Un
mois après le début de l’invasion turque à Afrin, les autorités
syriennes ont affirmé qu’elles y enverraient des troupes pour stopper
l’avancée des Turcs et leurs alliés avec l’accord des forces kurdes.
Celles-ci nient tout accord avec Assad mais reconnaissent avoir négocié.
« Le régime va-t-il rentrer [à Afrin] ? Si oui, pour quoi
faire ? […] Si le régime y entre pour expulser le PKK et les YPG, il n’y
a pas de problème. S’il y rentre pour protéger les YPG, alors personne
ne pourra arrêter la Turquie ou les soldats turcs ». C’est avec ces
mots défiants que le ministre des affaires étrangères turc, Mevlüt
Çavuşoğlu, répondait aux rumeurs selon lesquelles l’armée syrienne
pourrait intervenir à Afrin.
En effet, depuis le 20 janvier les forces armées turques et leurs
alliés mènent une offensive contre l’enclave kurde d’Afrin. L’objectif
officiel est de chasser les forces kurdes de l’YPG (Unités de Protection
du Peuple) que la Turquie considère « terroristes » car liées au PKK
(Parti des Travailleurs du Kurdistan). Cette offensive mettait en danger les objectifs militaires des Etats-Unis en Syrie dont la seule force locale fiable sont justement les combattants kurdes, qui nient d’ailleurs tout lien avec le PKK.
Cette manœuvre militaire témoignait du froid dans les relations entre
les Etats-Unis et l’un de ses alliés historiques, la Turquie.
Cependant, les nord-américains, pour éviter de dégrader encore plus
leurs relations (mais aussi pour éviter de devoir agir sur un territoire
dont l’espace aérien est contrôlé par la Russie) ont décidé de laisser
la Turquie agir. Ils ont ainsi abandonné leurs alliés kurdes.
Après un mois de bombardements et de résistance, le président turc, Recep Erdoğan, veut aller plus loin dans son agression. « Dans les prochains jours, des mesures plus rapides seront prises pour assiéger le centre-ville d’Afrin »,
a-t-il déclaré devant les députés de son parti. Le régime turc veut en
effet passer à l’étape suivante : affamer et couper l’approvisionnement
de la population d’Afrin , notamment en médicaments et en produits de
première nécessité.
C’est dans ce contexte que les forces kurdes ont d’abord exigé du
régime de Bachar al-Assad qu’il « défende les frontières » face à
l’agression turque et ensuite négocié avec des représentants du régime
pour arrêter la Turquie à Afrin. Bien que des porte-paroles kurdes aient
nié qu’un quelconque accord ait été passé avec Assad, personne ne nie
l’appel aux forces du régime pour contrer la Turquie ni le fait que des
discussions avec le régime d’Assad aient eu lieu. Tôt ou tard cela ne
pourra avoir pour résultat que le sacrifice du droit à
l’autodétermination du peuple kurde.
A la différence de la Russie qui a donné son feu vert à l’offensive
turque, tout en restant très discrète par la suite, aussi bien le régime
syrien que son allié iranien se sont opposés dès le début à l’opération
turque. En effet, d’une part la Turquie chassant les forces kurdes
pourrait y installer des combattants bien moins disposés à négocier avec
Damas, contrairement aux kurdes ; d’autre part, la prise d’Afrin
pourrait renforcer la position de la Turquie en Syrie et ainsi devenir
un potentiel obstacle à la progression de l’Iran dans la région.
(Carte : BBC)
Afrin n’est pas en soi une ville stratégique, mais au cours de ces
dernières semaines elle est devenue centrale d’un point de vue des
rapports de force militaire et géopolitiques mais aussi d’un point de
vue symbolique, donc pour le moral des combattants des différents camps
en dispute. Afrin est en même temps en train de tester l’alliance entre
la Russie, la Turquie et l’Iran forgée ces derniers mois ; une alliance
dont les intérêts contradictoires commencent à être exposés dans cette
nouvelle phase de la guerre syrienne.
En effet, Afrin pourrait devenir un point d’affrontement direct entre
la Turquie, la Syrie et l’Iran. Pour le moment, des troupes de l’armée
syrienne n’ont pas été envoyées à Afrin, mais des combattants
« volontaires » pro-régime (armés par celui-ci et financés par l’Iran)
ont été attaqués par les forces turques quand ils essayaient de pénétrer
dans Afrin. C’est peut-être le résultat de la médiation russe qui
essaye de préserver la relation avec la Turquie tout en voyant le
problème d’un recul du régime à la faveur de groupes « rebelles ». En ce
sens, la « défense d’Afrin » de la part du régime pourrait être menée
par ces forces loyalistes mais non par l’armée syrienne directement.
Mais cette offensive sur Afrin comporte aussi des contradictions
importantes pour la Turquie. En effet, le risque de s’engluer dans un
conflit avec les kurdes est important, d’autant plus que plusieurs
soldats turcs ont déjà perdu leur vie au cours de cette opération. A
cela il faut ajouter que pour la Turquie, même dans le cas d’une
victoire à Afrin, ce sera très compliqué d’aller au-delà dans d’autres
territoires contrôlés par les kurdes, au moins sans provoquer un
scandale diplomatique avec les États-Unis. L’impérialisme nord-américain
peut laisser tomber, pour le moment, ses alliés kurdes à Afrin mais il
ne peut pas se permettre cela dans tout le territoire dominé par les
kurdes en Syrie.
Dans ce cadre, certains spéculent sur le fait que la Turquie profite
de cette occasion pour trouver une porte de sortie à cette offensive,
permettant que les forces du régime reprennent Afrin, à condition que
les kurdes ne reviennent pas. Cependant, cette option semble peu
réalisable pour le moment et comporte beaucoup de risques pour la
Turquie : un retrait d’Afrin, même à la faveur du régime, pourrait être
présenté par les kurdes comme une victoire sur la Turquie ; ensuite rien
ne peut assurer qu’une fois que les forces pro-régime aient pris Afrin
elles ne permettent pas que les Kurdes reprennent d’une façon ou d’une
autre le contrôle de la ville, même partiellement ; enfin ce serait une
opportunité ratée pour la Turquie de gagner une position face à la
reconfiguration des rapports de forces dans la région suite au recul
partiel de l’hégémonie des États-Unis et de leurs alliés dans la région
(notamment l’Arabie Saoudite et Israël).
C’est pour tout cela que l’on ne peut pas exclure une escalade dans
l’affrontement entre des puissances régionales qui pourrait avoir des
conséquences catastrophiques pour les travailleurs et les masses.
Ceux-ci ne peuvent et ne doivent faire aucune confiance aux différents
régimes réactionnaires dans la région, ni à la Russie de Poutine et
encore moins aux puissances impérialistes.
Aucune alliance avec ces forces réactionnaires ne peut amener quelque
chose de positif pour cette population déchirée et écrasée par des
années de guerre. Aucune alliance avec ces forces réactionnaires ne peut
garantir le droit à l’auto-détermination pour le peuple kurde. C’est du
côté des travailleurs, de la jeunesse et des classes populaires dans
les pays de la région mais aussi dans les pays impérialistes que les
exploités et opprimés de Syrie trouveront un soutien fondamental pour
exiger, dans l’immédiat, le retrait de la Turquie d’Afrin, mais aussi de
toutes les armées étrangères, notamment des troupes impérialistes, pour
garantir le droit à l’auto-détermination du peuple kurde et du reste
des peuples de la région.
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