La campagne de Jair Bolsonaro a été marquée par les « Fake News ». Mais le plus grand Fake News, repris par toute la presse et dirigeants politiques internationaux, c’est d’affirmer qu’il aurait été élu « démocratiquement ». Bien au contraire, ces élections ont été les plus antidémocratiques de l’histoire récente brésilienne.
Depuis la victoire de l’extrême-droite brésilienne dimanche
dernier, on peut lire de tout dans la presse internationale. Mais aussi
bien les analyses les plus inquiètes que celles les plus
« bienveillantes » à l’égard du très réactionnaire Jair Bolsonaro sont
d’accord sur un point : les brésiliens se seraient exprimés
démocratiquement sur leur nouveau président. Pourtant, ce constat qui
fait l’impasse sur les conditions et les circonstances de la campagne
présidentielle est des plus faux.
En réalité depuis 2016, le Brésil traverse une des périodes les plus
anti-démocratiques depuis la fin de la dictature militaire dans les
années 1980. Et dans ce cadre les élections de 2018 sont les plus
anti-démocratiques et manipulées de l’histoire récente du pays. Voyons
de plus près.
« Lava-jato » : un deux poids, deux mesures dans la lutte contre la corruption
Tout d’abord le cadre. En effet, ces élections se sont déroulées dans
le cadre de l’arbitraire judiciaire fruit du coup d’Etat institutionnel
contre l’ex-présidente Dilma Rousseff en 2016. Ainsi, depuis 2016 se
renforce ce que l’on pourrait appeler un « bonapartisme judiciaire » où
une caste de juges réactionnaires privilégiés et directement liés aux
intérêts patronaux intervient et configure selon ses intérêts de classe
la vie politique du pays.
Pour ce faire, le pouvoir judiciaire a utilisée la soi-disant
opération anticorruption « Lava Jato », qui est présentée comme une
action judiciaire exemplaire. La « Lava Jato », principal instrument de
l’arbitraire judiciaire, a servi à déclencher des investigations pour
corruption ciblées contre des politiciens « encombrants », notamment
ceux du Parti des Travailleurs (PT). Même si pour présenter une facette
de « neutralité », la « Lava Jato » s’est également attaqué à des
politiciens des partis de centre et de droite, le traitement des
dossiers n’est nullement le même selon le parti auquel appartient « la
cible ». Ainsi, les politiciens de droite ont vu leurs procédures
avancer à un rythme bien plus lent que les dirigeants du PT (ici il
faudrait rappeler que Dilma n’avait pas été destituée pour corruption
mais pour une manœuvre fiscale totalement banale pour les différents
gouvernements à travers le monde).
Lula emprisonné et empêché de se présenter en dépit de la résolution onusienne et de preuves tangibles contre lui
En ce sens, le cas de l’ex-président Lula est emblématique. Lula
était le principal candidat à l’élection présidentielle qui détenait
encore, à quelques semaines des élections, 40% des intentions de vote.
Mais, des secteurs importants du patronat brésilien et leurs
« sponsors » impérialistes considéraient que le PT n’était pas capable
d’appliquer toutes les contre-réformes qu’ils exigeaient. Le pouvoir
judiciaire, dans les mains de Sergio Moro, a décidé d’accélérer les
rythmes d’un procès pour corruption, rempli d’irrégularités et avec très
peu de preuves fiables, et a décrété la prison arbitraire de Lula en
avril dernier.
Mais Lula n’a pas seulement été emprisonné arbitrairement. Il a été
soumis à des conditions de détention tout à fait particulières et sans
commune mesure. Alors qu’il restait le candidat du PT, il a été empêché
de participer d’une quelconque manière qu’il soit à la campagne : en
dépit de la résolution de l’ONU,
le pouvoir judiciaire l’a empêché de participer aux débats,
d’enregistrer des messages politiques, de donner des interviews.
Finalement, à quelques semaines du premier tour, il a renoncé à se
présenter et laissé la main à Fernando Haddad. Ainsi des millions de
brésiliens on été empêchés de voter pour qui ils voulaient par une caste
de juges réactionnaires.
