14.2.18

Ukraine. Le président déporte son principal opposant en Pologne


Nouveau coup de théâtre dans la lutte au sein du camp pro-occidental en Ukraine. L’ex-président géorgien, Mikheil Saakashvili, devenu le principal opposant du président ukrainien Petro Poroshenko, a été déporté ce lundi en Pologne. Une situation qui semble échapper au contrôle des dirigeants occidentaux.
Philippe Alcoy

Des officiers de la police des frontières, cagoulés, ont fait irruption lundi dans un restaurant de la capitale ukrainienne, Kiev, où ils ont plaqué contre le sol et arrêté l’opposant Mikheil Saakashvili. Dans la foulée on apprenait que celui-ci avait été déporté en Pologne, avec l’accord de Varsovie.

En effet, Saakashvili, qui a été président géorgien pendant neuf ans (2004-2013), après avoir obtenu la nationalité ukrainienne (où il avait fait ses études à l’époque de l’Union Soviétique) avait été nommé en 2015 gouverneur de la région d’Odessa par son (ex) ami le président Petro Poroshenko. A la suite du mouvement de Maïdan, l’objectif de la nomination de Saakashvili était qu’il mène des réformes et une campagne anti-corruption à Odessa. Cependant, fin 2016 Saakashvili démissionnait accusant son désormais ancien allié Poroshenko de faire obstruction à la lutte contre la corruption. Il passait ainsi du côté de l’opposition, dans le camp « pro-occidental » dans un pays en pleine guerre contre des forces pro-russes à l’Est.

Poroshenko, profitant que Saakashvili se trouvait à l’étranger l’été dernier, révoquait la nationalité ukrainienne de celui-ci. Ainsi, Saakashvili, qui avait aussi perdu sa nationalité géorgienne entre-temps, devenait apatride. Cependant, début septembre avec l’aide de ses supporters et des politiciens alliés comme l’ex-première ministre Yulia Timoshenko, Saakashvili retournait en Ukraine depuis la Pologne en forçant un poste frontière. Depuis, il est devenu la principale figure d’opposition au président ukrainien qui a à plusieurs reprises essayé de l’arrêter, mais à été désavoué d’abord par les supporters de Saakashvili puis par la justice.

Finalement, après que la demande d’asile politique de Saakashvili ait été révoquée, le pouvoir a décidé de l’expulser du pays. Comme d’habitude dans ce feuilleton, cela a été fait de façon spectaculaire.

Cependant, malgré le fait qu’il soit très probable que Poroshenko ait consulté ses patrons impérialistes avant de procéder à une telle manœuvre, il n’est pas sûr que celle-ci leur plaise. En effet, l’objectif de Poroshenko est évident pour tout le monde : se débarrasser de son principal opposant pour dégager le terrain vers sa réélection en 2019.

Au-delà du fait qu’une candidature de Saakashvili semblait déjà très compliquée, avec un discours démagogique anti-corruption et pro-réformes, celui-ci restait un danger pour un Poroshenko qui est en train de ralentir le rythme des contre-réformes et des attaques contre les classes populaires pour préparer sa réélection.

Cette « déviation » s’ajoute à l’image renvoyée au niveau national et international : la déportation d’un opposant n’est pas la meilleure carte de présentation pour un « ami » des « démocrates occidentaux ». Comme l’explique Peter Dickinson de Business Ukraine : « la manœuvre brutale et incompétente des autorités ukrainienne contre Saakashvili a été un coup auto-infligé du début à la fin. Le moment de le déporter était au lendemain de son entrée illégale dans le pays, à l’automne. […] Maintenant, on est confronté à ce nouvel épisode de la comédie des erreurs, avec ses désastreuses optiques autoritaires. L’influence internationale relativement élevée de Saakashvili garantira une publicité négative considérable pour l’Ukraine ».

Quant aux alliés de Saakashvili comme Yulia Timoshenko, il est probable que ceux-ci essayent de tirer un double profit de la situation : dénoncer la « brutalité » et les « manques à la démocratie » de la part du président Poroshenko, et profiter de la déportation de Saakashvili pour que Timoshenko regagne un peu du terrain politique et médiatique que ce dernier lui a « volé » depuis l’été dernier.

Quoi qu’il en soit, cette manœuvre grossière du gouvernement pose la question suivante : si un politicien véreux, ouvertement pro-impérialiste, avec des connexions internationales et parmi les milieux d’affaire locaux est « éliminé » de cette façon, qu’est-ce qui attend les travailleurs qui feraient grève pour défendre leurs conditions de travail et de vie ?

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