Présenté
longtemps comme l’une des « puissances émergentes », le Brésil est
englué dans une crise économique et politique profonde. La condamnation
de l’ex président Lula à 12 ans de prison ferme marque la continuité et
le renforcement du coup d’Etat institutionnel en cours depuis 2016. Mais
il pointe aussi l’échec de la stratégie du Parti des Travailleurs (PT).
Ce n’est pas la première fois que Lula Da Silva est impliqué
dans des affaires de corruption. A l’époque de sa réélection en 2006 il
était déjà englué dans un scandale d’achat de voix parlementaires.
Cependant, à l’époque, il y avait une certaine unanimité au sein des
classes dominantes brésiliennes pour reconduire leur soutien à Lula. Le
pays était en train de bénéficier du boom international de la hausse du
prix des matières premières.
Même au niveau international Lula apparaissait comme l’un des
présidents les plus populaires et plébiscités dans les milieux
d’affaires et les cercles de pouvoir. Ainsi, la justice brésilienne n’a
rien eu à redire sur la candidature et l’élection de Lula à l’époque.
Cependant, aujourd’hui, les choses ont changées. Le Brésil se trouve
dans une crise économique criante depuis plusieurs années et le patronat
a besoin de mesures d’austérité dures contre les travailleurs ; cela
implique également de mettre fin aux quelques concessions que les
gouvernements du PT avaient faites aux classes populaires sur la base
d’une certaine croissance économique.
Le PT était prêt à être l’agent politique de ces attaques. Sous le
gouvernement de Dilma Rousseff, qui avait succédé Lula, des mesures
antipopulaires avaient commencé à être prises. Cependant, une fraction
des classes dominantes a jugé que le PT n’était pas en mesure de mener à
bien ces contre-réformes et au rythme qu’elles auraient voulu.
Ainsi, à travers du pouvoir judiciaire, cette fraction des
capitalistes brésiliens, liée aux intérêts de l’impérialisme
nord-américain, a mené un coup d’Etat institutionnel pour destituer
Dilma. L’ex-allié du PT et vice-président de Dilma, Michel Temer (PMDB),
a alors assumé le poste de président en août 2016.
Il faut dire que les principaux acteurs du coup d’Etat institutionnel
de 2016 ont été intégrés au sein du gouvernement par le PT lui-même. Sa
politique de conciliation de classes et de gestion du capitalisme l’a
inévitablement mené à passer des alliances politiques avec des partis
parmis les plus corrompus et droitiers de l’échiquier politique
brésilien comme le PMDB de Michel Temer.
Suivant cette même logique de conciliation de classes, de « gestion
responsable » du capitalisme et de canalisation institutionnelle de la
lutte de classes, le PT a adopté une stratégie de démobilisation face à
l’offensive de la droite putschiste. Les centrales syndicales contrôlées
par le PT et ses alliés ont systématiquement refusé de mener la
résistance contre le coup d’Etat institutionnel dans les rues, dans les
lieux de travail et d’étude.
Cette stratégie du PT a permis le renforcement et la continuité du
« coup », mais aussi contribué à répandre un climat de démoralisation
parmi une importante partie de la classe ouvrière et des classes
populaires, base sociale historique du PT. Non seulement le PT a refusé
de mobiliser contre le « coup » mais même contre les mesures anti
populaires du gouvernement droitier de Temer, comme la réforme du code
du travail, la réforme des retraites, le gel pour les 20 prochaines
années des dépenses sociales, entre autres.
Cependant, les scandales de corruption et ces contre-réformes
antipopulaires du gouvernement dirigé par le PMDB ont miné l’image de
Temer, et aujourd’hui, celui-ci est devenu l’un des politiciens les plus
haïs au Brésil, et peut-être de l’histoire brésilienne.
La droite traditionnelle du PSDB (Pati Social-Démocrate du Brésil),
elle aussi empêtrée dans des affaires (mais bénéficiant d’un tout autre
traitement par la justice), n’a pas su capitaliser la chute du PT et
celle de Temer.
Dans ce contexte, l’ex président Ignacio Lula Da Silva est devenu le
candidat le plus populaire et celui qui risquait de remporter l’élection
présidentielle de cette année. En effet, quand il a quitté la
présidence en 2011 il jouissait d’une popularité déjà énorme : plus de
80% d’opinions favorable (comparés aux moins de 5% actuellement de
Temer…) Face à la débâcle actuelle du régime politique, beaucoup parmi
les classes populaires ont commencé à voir en Lula un « espoir ».
Cela est dû notamment au souvenir des mandats de Lula pendant
lesquels beaucoup de travailleurs pauvres ont eu pour la première fois
accès à la consommation (même si celle-ci se basait énormément sur
l’endettement privé) et à l’emploi (bien qu’une grande partie des postes
d’emploi créés était précaire).
