Le
dessinateur Riss a voulu justifier son dessin raciste sur une militante
de l’UNEF portant le voile dans une petite note dans Charlie Hebdo. Il
ne fait qu’étaler davantage son cynisme réactionnaire et une logique
héritée du colonialisme français.
Philippe Alcoy
La petite note de Riss se divise en deux parties. La première essaye
de dévier l’axe de la discussion et l’amener sur celui de la « liberté
d’expression » en se basant sur un supposé « sens commun » de
l’exposition médiatique des « personnages publics ». Ainsi, il y écrit :
« du moment où un citoyen s’engage dans la vie publique (…) il devient
un personnage public. (…) on entre alors dans la sphère publique et il
faut accepter les règles ».
Sauf que si la caricature a suscité nombre de critiques, ce n’était
pas pour reprocher à Riss d’avoir dessiné quelqu’un mais par le
caractère raciste du dessin lui-même. Et cela n’a rien à voir avec
l’exposition des citoyens « engagés dans la vie publique ».
Rappelons que Riss s’attaque dans sa caricature à une jeune femme de
19 ans et lui inflige une humiliation complètement raciste : ses traits
rappellent ceux d’un singe, tirant la langue et en bavant, un visage de
« stupide », le tout couronné d’un voile sur la tête. Et cela est
fondamental. C’est le fait que cette militante porte le voile qui a
incité Riss à faire cette caricature digne des caricatures antisémites
des années 1930.
Ce que beaucoup reprochent à Riss, ce n’est pas d’avoir dessiné cette
militante mais le fait d’avoir voulu lui « faire payer », à travers une
tentative d’humiliation publique et massive, le fait d’être musulmane
et de porter un voile tout en « prétendant » participer à la vie
publique en étant présidente locale d’un syndicat étudiant.
En essayant de justifier son droit à l’humiliation raciste, Riss
explique ensuite : « si [les règles de l’exposition publique] ne
conviennent pas au citoyen, il lui est toujours possible de rester
tranquillement chez lui, là où personne ne viendra le dessiner ». Encore
une affirmation cynique pour justifier l’acharnement contre une jeune
femme appartenant à une confession minoritaire en France – dont
l’histoire d’oppression coloniale et impérialiste est légendaire.
Mais Riss n’est pas à son coup d’essai quant à l’humiliation et à la
diffusion de préjugés racistes contre des minorités opprimées en France
et en Europe. Il dit que la solution est de rester chez soi « où
personne ne viendra vous dessiner ». Mais dans ce cas-là, le petit Aylan
de trois ans, mort noyé dans la Méditerranée avec ses frères et sa
maman en essayant de rejoindre les côtes européennes, qu’avait-il
demandé pour mériter un dessin xénophobe de la part de Riss ? En effet,
le dessinateur avait fait une caricature où on pouvait voir des hommes,
à la tête de cochons, représentant des migrants poursuivant des femmes,
avec une inscription « que serait devenu le petit Aylan s’il avait
grandi ? » et en dessous la réponse : « Tripoteur de fesses en
Allemagne ».
On peut se demander également qu’avaient demandé en termes
« d’exposition publique » toutes ces femmes musulmanes stigmatisées dans
un autre dessin de Riss où on les représente enceintes, sans dents et
fâchées, exigeant que l’on ne « touche pas aux allocs ». Un « humour »
complètement réactionnaire et qui encore une fois renforces les préjugés
xénophobes les plus rétrogrades de la société française.
Mais le pire de tout cela c’est que Riss essaye de dissimuler son
racisme à forte tendance islamophobe à travers un discours soi-disant
« progressiste », « féministe » et (cerise sur la gâteau) « pour la
libération sexuelle ».
Ainsi, dans la deuxième partie de la note de Riss, on retrouve
l’explication de fond de son dessin. En fait, la caricature ne viserait
pas personnellement Maryam Pougetoux, la militante de l’UNEF, mais
l’évolution de ce syndicat. En prenant un ton ironique, Riss qui se dit
si « féministe » décide de prendre à la légère les dénonciations de
harcèlement sexuel au sein de l’UNEF pour justifier l’injustifiable.
Ainsi, il explique qu’il y a « plusieurs semaines, on apprenait que
le syndicat étudiant était accusé de plusieurs cas de harcèlement sexuel
sur des adhérentes. L’élection d’une femme voilée dans ce syndicat est
peut-être une réponse à ce problème : pour ne pas tenter les étudiants
mâles de l’Unef, c’est aux femmes elles-mêmes de se protéger d’eux en
cachant des attraits auxquels ils ne pourraient résister ».
Or, dans le dessin de Riss, il n’est nulle part question de
harcèlement sexuel mais de la lutte contre ParcourSup. C’est d’ailleurs à
ce propos que Maryam Pougetoux est intervenue à la télé. La
manipulation des cas de harcèlement au sein de l’UNEF est honteuse
également. Le dessin de Riss représente sans aucun doute une humiliation
publique d’une militante syndicale étudiante à cause de la façon dont
elle est habillée et de ce que cela représente en termes de croyances
religieuses. Parallèlement, son dessin contribue à la délégitimation des
luttes étudiantes contre la sélection.
Riss essaye de se justifier mais il s’enfonce. Il est pris dans la
contradiction de produire des dessins ouvertement racistes tout en
voulant présenter une image soi-disant « progressiste ». C’est pour cela
qu’il finit sa note en faisant une référence à Mai 68 : « cinquante ans
après Mai 68, la libération sexuelle et l’émergence des premiers
mouvements féministes, l’Unef méritait bien une couv ».
Seulement, depuis longtemps Riss et Charlie Hebdo sont bien loin des
valeurs que véhiculaient les jeunes et les travailleurs qui ont
participé activement dans la plus grande grève générale de l’histoire de
la France.
Les caricatures de Riss et surtout la logique politique derrière
celles-ci ont plus à voir avec « l’Algérie française » qu’avec Mai 68.
La caricature de Riss contre Maryam Pougetoux s’inscrit dans la logique
coloniale française qui, avec la politique de l’assimilation forcée et
le code de l’indigénat, disaient explicitement aux « sujets » colonisés
que s’ils voulaient avoir une chance minimale d’être considérés des
« citoyens », il fallait renier et renoncer à leur culture, leur
religion, leur identité. Dans le cadre de cette logique, le message que
Riss, et avec lui presque l’ensemble de la « classe politique »
française, veulent faire passer à l’ensemble des racisés et des opprimés
de ce pays, musulmans ou pas, c’est que s’ils veulent « s’engager dans
la vie publique » il va falloir renoncer à leur identité, à moins d’être
prêts et prêtes à subir les plus violentes tentatives d’humiliation
publique dans la presse mais aussi à partir des institutions de l’État.
Riss aurait mieux fait d’épargner son temps et de préparer sa
prochaine caricature raciste plutôt que d’écrire un torchon qui n’a fait
que confirmer son caractère de caricaturiste réactionnaire, idiot utile
du système.
Note de Riss :
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