment raciste et xénophobe qui existe au sein des classes dominantes brésiliennes. En effet, à l’époque où le programme a été mis en place, les médecins brésiliens avaient dénoncé que leurs « postes étaient en danger » par l’arrivée « massive » des Cubains. Des scènes scandaleuses avaient eu lieu dans des hôpitaux où des médecins brésiliens, blancs, huaient, insultaient et lançaient des remarques racistes contre les médecins cubains en grande partie noirs. A l’époque, une journaliste est même allée jusqu’à dire qu’elle trouvait qu’une docteure cubaine « avait une tête d’employée domestique ». Autrement dit, elle était noire et au Brésil les Noires n’ont pas une tête de médecin mais d’employée domestique . Une remarque profondément raciste et marquée également par le mépris de classe de cette petite-bourgeoisie réactionnaire, aujourd’hui radicalisée et constituant la base électorale de Bolsonaro.

 (Un médecin cubain se fait huer par des collègues brésiliens lors de son arrivée à l’hôpital)

Il faudrait rappeler que le Brésil, l’un des pays les plus riches du continent, est incapable de fournir l’assistance médicale la plus basique à des millions de personnes dans son territoire. La plupart de ces personnes sont noires, appartenant aux segments les plus défavorisés des classes populaires, habitant dans les régions les plus misérables du pays, dans les quartiers périphériques ou dans les favelas des grandes villes.

Cuba, malgré l’embargo, les difficultés d’une économie à l’agonie et la politique néfaste de la bureaucratie dirigeante, est reconnue pour avoir l’un des systèmes de santé les plus performants au monde. L’accord du gouvernement du PT à l’époque avec le gouvernement cubain a permis de combler partiellement et de façon précaire ce manque structurel du Brésil dans le secteur de la santé. L’opinion des patients sur les médecins cubains est très positive, pour beaucoup ces professionnels leur ont permis d’avoir accès à un médecin pour la première fois.

C’est la première catastrophe sociale de « l’ère Bolsonaro ». Sa politique raciste et élitiste va conforter son électorat rétrograde mais ouvre déjà un problème politique énorme qu’il devra résoudre en urgence, à moins d’assumer ouvertement la dégradation de l’accès aux soins pour des millions de personnes et risquant de faire face à leur colère.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire