L’extrême-droite
brésilienne est sur le point d’arriver au pouvoir, ce qui signifierait
un tremblement de terre politique et un saut qualitatif dans les
attaques contre les droits des travailleurs. Même si on ne peut pas
exclure un retournement de situation, les chances du PT semblent très
réduites.
La terre de la samba, le football, les plages et la bonne
humeur. Cette image caricaturale et utile pour vendre des voyages
touristiques est rentrée en collusion violemment contre la réalité d’un
pays embourbé dans une crise sociale et politique profonde. Pour la
première fois depuis la fin de la dictature et de la transition pactisée
sous la tutelle de l’armée à la fin des années 1980, un candidat
défendant ouvertement la dictature, les tortures et les crimes des
militaires est en passe d’arriver au poste de président.
Jair Bolsonaro, c’est le nom du candidat du Parti Social Libéral
(PSL) qui a obtenu un peu plus de 46% des voix au premier tour de
l’élection présidentielle dimanche dernier. L’ex capitaine de l’armée
est loin devant son rival au second tour, Fernando Haddad du Parti des
Travailleurs (PT) qui a obtenu près de 29%. Ces résultats défient tous
les sondages d’avant le premier tour : même si depuis longtemps on
envisageait ce duel au second tour, personne n’avait prédit un tel score
pour l’extrême-droite.
Aujourd’hui tout semble indiquer que ce sera Bolsonaro qui emportera
l’élection lors du second tour le 28 octobre prochain. Même si l’on ne
doit pas exclure la possibilité d’un retournement, il semble de plus en
plus compliqué que le PT réussisse à s’imposer.
Les conséquences du putschisme institutionnel permanent depuis 2016
Cette situation s’explique fondamentalement par le climat social et
politique créé par le coup d’Etat institutionnel contre Dilma Rousseff
en 2016 et les différentes manœuvres et manipulations antidémocratiques
et arbitraires de la part du pouvoir judiciaire.
En effet, l’opération anticorruption « Lava Jato » menée par le
pouvoir judiciaire, qui visait principalement le PT dans un régime où la
corruption est endémique et touche l’ensemble des partis politiques, a
favorisé la création d’un climat social et politique profondément
anti-PT. Le point le plus élevé de cette véritable campagne anti-PT a
été l’emprisonnement arbitraire de Lula et la proscription
antidémocratique de sa candidature.
Cela a eu un effet particulièrement fort parmi les couches des
classes moyennes aisées, traditionnellement la base sociale de la droite
libérale (PSDB), qui se sont radicalisées et ont vu en Bolsonaro une
opportunité de se « débarrasser des gauchistes du PT ».
Ceux-ci ont été rejoints par certaines franges des classes
populaires, exaspérées contre la corruption et la situation économique.
Ces secteurs des classes populaires, traditionnellement conservateurs et
souvent influencés par les églises évangéliques, ont été séduits par le
discours « radical » de Bolsonaro promettant des punitions fermes
contre les « bandits », favorable à la peine de mort mais aussi voulant
mettre de l’ordre dans un pays où les féministes et les LGBT porteraient
atteinte à la moralité et aux valeurs de la famille.
Bolsonaro n’était pas le premier choix du pouvoir judiciaire, du
capital étranger et national, des grands médias ni même de l’armée. Loin
de là. Mais face à l’impossibilité d’imposer « leur » candidat, plus
modéré et centriste, Geraldo Alckmin du PSDB, ces derniers jours ils ont
fait leur choix. La croissance de la popularité de ce politicien
médiocre, même pour les critères bourgeois, est un résultat direct (et
non désiré) du putschisme institutionnel.
Effondrement de la droite libérale
Dans ce contexte ultra hostile et rempli de manipulations contre le
PT, on peut dire que celui-ci obtient un résultat qui n’est pas des plus
mauvais. Cependant, les difficultés pour le parti de Lula et Haddad se
trouvent dans le fait que leurs potentiels alliés du centre-droit face à
Bolsonaro se sont complètement effondrés.
En effet, après le coup d’Etat institutionnel, soutenu par
pratiquement toutes les forces du « Grand Centre », il y a eu un moment
d’affrontement entre « l’aile politique » du régime (les anciens partis,
y compris le PT) et le pouvoir judiciaire et l’opération Lava Jato. Les
premiers s’inquiétaient que la Lava Jato ne finisse par délégitimer
l’ensemble des partis politiques.
