8.6.18

Jordanie. La détermination des travailleurs fait reculer le gouvernement, le roi et le FMI


La ténacité des travailleurs, de la jeunesse et des masses en Jordanie a non seulement eu raison de l'ancien premier ministre, mais a fait aussi reculer le nouveau gouvernement, le roi et le FMI. La reforme antipopulaire de l'imposition sera retirée. La Jordanie montre la voie à suivre.
Philippe Alcoy

La monarchie jordanienne avait essayé de faire baisser la pression sociale après plusieurs jours de manifestations massives et une grève générale en poussant l’ex premier ministre Hani al-Mulki à la démission. Mais rien n’y a fait. Les manifestations ont continué et une autre grève générale a eu lieu mercredi. La détermination des travailleurs et de la jeunesse à faire face aux mesures antipopulaires du gouvernement et du FMI était énorme.

En effet, l’annonce de la part du gouvernement d’une nouvelle loi sur l’imposition qui allait faire payer plus d’impôts sur les revenus aux ménages populaires avait mis le feu aux poudres. A cela il faut ajouter une hausse très importante du prix des services du gaz et de l’électricité. Dans un pays où la jeunesse et les femmes souffrent d’un taux de chômage de près de 20%, où depuis plusieurs mois les prix des biens de base ne cessent d’augmenter, ces augmentations dictées par le FMI étaient intolérables.

La mobilisation de masse et les grèves ont jeté bas le premier ministre et les augmentations de l’électricité et du gaz. Mais la nouvelle loi sur l’imposition sur les revenues était restée en place. Le roi Abdullah II avait essayé de faire baisser la pression avec des discours qui se montraient "compréhensifs" à l’égard des manifestants. Cependant rien n’y faisait.

Les syndicats ont de leur côté essayé de mettre fin aux manifestations et aux grèves pour "donner une chance au nouveau gouvernement. Cependant, les représentants syndicaux ont dû revenir sur leur décision… moins d’une heure après l’avoir annoncé. Des milliers de manifestants avaient en effet entouré l’immeuble où se tenait la réunion syndicale et après l’annonce le mécontentement et la colère des travailleurs et des jeunes rassemblés a obligé les dirigeants à appeler à continuer les grèves et les mobilisations jusqu’au retrait de la loi sur l’imposition des revenus.

Finalement, le nouveau premier ministre nommé par le roi, Omar al-Razzaz, a dû annoncer que son gouvernement allait retirer la nouvelle loi. Des députés avaient également annoncé que la nouvelle loi n’obtiendrait de toute façon pas les voix nécessaires pour être adoptés au parlement.

Les travailleurs et la jeunesse devront rester évidemment en état d’alerte car le premier ministre a annoncé que ce retrait du projet de réforme se faisait à la faveur de l’élaboration d’un nouveau projet de réforme de l’imposition, plus large.

Cependant, il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’une première victoire très importante des travailleurs et des classes populaires contre les plans d’un régime réactionnaire et du FMI. C’est un recul d’autant plus important qu’il se produit dans une région ravagée par les guerres réactionnaires, où les travailleurs et les masses doivent faire face à des régimes rétrogrades et profondément antipopulaires. Cette première victoire est importante aussi car elle a été imposée à travers des méthodes de lutte de la classe ouvrière, comme les deux grèves générales qui ont eu lieu en moins d’une semaine d’écart, les mobilisations.

Pour le moment, le plus probable c’est que les manifestations et les grèves s’arrêtent, au moins dans la forme qu’elles ont prise ces derniers jours. Cependant, pour le régime la menace de nouvelles crises sociales restera une menace permanente. Non seulement parce que les travailleurs et les masses ont fait l’expérience de leur force sociale et qu’il était possible de faire plier le gouvernement, mais aussi parce que les contradictions structurelles de l’économie jordanienne ne permettent pas de résoudre à court ni à moyen terme la situation de millions de travailleurs.

En effet, l’économie jordanienne est hautement dépendante de l’aide internationale de ses alliés régionaux et internationaux (Arabie Saoudite, Israël, Etats Unis). Il s’agit d’un pays avec une "tradition" d’exportation de la main d’œuvre, notamment vers les pays du Golfe (avec la crise entre l’Arabie Saoudite et le Qatar, 45 000 travailleurs jordaniens risquent d’être expulsés par Doha). Son industrie du tourisme se trouve fortement touchée par le contexte régional de guerres et tensions. Le pays n’a pas de ressources naturelles importantes comme ses voisins du Golfe.

A tout cela il faut ajouter l’arrivée massive de réfugiés syriens et irakiens. Bien que le pays soit traditionnellement un pays d’accueil de réfugiés (50% de sa population est d’origine palestinienne), l’arrive de centaines de milliers de réfugiés supplémentaires fuyant les guerres dans leurs pays représente un poids réel très lourd pour l’économie jordanienne et renforce sa dépendance vis-à-vis de l’aide internationale.

Justement, des pays comme l’Arabie Saoudite depuis deux ans ont arrêté de verser des aides à la Jordanie. Des analystes estiment que le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman dans sa politique étrangère agressive entend forcer la Jordanie à devenir un pays complètement vassal du royaume des Saoud. De là la suspension des aides à la Jordanie (entre 1 et 1,5 milliards de dollars par an).

Si on ajoute à ces éléments économiques, un régime politique verrouillé, contrôlé par la famille royale et sa court, les services secrets et un parlement complètement fantoche, tous les éléments sont réunis pour que la prochaine explosion sociale puisse mettre en danger les fondements du régime et non seulement quelques mesures antipopulaires que tel ou tel gouvernement aurait prises.

RP.

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