Ce
soir, comme tous les soirs, des policiers ont jeté par terre la
marchandise d’un vendeur de rue. Ceux que l’on croise tous les jours ;
ceux à qui on achète de temps en temps des fruits ou des légumes. Et
pourtant cela ne fait les gros titres d’aucun journal national. En
réalité cela ne fait même pas les petits titres des journaux nationaux.
En fin de compte, cela relève du « travail » normal de la police.
Il y avait plus de policiers que d’habitudes dans la rue, je ne
sais pas pour quelle raison. Mais il n’y avait pas plus de vendeurs de
rue que d’habitude. Ni moins. Ils étaient là comme tous les soirs. Elles
étaient là comme tous les soirs, les vendeuses de rue aussi. Ca m’a un
peu étonné : police et travailleurs précaires vendeurs de rue au même
endroit, c’est une contradiction dans les termes.
Je marchais. J’ai vu un vendeur de rue, isolé, dans un carrefour. Son
dos donnait au trottoir d’en face. J’ai vu également les policiers
arriver par derrière. Ils étaient calmes, comme si de rien n’était. Ils
ne l’avaient surement pas encore vu.
L’étrange situation m’a étonné. Trop de calme. D’un côté comme de
l’autre. Cela ne pouvait pas durer. J’aurais voulu prévenir le vendeur.
Mais il était déjà trop tard.
Et effectivement la situation n’a pas duré. Je marche dans la
direction opposée aux trois policiers. Je me retourne pour voir s’ils
font semblant de ne pas voir le vendeur. Rien. Ils ne tardent pas à
l’entourer. Calmement, ils ne craignent rien. Ils ne risquent rien. Ils
disent quelque chose. Le vendeur commence à ranger quand un des
policiers, toujours calmement, avec un regard presque sadique, jouissif,
renverse un cageot d’avocats. Les avocats tombent doucement, calmement.
Le vendeur ne peut rien dire. Il ne doit rien dire. L’humiliation est
consommée. Travail accompli, les policiers peuvent rentrer la conscience
tranquille d’avoir gagné leur pain.
Le vendeur de rue, lui, ce soir aura peut-être plus perdu d’argent
qu’il n’aura gagné. Humilié et criminalisé, rien n’y fait. Demain il
sera de nouveau dans la rue. À gagner son pain, à échapper encore à des
policiers aux « manies renversantes », aux instincts antipopulaires.
Mais cette situation ne saura pas durer éternellement. N’oublions pas le
potentiel d’indignation populaire de ces actes d’humiliation des
travailleurs de la part de la police. C’est une telle humiliation et
injustice qui a poussé Mohamed Bouazizi à s’immoler par le feu fin 2010
en Tunisie. Et c’est ça aussi qui a marqué le début des "révolutions
arabes". Comme dit le classique chant révolutionnaire : "Et gare à la
revanche, quand tous les pauvres s’y mettront !".
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