Une
action diplomatique coordonnée inouïe : plus de 100 diplomates russes
expulsés de pays occidentaux. Pour certains, il s’agit du début d’une
nouvelle Guerre Froide. Vraiment ?
La mesure est impressionnante, plus de 100 diplomates russes
expulsés en même temps de différents pays occidentaux. Même si cette
mesure se veut un geste de « solidarité » avec la Grande-Bretagne et
l’empoisonnement de l’ex-espion russe Sergueï Skripal, attribué à la
Russie, ce sont les États-Unis qui mènent l’offensive.
En effet, Washington a expulsé 60 diplomates russes accusés d’être
des « espions » sous couvert de mission diplomatique. Parmi ceux-ci on
compte 12 membres de la mission russe au siège de l’ONU à New York. Les
États-Unis, en plus des expulsions, ont également fermé le consulat de
Seattle, sous prétexte qu’il se trouverait à proximité d’une base
militaire américaine.
Du côté de l’UE, 14 pays ont aussi expulsé des diplomates russes,
notamment la France et l’Allemagne, mais aussi des pays comme l’Italie,
la Pologne, la Croatie, la Roumanie, les Pays-Bas, la Suède, l’Estonie,
la Lettonie, la Finlande, la République Tchèque et la Lituanie. D’autres
pays hors Union Européenne se sont aussi joints à l’offensive comme le
Canada, l’Australie ou encore l’Ukraine qui a expulsé 13 diplomates
russes.
Cette mesure spectaculaire apparaît comme une victoire pour la
première ministre britannique, Theresa May, embourbée en pleine crise
politique pour les négociations du Brexit, et qui depuis plusieurs
semaines accuse Moscou d’être responsable de l’empoisonnement de
l’ex-agent double russe. Celui-ci, ainsi que sa fille, auraient été
empoisonnés par un agent nerveux, le Novitchok, développé en Union
soviétique dans les années 1980.
« Nous considérons cette attaque comme un défi sérieux pour notre sécurité et comme une atteinte à la souveraineté européenne »
déclarait Emmanuel Macron. La France, et l’Allemagne, font partie des
pays européens à la tête de cette offensive également. Un alignement
total derrière la politique agressive des États-Unis mais qui en même
temps ne fait que mettre en avant l’hypocrisie du gouvernement
français : il y a quelques mois seulement, Poutine était reçu en grande
pompe à Versailles par Macron lui-même.
L’une des choses à remarquer dans cette affaire, et qui exprime les
tendances au discours de légitimation d’un certain « néolibéralisme
sénile », c’est que l’on essaye de présenter la tentative d’assassinat
d’un espion comme une « attaque contre la démocratie ». Les services
secrets sont en effet l’une des institutions de « l’État profond » les
plus cyniques et réactionnaires ; une partie essentielle des forces
répressives de l’État et de la domination de classe. Les assassinats
politiques, les coups bas, les trahisons, les complots, les vols, le
sabotage, entre autre basses besognes, font partie essentielle de ce
« métier ». Comme « étendard de la démocratie » il y a définitivement
mieux.
L’isolement international de Poutine
Quoi qu’il en soit, il s’agit de l’expulsion en masse de diplomates
russes de pays occidentaux la plus importante depuis la fin de la Guerre
Froide il y a un quart de siècle. Cette mesure collective a pour
conséquence également de renvoyer Poutine au rang de « paria
international », et d’isoler la Russie sur l’arène internationale.
En effet, malgré une période brève entre 2015, quand Poutine a
apporté son aide à Assad en Syrie, et la fin du mandat d’Obama, où la
Russie était devenue un acteur incontournable pour « résoudre » la
guerre civile syrienne, le Kremlin n’a pas réussi à rompre l’isolement
international.
Cependant Poutine a toujours su jouer avec les contradictions entre
les puissances impérialistes pour en tirer profit et couvrir ses propres
faiblesses. Dans ce cadre, il est évident qu’il y a une compétition
entre les États-Unis et la Russie autour de l’UE : la Russie veut
affaiblir l’influence de Washington sur l’Europe afin que les Européens
assouplissent les sanctions économiques qui pèsent sur la Russie depuis
2014 ; les États-Unis veulent affaiblir les liens entre l’UE et la
Russie notamment pour éviter un renforcement de l’Allemagne, un
potentiel concurrent sérieux au niveau mondial.
Les frictions entre Washington et Berlin ces dernières semaines
apparaissaient comme une bonne nouvelle pour la Russie. Cependant, avec
cette affaire de l’espion empoisonné, l’alliance atlantique s’est
ressoudée, au moins temporairement, mais surtout au détriment de la
Russie.
Une nouvelle Guerre Froide ?
Cet événement, en plus de toute une série de conflits entre les pays
occidentaux et la Russie de Poutine (Ukraine, Syrie, entre autres),
pousse certains à parler d’une « nouvelle Guerre Froide ». Cependant, on
est très loin d’une telle situation. La Russie de 2018 n’est pas l’URSS
et le monde d’aujourd’hui n’est pas celui d’avant 1989.
La Russie est aujourd’hui une puissance qui essaye de se faire une
place sur l’échiquier mondial. Cependant, le poids économique et
géopolitique de la Russie de Poutine n’a rien à voir avec celui de
l’URSS. La restauration capitaliste a fait de la Russie un pays très
dépendant des exportations d’hydrocarbures, son industrie a été
dévastée. La Russie a certes réussi à moderniser en grande partie son
appareil militaire mais, malgré des avancées non négligeables au
Moyen-Orient, elle a perdu son influence sur l’Ukraine, un pays central
dans le schéma géopolitique et militaire russe. On peut dire que la
Russie se trouve aujourd’hui, malgré les apparences et la propagande des
médias occidentaux, dans une position essentiellement défensive.
D’un point de vue idéologique, à la différence de l’URSS, même
complètement déformée par le stalinisme, le conflit entre la Russie et
l’Ouest n’a rien à voir non plus. Comme l’affirme un article récent de Foreign Affairs : « l’idéologie
n’est plus le principal déterminant [des tensions Est-Ouest]. La Chine,
l’Europe, l’Inde, la Russie et les États-Unis sont en désaccord sur
plein de sujets, mais non sur la valeur du capitalisme et du marché ».
La clé de la situation est le recul de l’hégémonie nord-américaine.
Après la chute de l’URSS et un peu plus d’une décennie d’euphorie et de
domination absolue et indiscutable de l’impérialisme nord-américain dans
le monde, les échecs des guerres en Irak et en Afghanistan et la crise
économique de 2007-2008 ont marqué un point d’inflexion important.
Parallèlement, aussi bien la Russie que la Chine et d’autres puissances
régionales ont gagné un certain poids économique, géopolitique et
militaire, sans que cela implique que ces puissances apparaissent
aujourd’hui comme concurrentes à l’hégémonie mondiale des États-Unis.
Cependant, une partie des élites nord-américaines, Trump et son
« make America great again », voudraient revenir à cette période
exceptionnelle de domination absolue et indiscutée des États-Unis sur le
plan économique, géopolitique et militaire. Or, le monde actuel n’est
pas celui des années 1990.
C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’offensive diplomatique
contre la Russie mais aussi celle contre l’Iran, la Chine et également,
malgré le front anti-Russie actuel, contre l’UE et particulièrement
l’Allemagne. Mais alors la question qui se pose est : les États-Unis
peuvent-ils revenir au monde unipolaire d’hégémonie nord-américaine
indiscutable de façon pacifique ? Poser la question de cette façon parle
déjà des risques face auxquels le monde se trouve.
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