La
ténacité des travailleurs, de la jeunesse et des masses en Jordanie a
non seulement eu raison de l'ancien premier ministre, mais a fait aussi
reculer le nouveau gouvernement, le roi et le FMI. La reforme
antipopulaire de l'imposition sera retirée. La Jordanie montre la voie à
suivre.
La monarchie jordanienne avait essayé de faire baisser la
pression sociale après plusieurs jours de manifestations massives et une
grève générale en poussant l’ex premier ministre Hani al-Mulki à la démission.
Mais rien n’y a fait. Les manifestations ont continué et une autre
grève générale a eu lieu mercredi. La détermination des travailleurs et
de la jeunesse à faire face aux mesures antipopulaires du gouvernement
et du FMI était énorme.
En effet, l’annonce de la part du gouvernement d’une nouvelle loi sur
l’imposition qui allait faire payer plus d’impôts sur les revenus aux
ménages populaires avait mis le feu aux poudres. A cela il faut ajouter
une hausse très importante du prix des services du gaz et de
l’électricité. Dans un pays où la jeunesse et les femmes souffrent d’un
taux de chômage de près de 20%, où depuis plusieurs mois les prix des
biens de base ne cessent d’augmenter, ces augmentations dictées par le
FMI étaient intolérables.
La mobilisation de masse et les grèves ont jeté bas le premier
ministre et les augmentations de l’électricité et du gaz. Mais la
nouvelle loi sur l’imposition sur les revenues était restée en place. Le
roi Abdullah II avait essayé de faire baisser la pression avec des
discours qui se montraient "compréhensifs" à l’égard des manifestants.
Cependant rien n’y faisait.
Les syndicats ont de leur côté essayé de mettre fin aux
manifestations et aux grèves pour "donner une chance au nouveau
gouvernement. Cependant, les représentants syndicaux ont dû revenir sur
leur décision… moins d’une heure après l’avoir annoncé.
Des milliers de manifestants avaient en effet entouré l’immeuble où se
tenait la réunion syndicale et après l’annonce le mécontentement et la
colère des travailleurs et des jeunes rassemblés a obligé les dirigeants
à appeler à continuer les grèves et les mobilisations jusqu’au retrait
de la loi sur l’imposition des revenus.
Finalement, le nouveau premier ministre nommé par le roi, Omar
al-Razzaz, a dû annoncer que son gouvernement allait retirer la nouvelle
loi. Des députés avaient également annoncé que la nouvelle loi
n’obtiendrait de toute façon pas les voix nécessaires pour être adoptés
au parlement.
Les travailleurs et la jeunesse devront rester évidemment en état
d’alerte car le premier ministre a annoncé que ce retrait du projet de
réforme se faisait à la faveur de l’élaboration d’un nouveau projet de
réforme de l’imposition, plus large.
Cependant, il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’une première victoire
très importante des travailleurs et des classes populaires contre les
plans d’un régime réactionnaire et du FMI. C’est un recul d’autant plus
important qu’il se produit dans une région ravagée par les guerres
réactionnaires, où les travailleurs et les masses doivent faire face à
des régimes rétrogrades et profondément antipopulaires. Cette première
victoire est importante aussi car elle a été imposée à travers des
méthodes de lutte de la classe ouvrière, comme les deux grèves générales
qui ont eu lieu en moins d’une semaine d’écart, les mobilisations.
Pour le moment, le plus probable c’est que les manifestations et les
grèves s’arrêtent, au moins dans la forme qu’elles ont prise ces
derniers jours. Cependant, pour le régime la menace de nouvelles crises
sociales restera une menace permanente. Non seulement parce que les
travailleurs et les masses ont fait l’expérience de leur force sociale
et qu’il était possible de faire plier le gouvernement, mais aussi parce
que les contradictions structurelles de l’économie jordanienne ne
permettent pas de résoudre à court ni à moyen terme la situation de
millions de travailleurs.
En effet, l’économie jordanienne est hautement dépendante de l’aide
internationale de ses alliés régionaux et internationaux (Arabie
Saoudite, Israël, Etats Unis). Il s’agit d’un pays avec une "tradition"
d’exportation de la main d’œuvre, notamment vers les pays du Golfe (avec
la crise entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, 45 000 travailleurs
jordaniens risquent d’être expulsés par Doha). Son industrie du tourisme
se trouve fortement touchée par le contexte régional de guerres et
tensions. Le pays n’a pas de ressources naturelles importantes comme ses
voisins du Golfe.
A tout cela il faut ajouter l’arrivée massive de réfugiés syriens et
irakiens. Bien que le pays soit traditionnellement un pays d’accueil de
réfugiés (50% de sa population est d’origine palestinienne), l’arrive de
centaines de milliers de réfugiés supplémentaires fuyant les guerres
dans leurs pays représente un poids réel très lourd pour l’économie
jordanienne et renforce sa dépendance vis-à-vis de l’aide
internationale.
Justement, des pays comme l’Arabie Saoudite depuis deux ans ont
arrêté de verser des aides à la Jordanie. Des analystes estiment que le
prince héritier saoudien Mohammed bin Salman dans sa politique étrangère
agressive entend forcer la Jordanie à devenir un pays complètement
vassal du royaume des Saoud. De là la suspension des aides à la Jordanie
(entre 1 et 1,5 milliards de dollars par an).
Si on ajoute à ces éléments économiques, un régime politique
verrouillé, contrôlé par la famille royale et sa court, les services
secrets et un parlement complètement fantoche, tous les éléments sont
réunis pour que la prochaine explosion sociale puisse mettre en danger
les fondements du régime et non seulement quelques mesures
antipopulaires que tel ou tel gouvernement aurait prises.
RP.
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