Non. Sur la photo ce n’est pas une combattante kurde en Syrie. C’est une
jeune combattante de la guérilla du Dhofar en 1970. Dans cette région
du sud de l’actuel Oman, s’y est développée une lutte pour la libération
nationale et régionale contre l’impérialisme et ses clients locaux
(sultans, émirs, cheiks, etc.). Au cours de cette lutte populaire, menée
essentiellement par des paysans pauvres, la question de la défense de
l’égalité de genre était un élément central.
Philippe Alcoy
Le Dhofar était l’une des régions les plus sous-développées de la
planète, avec une population composée essentiellement de paysans et de
pêcheurs, divisée en tribus dont une grande partie nomades. La pauvreté
matérielle mais aussi culturelle y étaient entretenues volontairement
par le sultan despotique Saïd bin Taïmour, allié très important de
l’impérialisme britannique dans la région (ce qui ne leur a pas empêcher
de le renverser quand celui-ci ne leur était plus fonctionnel). Le
Dhofar était en effet un territoire occupé par l’Oman.
Dans ce contexte l’oppression qui pesait sur les femmes était
particulièrement lourde. Elles étaient opprimées non seulement par les
conditions de vie misérables, en tant que paysannes ou travailleuses,
mais aussi en tant que femmes. En ce sens, il n’est pas étonnant qu’au
moment du déclenchement du mouvement de lutte anti-impérialiste au
Dhofar, beaucoup de femmes aient rejoint les zones libérées par la
guérilla.
Dans les camps les femmes suivaient des cours d’alphabétisation, de
théorie politique (la guérilla du Dhofar était influencée par le
maoïsme), ainsi que de langue arabe (la population du Dhofar parlant
leur propre langue). Les femmes apprenaient aussi à manier les armes.
Dans une société profondément patriarcale et où les femmes subissaient
une oppression très forte, ces femmes combattantes rompaient les
préjugés sexistes et ont joué un rôle fondamental dans la lutte contre
les troupes impérialistes et du sultan.
Dans une interview de 1970 réalisée dans un « Camp Révolutionnaire »,
une jeune combattante dhofarie de 15 ans, Tufula, déclarait à propos de
l’égalité entre les hommes et les femmes : « il n’y a pas de
différence entre les hommes et les femmes, et j’ai vu que je peux faire
les mêmes choses qu’ils font. Avant la révolution on avait l’habitude
d’acheter et de vendre les femmes, de les traiter comme des animaux.
Maintenant elles connaissent leurs droits et prennent part à la lutte
comme tout le monde » (témoignage tiré de « Arabia Without Sultans » de Fred Halliday).
Peu de temps après son interview, en 1971, Tufula était assassinée
lors d’un raid de l’aviation britannique. L’impérialisme britannique
était un soutien fondamental du régime du sultan d’Oman, Qabous ibn
Saïd. Les britanniques ont ainsi aidé Qabous à mener une lutte contre la
politique féministe du mouvement de libération du Dhofar. Ils
accusaient les rebelles de mener une politique étrangère au « mode de
vie traditionnel » dans la région.
Inévitablement, beaucoup de ces femmes, qui se battaient pour
l’égalité de genre et pour le communisme, étaient en même temps
musulmanes.
Cependant, la montée des luttes révolutionnaires dans le monde, les
révolutions cubaine et vietnamienne, les luttes des travailleurs et de
la jeunesse dans les autres pays arabes, mais aussi dans les pays
impérialistes, les poussaient vers la gauche, mélangeant parfois une
interprétation tout à fait particulière de la religion, parfois
contradictoire ; leurs têtes découvertes, leurs genoux découverts,
choquaient certaines personnes. La lutte révolutionnaire était
clairement en train de bouleverser l’une des régions les plus arriérées
en termes des droits des femmes.
Ceux qui aujourd’hui justifient leur politique criminelle
d’interventionnisme dans la région sous prétexte de défense de la
« démocratie » et des « droits des femmes », se battaient aux côtés des
pires réactionnaires de la région précisément contre une lutte qui
portait l’égalité de genre comme un axe central.
L’impérialisme cherchait à tout prix à éviter que les airs de révolte
qui commençaient à souffler dans le sud de la péninsule arabe gagnent
l’ensemble d’une région économiquement et militairement stratégique. De
là la violence de la lutte contre-insurrectionnelle de l’impérialisme
britannique. Ce n’est pas un hasard si jusqu’aujourd’hui la
contre-révolution au Dhofar est présentée comme un exemple d’opération
« réussie », la seule contre-révolution que les britanniques aient gagné
dans l’après-guerre.
Ainsi, les impérialistes britanniques, mais aussi américains et
français, ont contribué grandement à préparer le terrain pour
l’évolution réactionnaire d’aujourd’hui dans la région. Parallèlement,
on apprécie aujourd’hui l’énorme valeur de ces combattantes contre
l’impérialisme et pour l’égalité de genre. Ces histoires « oubliées »
servent également à briser les préjugés racistes et islamophobes qui
pèsent sur la région. Alors que certains considèrent que les masses du
Moyen Orient seraient pratiquement incapables de soutenir et de se
battre pour des causes progressistes, l’exemple de ces combattantes
démontrent le caractère faux de cette affirmation et que c’est
l’impérialisme le principal allié objectif des courants réactionnaires
de tout type au Moyen Orient.
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