Au vu des résultats de Bolsonaro et de l’effondrement de la droite
libérale, pilier du régime brésilien, on peut affirmer que ces craintes
se sont concrétisées. En effet, le Parti Social-Démocrate du Brésil
(PSDB) a obtenu moins de 5% des voix aux présidentielles. Sa base
sociale a préféré le « vote utile » contre le PT. Mais celui-ci était
déjà remis en cause par les classes moyennes qui lui récriminaient de
faire partie aussi des schémas de corruptions qui minent la vie
politique brésilienne.
Il s’agit de la pire performance de la droite libérale depuis le
retour de la démocratie au Brésil. Et même si elle dispute encore
l’élection au gouvernement d’Etats importants du pays (São Paulo, Minas
Gerais et Rio Grande do Sul), les figures qui arrivent au second tour de
ces élections sont assez extérieures à l’appareil et en quelque sorte
ont déjà exprimé leur adhésion à Bolsonaro pour le second tour.
Sans aucun doute, la droite libérale est déjà l’un des grands
perdants de ces élections. Mais cela n’est pas seulement dû à la
radicalisation de la base électorale de la droite et à sa recherche d’un
« vote utile »contre le PT. Le PSDB a également commis quelques fautes
politiques importantes ces dernières années. Comme explique le
sociologue Marcos Coimbra qui s’interroge carrément sur la possibilité d’une « disparition du PSDB » : « la
façon dont le PSDB a agit lors des élections de 2014 [son candidat
n’avait pas reconnu le résultat], la participation du parti à la
destitution de l’ex-présidente Dilma et au gouvernement Temer a affaibli
le parti en tant que principale opposition au PT ».
Se préparer pour des explosions sociales d’ampleur
Indépendamment du résultat au second tour, on peut dire déjà que la
stratégie électoraliste et conciliatrice du PT est totalement
impuissante face à la montée de l’extrême-droite. Car même en cas de
victoire (qui semble aujourd’hui improbable) du PT, le courant politique
de Bolsonaro et sa nouvelle force militante vont continuer à se
renforcer à la faveur de la polarisation sociale et politique que
connait le pays.
Le PT se prépare, en cas d’éventuelle victoire, à gouverner en
coalition avec la droite libérale et surtout en respectant les intérêts
des grands groupes financiers et industriels. Dans ces conditions, un
agenda d’attaques contre les travailleurs s’imposerait sans aucun doute.
Mais la réalité c’est que le scénario le plus probable est celui
d’une victoire de Bolsonaro et de l’extrême-droite. Cette extrême-droite
qui se dit « nationaliste » mais qui, comme tous ces courants
réactionnaires dans les pays dominés par les intérêts impérialistes, est
totalement servile aux capitalistes nord-américains et européens.
Bolsonaro et son probable ministre de l’économie veulent appliquer un
plan totalement néolibéral s’inscrivant dans la continuité radicalisée
de la politique du président putschiste Michel Temer.
En ce sens, quand Bolsonaro voudra appliquer les privatisations, les
législations dégradant les conditions de travail et de vie de la
population ouvrière et populaire, entre autres attaques contre les
droits démocratiques, des femmes et des minorités opprimées, il devra
faire face à la lutte de classe. Certains secteurs populaires qui
aujourd’hui le soutiennent pourraient rompre radicalement avec
l’ex-capitaine réactionnaire. Dans un contexte de crise politique et
économique et de polarisation, on peut en effet s’attendre à de grandes
explosions sociales.
En ce sens, pour les travailleurs s’impose de façon urgente la
construction d’une alternative politique avec indépendance de classe,
anticapitaliste et révolutionnaire, capable de dépasser par la gauche le
PT et ses bureaucraties qui sont aujourd’hui l’obstacle le plus grand à
la résistance face au putschisme et aux attaques des capitalistes. Avec
la force des travailleurs organisés, des femmes en lutte contre le
machisme et pour leurs droits, des LGBT, des Noirs, il est possible de
lutter contre l’extrême-droite dans les rues, les lieux de travail et
d’étude. Il est possible de faire face à Bolsonaro et à tous les
capitalistes, et de leur imposer une défaite.
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