3.5 millions d’électeurs, dont 1.5 du Nordeste, dans l’impossibilité de voter
Mais si l’emprisonnement arbitraire de Lula a été la manipulation et
l’interférence la plus grande et grave du bonapartisme judiciaire elle
n’a pas été la seule. Une autre manipulation très importante, qui a eu
relativement peu de presse au niveau international, a empêché 3,4
millions d’électeurs de voter, dont 1,5 millions dans la région Nord-Est
où le PT fait ses meilleurs scores. En effet, un changement technique
obligeait la moitié des électeurs à enregistrer leurs empreintes
digitales numériquement mais ils ne pouvaient le faire que jusqu’à mai
dernier. Face au nombre extraordinaire d’électeurs (2,4% du total) qui
n’avaient pas pu faire à temps l’enregistrement un recours avait été
déposé par le Parti Socialiste Brésilien auprès de la justice électorale
qui a refusé.
Les menaces « d’intervention » des militaires et la pression sur les juges
Mais tout ne s’arrête pas là. Non seulement le pouvoir judiciaire est
intervenu pour manipuler ces élections. Mais c’est aussi le cas du haut
commandement de l’armée brésilienne, si chère à Bolsonaro, qui, à deux
reprises a fait pression pour qu’en avril, la justice décrète
l’emprisonnement de Lula, et qu’en septembre la justice électorale
invalide sa candidature définitivement. A deux reprises, les militaires
ont donc émis des déclarations allant dans le sens de menacer
« d’intervenir » si l’on permettait à Lula de se présenter.
Fake News et financement illégal du patronat dans la campagne de Bolsonaro
Enfin, mais pas moins important, à quelques jours seulement du second
tour la presse révélait que des grands patrons avaient dépensé des
millions de dollars pour financer illégalement la campagne de Bolsonaro
en déclenchant des « Fake News » contre Haddad sur les réseaux sociaux,
notamment sur WhatsApp. Une méthode néfaste qui a eu un impact très
important dans l’opinion publique et dans la création d’un climat
« anti-PT ». On n’oubliera pas par exemple la BD de Titeuf, « Le guide
du zizi sexuel », brandie en plein JT par Bolsonaro comme faisant partie
d’un soi-disant « kit gay » qui selon le candidat d’extrême-droite
apprenait aux enfants « comment devenir homosexuel ».
A tout cela il faut ajouter les assassinats politiques et le nombre
énorme d’agressions de la part des partisans de Bolsonaro tout au long
de la campagne. Le coup de couteau que le candidat réactionnaire a reçu
en fait aussi partie de cette violence politique et sociale déclenchée
par son discours de haine.
L’impasse de la stratégie électoraliste et conciliatrice du PT
Donc, dans ce contexte affirmer que Bolsonaro a été élu
« démocratiquement » n’est qu’une « fake news » de plus. C’est tout le
contraire que l’on a vu au Brésil ces derniers mois. Mais même si cela
peut paraître incroyable, le candidat du PT, Fernando Haddad, quelques
heures après la victoire de Bolsonaro, participait à cette banalisation
des coups antidémocratiques du régime brésilien et écrivait sur son
compte Twitter : « Président Jair Bolsonaro. Je vous souhaite du succès.
Notre pays mérite le meilleur. J’écris ce message aujourd’hui, le cœur
léger, sincèrement, pour qu’il stimule le mieux de nous tous. Bonne
chance ».
Presidente Jair Bolsonaro. Desejo-lhe sucesso. Nosso país merece o melhor. Escrevo essa mensagem, hoje, de coração leve, com sinceridade, para que ela estimule o melhor de todos nós. Boa sorte!— Fernando Haddad (@Haddad_Fernando) 29 octobre 2018
Dans la droite ligne de sa stratégie électoraliste et conciliatrice, le
PT, pourtant principale victime politique, continue de feindre de
croire, et participe à l’entretien de cette illusion, au caractère
démocratique des institutions brésiliennes. Cette fois en souhaitant
« bonne chance » à celui qui se prépare pour lancer des attaques
sauvages contre les droits démocratiques, contre les conditions de vie
et de travail de la classe ouvrière, qui est en train de libérer des
forces réactionnaires très dangereuses pour l’ensemble des opprimés.
Encore une fois, les travailleurs, la jeunesse précarisée et opprimée,
les femmes, les LGBT, les Noirs doivent s’organiser pour résister dans
les rues, dans les lieux de travail et d’étude contre les avancées de
l’extrême-droite au pouvoir !
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