Bien
que, pour le moment, aucun des acteurs engagés ne le veuille, les
combats qui ont eu lieu ce week-end entre les forces syriennes et
iraniennes d’une part et l’aviation israélienne de l’autre rendent le
déclenchement d’une guerre régionale de plus en plus probable.
De l’avis de plusieurs analystes, ce samedi le monde a failli
connaître le début d’un nouveau conflit d’envergure au Moyen-Orient,
cette fois impliquant directement, et non plus à travers des guerres par
procuration, l’Iran et Israël. En effet, face à la violation de
l’espace aérien israélien par un drone iranien, l’armée sioniste a
décidé de le détruire une minute et demi seulement après qu’il ait
dépassé la frontière.
Un hélicoptère Apache a descendu l’appareil et aussitôt huit avions
israéliens étaient acheminés vers la Syrie pour attaquer une base
aérienne près de Palmyre, d’où l’appareil aurait été lancé. Dans
l’attaque des membres des forces iraniennes auraient été tués quand le
van dans lequel ils se trouvaient, et d’où ils auraient piloté le drone,
a été ciblé par un missile israélien.
La réponse des forces syrienne a été immédiate. Au moins 26 missiles
sol-air ont été lancés contre les avions de chasse israéliens dont un
F-16 a été impacté. Celui-ci a réussi à retourner sur le territoire
israélien avant que ses deux pilotes s’éjectent – l’un est très
grièvement blessé. C’est la première fois depuis 1982 que l’aviation
israélienne perd un avion au combat, un événement symboliquement très
fort car l’aviation est le point le plus fort de l’armée sioniste. Les
représailles ne se sont pas fait attendre : 12 objectifs militaires,
dont des batteries anti-aériennes, ont été détruits en Syrie. Parmi
ceux-ci 4 appartenaient à l’Iran.
En quelques heures s’est produite une escalade guerrière inouïe, dans
une zone on ne peut plus explosive. Pour le moment personne ne peut
prédire jusqu’où se poursuivra l’escalade, même si d’un côté comme de
l’autre on ne voit pas que le moment d’une confrontation directe soit
arrivé.
Cependant, cela ne veut pas dire que ces combats aient été un
« accident » ou un épisode « isolé et non recherché ». En effet, on se
trouve face à la reconfiguration d’une région explosive où les rapports
de forces sont en train d’évoluer. C’est le cas notamment après la
guerre civile en Syrie où l’Iran, la Russie et Bachar al-Assad ont
obtenu une première victoire importante contre les alliés des
occidentaux.
Depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie et
l’intervention de l’Iran, Israël voyait d’un très mauvais œil la
progression de cet ennemi régional. C’est pour cela que l’aviation
israélienne a réalisé depuis 2011 plus de 100 raids aériens contre des
installations militaires du régime syrien ainsi qu’iraniennes.
Occupés avec d’autres fronts (l’armée rebelle et Daesh) le régime et l’Iran ont dû laisser Israël mener ses attaques sans réponse d’envergure. Cependant, une fois le régime et ses alliés relativement plus stabilisés, cette situation ne pouvait pas durer et l’attaque contre le chasseur israélien en est une preuve.
Israël pour sa part ne peut pas laisser l’Iran s’installer de façon
durable en Syrie. On parle d’installation de bases militaires iraniennes
en Syrie et même d’une base navale au port de Tartous, sur les côtes de
la Méditerranée. Cela exprime un changement de la nature du régime
syrien et donc un changement de la nature de la menace iranienne sur
Israël. Comme l’explique Jacob Shapiro directeur d’analyse chez Geopolitical Futures : « le
résultat [de l’intervention iranienne dans la guerre civile syrienne] a
été la transformation de la Syrie d’une dictature militaire autoritaire
amie de l’Iran en un pion iranien nécessitant désespérément le soutien
de ce dernier pour juste rester en vie. Pour l’Iran c’est une énorme
opportunité stratégique : il peut faire en sorte que son soutien continu
à Bachar al-Assad soit subordonné au fait qu’Assad permette à l’Iran de
faire ce qu’il veut en Syrie. Et ce que l’Iran veut en Syrie c’est
avoir un poste avancé au Levant. C’est ce qui inquiète Israël. […] C’est
une chose d’avoir un ‘proxy’ iranien comme le Hezbollah, avec un nombre
limité de combattants lançant des roquettes contre Israël depuis le
Liban. C’est une chose un peu différente pour l’Iran de commencer à
construire des missiles, amasser des forces d’intervention et stationner
des avions de combat en Syrie, juste de l’autre côté de la frontière
israélienne ».
Dans un tel contexte, Israël a besoin plus que jamais du soutien de
ses alliés historiques comme les États-Unis. Cependant, l’impérialisme
se trouve dans une dynamique de perte relative d’hégémonie dans la
région, se montrant de plus en plus frileux à s’y réengager et subissant
une certaine perte de crédibilité en tant que « médiateur » après les déclarations de Trump sur Jérusalem. L’État sioniste est donc obligé d’agir directement pour éviter l’installation de l’Iran en Syrie.
Mais du côté de l’Iran les choses ne sont pas si simples. Les
ambitions régionales de Téhéran rentrent en contradiction non seulement
avec Israël mais aussi avec la Turquie, dans une moindre mesure, avec la
Russie et surtout avec l’Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe,
l’Égypte et la Jordanie. Le gouvernement sioniste de Benjamin Netanyahu
compte sur ses alliés arabes pour contenir l’Iran. C’est l’un des points
faibles de la politique étrangère de l’Iran, et cela sans parler de la
réaction probable des puissances impérialistes.
On ne peut pas non plus oublier les difficultés intérieures de l’Iran, à la base du mouvement de révolte de décembre dernier
dont une des revendications était la fin des interventions iraniennes
coûteuses dans la région. Une nouvelle poussée de la lutte de classes en
Iran pourrait remettre en cause ses plans internationaux. Cependant, on
ne peut pas exclure que le régime cherche à renforcer sa base sociale
en se montrant plus agressif contre son ennemi préféré (Israël) et par
la même renforcer sa position dans la région et revenir avec « une
victoire » à vendre à l’intérieur du pays.
En attendant, en Syrie, différents acteurs poursuivent des objectifs
parallèles mais qui rentrent de plus en plus en contradiction : la
Turquie poursuit son offensive sur Afrin ;
les forces Kurdes soutenues par les États-Unis lancent des attaques
contre le régime ; en même temps que celui-ci et l’Iran négocient avec
les kurdes pour intervenir contre les combattants turques.
Ainsi, les alliances deviennent de plus en plus instables et
contradictoires selon le théâtre d’opérations. Et surtout, le terrain
d’intervention des uns et des autres, notamment après la défaite
territoriale de Daesh, devient de plus en plus rétréci rendant une
confrontation directe entre différentes forces étatiques plus probable.
Pour certains c’est juste une question de temps. Effectivement,
l’impérialisme et les régimes réactionnaires régionaux sont en train de
préparer de nouvelles catastrophes pour les travailleurs et les masses
du Moyen-Orient.
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