Après
une grève générale la semaine dernière et des mobilisations massives
pendant plusieurs jours contre des mesures anti-populaires, le premier
ministre jordanien a dû démissionner. Alors que le mouvement ne s'arrête
pas, il s'agit d'un avertissement pour les gouvernements de toute la
région.
L’ex-premier ministre, Hani Mulki, a été nommé à la tête d’un
« gouvernement technique » en 2016 pour mener des contre-réformes
anti-populaires dans un pays avec très peu de ressources naturelles,
très peu de terres cultivables et dépendant des aides internationales
pour le développement, notamment des États-Unis – un allié central du
pays – mais aussi de l’Arabie Saoudite et les pétromonarchies du Golf
comme les Émirats ou encore le Qatar.
Cette dépendance de l’aide internationale est d’autant plus marquée
aujourd’hui que le pays a accueilli autour de 660 000 réfugiés syriens
(près de 7 % de sa population totale). C’est aussi dans ce cadre que
s’inscrit le prêt du FMI. Mais la « solidarité internationale » a des
limites et cet emprunt était conditionné aux dures mesures d’austérité
et d’attaques contre les classes populaires.
(Carte : Geopolitical Futures)
Cependant, ces mesures ont souvent dû être retirées ou le
gouvernement a dû reculer partiellement pour éviter l’explosion sociale.
La Jordanie a connu rarement des mouvements sociaux de cette ampleur,
le régime essayant en permanence de garder un certain équilibre. A titre
d’exemple, depuis 2016 il y a eu six remaniements du gouvernement.
Mais cette fois c’en était trop et les travailleurs ont réagi. Les
syndicats du pays ont appelé mercredi dernier à une grève contre
l’augmentation des impôts pour les plus démunis et contre l’inflation.
La grève a été très suivie et depuis, tous les soirs, des manifestations
massives ont lieu à Amman, la capitale, mais aussi dans d’autres
villes. La colère populaire s’est répandu d’autant plus que le lendemain
de la grève le gouvernement n’a eu meilleure idée que d’annoncer une
augmentation de 5,5 % du prix de l’essence et de 19 % du prix de
l’électricité.
L’ampleur de la contestation a finalement eu raison du premier
ministre. Dans la foulée, le régime a annoncé qu’il annulait les
augmentations de l’essence et de l’électricité mais maintenait la hausse
des impôts. Selon la presse, le roi Abdullah II aurait demandé au
ministre de l’éducation, Omar al-Razzaz, un ancien économiste de la
Banque Mondiale formé à Harvard, de former un nouveau gouvernement.
Alors que traditionnellement le roi utilise la démission des premiers
ministres et des ministres pour canaliser la colère sociale, cette fois
cela ne semble pas marcher, au moins pour le moment. Ainsi, les
manifestants ont continué à descendre dans la rue après la démission de
Mulki et les syndicats ont annoncé qu’ils maintenaient l’appel à la
grève pour ce mercredi, car le gouvernement n’a toujours pas retiré son
projet de loi visant à augmenter les impôts des travailleurs.
Il reste à voir si le mouvement s’approfondit ou si finalement la
monarchie arrive à le canaliser, ce qui semble aujourd’hui une tâche
très difficile. Cependant, le plus significatif c’est ce que la
mobilisation en Jordanie peut être en train d’annoncer sur les futures
crises sociales dans les pays de la périphérie capitaliste : des
mobilisations contre les hausses des prix des produits de base et des
services, contre les impôts régressifs, contre le chômage et les mesures
d’austérité dictées et imposées par des organismes internationaux tels
que le FMI.
Ces types de mobilisations, on les a déjà vues récemment en Tunisie, au Maroc, en Égypte mais aussi à sa façon en Iran.
Ce type de mobilisation menace également la Turquie où la situation
économique se dégrade de plus en plus avec une monnaie fortement
dévaluée au cours des derniers mois et où les prix des produits de
première nécessité menacent d’exploser. Au-delà de la région on peut
évoquer également les difficultés sociales, politiques et économiques en
Amérique latine, notamment en Argentine où le gouvernement vient de faire appel au FMI.
Même si d’un point de vue économique la Jordanie est un pays très
faible et dépendant, d’un point de vue géopolitique c’est un élément clé
de la politique impérialiste dans la région. Amman est un allié très
important des États-Unis mais aussi d’Israël et de l’Arabie Saoudite.
Elle est incluse dans le « club » de régimes réactionnaires sur lesquels
comptent les puissances impérialistes pour maintenir l’ordre de
spoliation et d’oppression au Moyen-Orient. La déstabilisation sociale
et politique dans ce pays ne peut qu’être une mauvaise novelle pour ses
alliés.
Une mention spéciale est méritée pour le rôle des syndicats
jordaniens dans cette mobilisation par rapport à d’autres monarchies de
la région. En effet, au vu de la grève et les mobilisations contre les
mesures anti-populaires du gouvernement et le rôle que des syndicats
peuvent y jouer, il n’est pas étonnant que les pétromonarchies
interdisent tout type d’organisation des travailleurs, qu’elles
maintiennent dans un état de semi-esclavage leur main d’œuvre
(majoritairement étrangère), sans pratiquement aucun droit politique et
social. Le soulèvement des masses, notamment de la classe ouvrière, a
toujours été (et reste) la hantise de ces régimes réactionnaires dont
l’impérialisme a été un soutien fondamental.
La mobilisation actuelle en Jordanie montre que la classe ouvrière
dans cette région va encore faire parler d’elle mais surtout démontre
que ce sont les travailleurs alliés aux classes populaires les seuls à
même de pouvoir offrir des perspectives progressistes.
RP.
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