17.2.18

Le spectre d’une guerre régionale au Moyen-Orient


Bien que, pour le moment, aucun des acteurs engagés ne le veuille, les combats qui ont eu lieu ce week-end entre les forces syriennes et iraniennes d’une part et l’aviation israélienne de l’autre rendent le déclenchement d’une guerre régionale de plus en plus probable.
Philippe Alcoy

De l’avis de plusieurs analystes, ce samedi le monde a failli connaître le début d’un nouveau conflit d’envergure au Moyen-Orient, cette fois impliquant directement, et non plus à travers des guerres par procuration, l’Iran et Israël. En effet, face à la violation de l’espace aérien israélien par un drone iranien, l’armée sioniste a décidé de le détruire une minute et demi seulement après qu’il ait dépassé la frontière.

Un hélicoptère Apache a descendu l’appareil et aussitôt huit avions israéliens étaient acheminés vers la Syrie pour attaquer une base aérienne près de Palmyre, d’où l’appareil aurait été lancé. Dans l’attaque des membres des forces iraniennes auraient été tués quand le van dans lequel ils se trouvaient, et d’où ils auraient piloté le drone, a été ciblé par un missile israélien.

La réponse des forces syrienne a été immédiate. Au moins 26 missiles sol-air ont été lancés contre les avions de chasse israéliens dont un F-16 a été impacté. Celui-ci a réussi à retourner sur le territoire israélien avant que ses deux pilotes s’éjectent – l’un est très grièvement blessé. C’est la première fois depuis 1982 que l’aviation israélienne perd un avion au combat, un événement symboliquement très fort car l’aviation est le point le plus fort de l’armée sioniste. Les représailles ne se sont pas fait attendre : 12 objectifs militaires, dont des batteries anti-aériennes, ont été détruits en Syrie. Parmi ceux-ci 4 appartenaient à l’Iran.

En quelques heures s’est produite une escalade guerrière inouïe, dans une zone on ne peut plus explosive. Pour le moment personne ne peut prédire jusqu’où se poursuivra l’escalade, même si d’un côté comme de l’autre on ne voit pas que le moment d’une confrontation directe soit arrivé.

Cependant, cela ne veut pas dire que ces combats aient été un « accident » ou un épisode « isolé et non recherché ». En effet, on se trouve face à la reconfiguration d’une région explosive où les rapports de forces sont en train d’évoluer. C’est le cas notamment après la guerre civile en Syrie où l’Iran, la Russie et Bachar al-Assad ont obtenu une première victoire importante contre les alliés des occidentaux.

Depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie et l’intervention de l’Iran, Israël voyait d’un très mauvais œil la progression de cet ennemi régional. C’est pour cela que l’aviation israélienne a réalisé depuis 2011 plus de 100 raids aériens contre des installations militaires du régime syrien ainsi qu’iraniennes.
 
Occupés avec d’autres fronts (l’armée rebelle et Daesh) le régime et l’Iran ont dû laisser Israël mener ses attaques sans réponse d’envergure. Cependant, une fois le régime et ses alliés relativement plus stabilisés, cette situation ne pouvait pas durer et l’attaque contre le chasseur israélien en est une preuve.

Israël pour sa part ne peut pas laisser l’Iran s’installer de façon durable en Syrie. On parle d’installation de bases militaires iraniennes en Syrie et même d’une base navale au port de Tartous, sur les côtes de la Méditerranée. Cela exprime un changement de la nature du régime syrien et donc un changement de la nature de la menace iranienne sur Israël. Comme l’explique Jacob Shapiro directeur d’analyse chez Geopolitical Futures : « le résultat [de l’intervention iranienne dans la guerre civile syrienne] a été la transformation de la Syrie d’une dictature militaire autoritaire amie de l’Iran en un pion iranien nécessitant désespérément le soutien de ce dernier pour juste rester en vie. Pour l’Iran c’est une énorme opportunité stratégique : il peut faire en sorte que son soutien continu à Bachar al-Assad soit subordonné au fait qu’Assad permette à l’Iran de faire ce qu’il veut en Syrie. Et ce que l’Iran veut en Syrie c’est avoir un poste avancé au Levant. C’est ce qui inquiète Israël. […] C’est une chose d’avoir un ‘proxy’ iranien comme le Hezbollah, avec un nombre limité de combattants lançant des roquettes contre Israël depuis le Liban. C’est une chose un peu différente pour l’Iran de commencer à construire des missiles, amasser des forces d’intervention et stationner des avions de combat en Syrie, juste de l’autre côté de la frontière israélienne ».

Dans un tel contexte, Israël a besoin plus que jamais du soutien de ses alliés historiques comme les États-Unis. Cependant, l’impérialisme se trouve dans une dynamique de perte relative d’hégémonie dans la région, se montrant de plus en plus frileux à s’y réengager et subissant une certaine perte de crédibilité en tant que « médiateur » après les déclarations de Trump sur Jérusalem. L’État sioniste est donc obligé d’agir directement pour éviter l’installation de l’Iran en Syrie.

Mais du côté de l’Iran les choses ne sont pas si simples. Les ambitions régionales de Téhéran rentrent en contradiction non seulement avec Israël mais aussi avec la Turquie, dans une moindre mesure, avec la Russie et surtout avec l’Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe, l’Égypte et la Jordanie. Le gouvernement sioniste de Benjamin Netanyahu compte sur ses alliés arabes pour contenir l’Iran. C’est l’un des points faibles de la politique étrangère de l’Iran, et cela sans parler de la réaction probable des puissances impérialistes.

On ne peut pas non plus oublier les difficultés intérieures de l’Iran, à la base du mouvement de révolte de décembre dernier dont une des revendications était la fin des interventions iraniennes coûteuses dans la région. Une nouvelle poussée de la lutte de classes en Iran pourrait remettre en cause ses plans internationaux. Cependant, on ne peut pas exclure que le régime cherche à renforcer sa base sociale en se montrant plus agressif contre son ennemi préféré (Israël) et par la même renforcer sa position dans la région et revenir avec « une victoire » à vendre à l’intérieur du pays.

En attendant, en Syrie, différents acteurs poursuivent des objectifs parallèles mais qui rentrent de plus en plus en contradiction : la Turquie poursuit son offensive sur Afrin ; les forces Kurdes soutenues par les États-Unis lancent des attaques contre le régime ; en même temps que celui-ci et l’Iran négocient avec les kurdes pour intervenir contre les combattants turques.

Ainsi, les alliances deviennent de plus en plus instables et contradictoires selon le théâtre d’opérations. Et surtout, le terrain d’intervention des uns et des autres, notamment après la défaite territoriale de Daesh, devient de plus en plus rétréci rendant une confrontation directe entre différentes forces étatiques plus probable. Pour certains c’est juste une question de temps. Effectivement, l’impérialisme et les régimes réactionnaires régionaux sont en train de préparer de nouvelles catastrophes pour les travailleurs et les masses du Moyen-Orient.

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