Le
mouvement des Gilets Jaunes est en train de remettre en cause une
tradition antidémocratique en France : l’obligation de déclarer les
manifestations en préfecture. Il est temps de reprendre notre droit
inconditionnel de manifester.
L’une des « polémiques » autour du mouvement Gilets Jaunes ces
derniers jours c’est la manifestation à Paris ce 24 novembre. Alors que
les Gilets Jaunes prétendent manifester près de la zone du palais de
l’Élysée, le ministère de l’Intérieur déclare que ce ne sera en aucun
cas possible. Finalement on leur aura proposé de manifester sur le
Champs de Mars. Or, les représentants du mouvement refusent d’accepter
cette imposition.
« Nous ne manifesterons pas au Champ-de-Mars parce que le lieu
nous a été imposé (…) Il ne s’agit pas de créer des blocages ou des
actions inattendus. Il s’agit juste de prendre notre droit de manifester
comme nous l’entendons. Ce n’est plus au gouvernement de décider où est
ce que nous allons manifester puisque le gouvernement est déjà
incapable de répondre à nos premières préoccupations. Nous allons
arpenter la ville de Paris là où notre cœur nous emmènera au fil de la
Seine, des centres commerciaux... », déclarait l’une des représentantes du mouvement sur BFM.
En effet, depuis le début ce mouvement se caractérise par une grande
spontanéité, avec divers et nombreux points de mobilisation, des actions
imprévues… Le tout évidemment sans aucune « autorisation » d’une
quelconque autorité, comme habituellement cela se fait. Et ce caractère
insolent est complètement revendiqué par les manifestants ; pour eux
« cela va de soi » de manifester où et quand on veut.
Il s’agit d’un aspect qui délégitime en quelque sorte l’autorité du
gouvernement mais aussi de l’État. Mais d’où vient cette « tradition »
antidémocratique de devoir demander l’autorisation pour manifester ?
De l’agitation sociale des années 1930 au besoin de limiter l’activité des travailleurs
Pour trouver l’origine de cette obligation de déclarer les
manifestations au préalable à la préfecture de police, il faut remonter à
la grande agitation et polarisation sociale des années 1930.
En effet, en France la crise économique mondiale, commencée en 1929,
ne fait sentir ses effets que deux ans plus tard. Les faillites
d’entreprises suivent aux faillites des banques, le chômage explose en
même temps que l’on impose des rythmes de travail infernaux au reste des
salariés pour faire augmenter la productivité. Le secteur industriel et
le commerce extérieur s’effondrent. Sur le plan politique, cette
dégradation économique a aussi des répercussions. Le régime
parlementaire de la III République est en pleine crise : entre 1932 et
1934 se produisent cinq changements ministériels.
La polarisation sociale est aussi une autre caractéristique de
l’époque. Dans un premier temps, ce n’est pas du côté des syndicats et
des partis ouvriers, le Parti Communiste (PCF) et la SFIO
(social-démocratie, ancêtre du PS), qui vient la pression sur le
gouvernement. C’est plutôt du côté de la réaction fascisante que part
l’offensive.
En effet, encouragés par la victoire d’Hitler en Allemagne et la
stabilisation des régimes fascistes au Portugal et en Italie, le 6
février 1934 des groupes d’extrême-droite français, profitant d’un
scandale de corruption qui éclate au grand jour impliquant des membres
des « partis traditionnels », organisent une manifestation qui devient
une émeute anti-gouvernementale. Résultat : le gouvernement démissionne.
Dans ce cadre de mobilisation massive de la contre-révolution
incarnée par des groupes, des militants et des dirigeants ouvertement
fascistes (mêlés à des monarchistes et à des secteurs ultra
conservateurs notamment de la bourgeoisie comme les cimentiers Lafarge,
Louis Renault ou Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, ou son gendre
André Bettencourt), il y aura une réponse du mouvement ouvrier :
plusieurs grèves, manifestations massives et meetings de rue ont lieu
très rapidement. La pression des bases est tellement forte qu’elles
imposent l’unité dans les rues de la SFIO et du PCF, jusque là fortement
divisés.
Des manifestations massives ont lieu le 12 février 1934 et le 14
juillet 1935, des énormes rassemblements aussi. Les campagnes
électorales pour les élections municipales de 1935 et les législatives
de 1936 sont marquées par d’immenses cortèges, meetings, rassemblements
populaires et ouvriers. C’est dans ce contexte que le gouvernement
décide par un décret d’octobre 1935 d’imposer la déclaration préalable
des manifestants. Sous le prétexte de préserver l’ordre public, il
cherchait en réalité à contrôler et limiter le mouvement ouvrier en
pleine ébullition.
Cependant, malgré ces décrets antidémocratiques, le gouvernement sera
incapable d’éviter la vague formidable de grèves de juin-juillet 1936,
des millions d’ouvriers et d’ouvrières en grève, mobilisés, occupant des
usines, dans le mouvement de grève le plus important de la France
jusqu’à cette époque ; un mouvement gréviste qui a ébranlé l’Etat
français, réussissant à arracher des concessions très importantes au
patronat, même s’il aurait pu aller bien plus loin si les différentes
bureaucraties syndicales, du PCF et de la SFIO ne l’avaient bloqué.
Reprendre notre droit inconditionnel de manifester
L’ensemble des gouvernements qui ont suivi depuis cette époque, de
droite comme de « gauche », n’ont jamais remis en cause ce dispositif
complètement antidémocratique. Et les directions syndicales s’y sont
bien adaptées. Combien de militants ou simples manifestants ont été
condamnés sous prétexte de participer à une « manifestation
non-autorisée » ?
Il est inacceptable de normaliser le fait que les exploités et les
opprimés doivent demander l’autorisation à leur « bourreaux » pour
exprimer leur mécontentement. Avec le mouvement des Gilets Jaunes qui
prend de plus en plus la forme d’une révolte contre l’ensemble des
injustices sociales, avec la force et l’insolence des masses qui se
réveillent à la politique, peut-être assistera-t-on à la remise en cause
totale de cette « tradition » réactionnaire.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? C’est de l’exemple des
grèves de juin 1936 qu’il faut s’inspirer, de Mai 68, et aller plus
loin ! On assiste aujourd’hui en France à une situation qui pose de loin
des bases pour une grève générale qui impose une défaite cinglante au
gouvernement Macron-Philippe et au patronat. Les organisations du
mouvement ouvrier devraient urgemment travailler en ce sens.
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