Cependant, cela n’est pas le cas du capital brésilien. En effet,
malgré les fidèles et très bons services de Lula, le patronat brésilien,
appuyé par l’impérialisme nord-américain, ne semble pas être d’accord
avec cette alternative d’un retour de l’ex président syndicaliste. Une
présidence de Lula impliquerait beaucoup de contradictions et ne
garantirait en rien la fin de la crise politique et économique.
En effet, la base sociale de soutien à Lula est très populaire. Les
travailleurs et les millions de pauvres qui seraient prêts à voter pour
lui le feraient pour qu’il mène des programmes sociaux, pour qu’il crée
des emplois et permette à ces secteurs populaires durement touchés par
la crise de rattraper un peu de leur pouvoir d’achat perdu. Cependant,
cela n’est nullement le programme des capitalistes brésiliens. Au
contraire, le prochain gouvernement devrait être celui d’attaques encore
plus importantes contre les classes populaires brésiliennes.
Il faudrait dire également que, bien que Lula soit très apprécié par
les travailleurs et les pauvres, il est détesté parmi la classe moyenne
aisée et par la bourgeoisie, des secteurs avec une influence importante
dans la société et « l’opinion publique ». Sa présence sur la scène
politique renforce la polarisation sociale que connait le pays. En ce
sens, la semaine dernière, des généraux de l’armée brésilienne ont même
menacé d’une action militaire si Lula n’était pas emprisonné et qu’il se
présentait aux élections.
En effet, d’un point de vue symbolique, Lula concentre un grand
capital de détestation pour les classes dominante : un enfant pauvre du
nord-est brésilien parti avec sa famille vers São Paulo à la recherche
d’une vie meilleure ; qui a à peine fini l’école primaire mais qui a
réussi à devenir ouvrier métallurgique ; puis dirigeant syndical et
leader du mouvement de grève le plus important sous la dictature à la
fin des années 1970 ; ensuite dirigeant d’un parti qui se disait vouloir
représenter les travailleurs.
Ce sont d’ailleurs ces caractéristiques qui ont poussé la
bourgeoisie, dans un moment de crise importante au début des années
2000, de faire appel à Lula et éviter des explosions sociales au Brésil
comme celles que d’autres pays de la région connaissaient au même
moment. C’est ce que des journaux bourgeois importants tels que le Financial Times
reconnaissent : « pour un moment, l’habile négociateur syndical a mis
ensemble les deux Brésils apparemment irréconciliables – celui de
l’extrême pauvreté et celui des ultra-riches ».
Effectivement, la bourgeoisie a su profiter largement des
gouvernements du PT et notamment de l’action de Lula. Mais la
bourgeoisie est en même temps une classe avec une grande conscience
d’elle-même et avec une haine de classe très développée envers les
travailleurs et les secteurs populaires. Aujourd’hui la candidature de
Lula symbolise à ses yeux une politique « trop » favorable aux classes
populaires, même si Lula lui-même essaye de démontrer le contraire.
La contradiction c’est qu’actuellement le grand patronat et le
« parti judiciaire » à la tête du coup d’Etat institutionnel n’ont
aucune option alternative à Lula qui soit suffisamment légitime pour
mener à bien la continuité du « coup ». Le PSDB se trouve très bas dans
les sondages et c’est un politicien populiste d’extrême droite, Jair
Bolsonaro, qui risque d’arriver en tête au premier tour des élections au
milieu d’une myriade de candidatures diverses. Une option qui
risquerait d’approfondir la polarisation sociale et politique dans le
pays.
Ainsi à la crise économique s’est ajoutée une crise politique sans
perspective de solution rapide en vue. Aujourd’hui, comme affirme la
presse locale, avec la mise à l’écart de Lula, on se dirige vers
l’élection présidentielle la plus incertaine de l’histoire du Brésil.
Pour la classe ouvrière et l’ensemble des classes populaires il est
fondamental de se battre contre l’avancée réactionnaire pour mettre un
coup d’arrêt au coup d’Etat institutionnel et toute les mesures
antipopulaires. La situation est complexe et difficile mais, comme
l’explique Diana Assunção du Mouvement Révolutionnaire des Travailleurs et de l’Esquerda Diario :
« Les leçons du gouvernement du PT, du coup d’Etat institutionnel et de
la subordination à l’impérialisme ne devraient pas conduire à une unité
à tout prix pour que la gauche soit neutralisée par le PT mais à la
nécessité de la plus large intransigeance dans la défense d’un programme
qui lutte pour un gouvernement des travailleurs en rupture avec le
capitalisme, basé sur les organisations de démocratie directe des
masses ».
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