Le
coup de force du président italien Sergio Mattarella a non seulement
transformé la crise politique en crise institutionnelle mais sème
également le trouble sur les marchés. Un mouvement qui risque de
s'élargir à d'autres pays fragiles de l'UE.
Philippe Alcoy
Après l’annonce par le président Mattarella qu’il refusait la
nomination de l’eurosceptique Paolo Savona (81 ans) au poste de ministre
des finances du gouvernement de coalition de la Ligue et du Mouvement
Cinq Etoiles (M5S) dimanche soir, les marchés sont restés relativement
calmes lundi. Cependant, dès mardi la perspective d’une crise politique
« imprévisible » commençait à s’exprimer sur les marchés.
Ainsi, les taux d’intérêts de la dette italienne à 2 ans ont atteint
2 % (il y a 15 jours ils se trouvaient à presque 0 %), le niveau le plus
élevé depuis 2013 ; ceux de la dette à dix ans ont quant à eux atteint
3 %. Ces indices expriment le fait que, face aux incertitudes
politiques, le capital financier exige des profits plus importants pour
investir dans la dette italienne. Ce sont en effet les hausses les plus
importantes depuis… la création de l’euro.
L’euro justement reculait mardi matin au même niveau qu’en novembre
dernier, à 1,16 dollars. Effectivement, les secousses financières ne se
sont pas limitées à l’Italie et elles ont également touché d’autres pays
européens déjà fragilisés par des situations politiques et économiques
compliquées comme le Portugal et l’Espagne.
L’indice boursier milanais FTSE MIB a fermé à -2,7%. Le secteur
bancaire a été l’un des plus touchés par les craintes des spéculateurs.
Ainsi, la banque italienne UniCredit perdait 5,6% en bourse. Mais là
aussi il y a eu un effet de "contagion" à d’autres institutions
européennes : Santander reculait de 5,4%, la BNP Paribas de 4,5%,
l’allemande Commerzbank de 4%.
Les « antisystèmes » rassurent les marchés
Face à cette avalanche de chiffres en rouge les leaders des
formations « populistes » de droite ont fait des déclarations pour
tenter de « rassurer » les marchés. Ainsi, Luigi Di Maio, leader du M5S
en déplacement à Naples a déclaré à propos de la sortie de l’euro : « si
les marchés financiers tournent mal, ce n’est pas de notre faute, car
nous n’avons jamais dit que nous voulions quitter l’euro ».
Le leader du M5S a aussi déclaré qu’il renonçait à lancer une
procédure d’impeachment contre le président Mattarella car Matteo
Salvini, chef de file de la Ligue (du Nord), n’est plus disposé à
l’accompagner dans cette démarche. Di Maio a même exprimé la « possibilité de collaborer avec Mattarella pour sortir de la crise ».
Les deux formations populistes, mais aussi le Parti Démocratique de
l’ancien premier ministre Matteo Renzi et Forza Italia de Berlusconi,
semblent plutôt parier sur la convocation rapide à des élections
générales où ils comptent améliorer leurs scores. La presse italienne
évoque la date du 29 juillet.
Des eaux troubles, des ports incertains
Les (très) probables élections anticipées vont sans aucun doute
bénéficier aux partis dits populistes de droite : la Ligue et le M5S.
Or, la question qui se pose maintenant est celle de savoir si ces
nouvelles élections ne vont pas ouvrir une lutte politique entre les
deux formations « anti-establishment ». En effet, la manœuvre du
président Mattarella semble favoriser davantage la Ligue. Ainsi, l’écart
entre les deux formations se réduit drastiquement : selon un sondage de
mardi la Ligue gagne 10 % d’intentions de vote par rapport aux
élections du 4 mars (27 % contre 17 %) à seulement 2 points du M5S qui
descend à 29 %.
Pour beaucoup cela pose la question même de savoir si une réédition
de la coalition entre ces deux organisations serait possible dans un
scénario où la Ligue et le M5S soient plus ou moins à égalité à autour
de 30 % de voix chacun. Le rapport de forces plus favorable à la Ligue
pourrait faire que celle-ci explore des alliances vers le centre-droite
(Forza Italia) et ainsi former une coalition plus « acceptable » pour
l’establishment.
Une colonne d’opinion parue dans le Financial Times va en tout cas en ce sens : « le
besoin d’une autre élection semble très artificiel. Il aurait
facilement pu être évité mais Matteo Salvini, le leader de la Ligue,
semble plutôt avoir cherché un prétexte pour créer un choc de type ’qui
gouverne l’Italie ?’ lequel, il l’espère, transformera son statut de
partenaire junior de la coalition en celui de leader du centre-droit, et
peut-être de l’Italie ». Dans ce cas, il est compréhensible que
Salvini ait renoncé à procéder à la destitution de Mattarella et qu’il
ait intérêt à ce que les élections aient lieu le plus rapidement
possible.
Quoi qu’il en soit, il est clair que le coup de force de Mattarella,
au-delà du degré de manœuvre, risque non seulement de booster les partis
« anti-establishment » en Italie mais à travers l’UE, notamment
vis-à-vis des élections européennes de 2019.
Pour les travailleurs ces formations réactionnaires ne sont en aucun
cas une option pour résoudre leurs problèmes, bien au contraire. La
réaction de la classe ouvrière, avec une politique indépendante, aussi
bien des fractions politiques directement liées au capital le plus
concentré que des formations populistes nationalistes et xénophobes,
sera fondamentale pour éviter de subir des situations encore plus
catastrophiques pour ses conditions de vie.
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