La
fusion entre Alstom et Siemens, tant voulue par le gouvernement de
Macron, a finalement été actée et les oppositions sont grandes. La
crainte des salariés aussi. Car malgré les promesses, rien ne peut
assurer le maintient de la production des sites français. Les
actionnaires, au contraire, sont aux anges.
C’est la naissance d’un « Airbus du ferroviaire ». C’est au moins ce
que la propagande gouvernementale voudrait faire croire. Ce mardi soir
en effet la fusion entre les géants industriels français Alstom et
l’allemand Siemens a été approuvée par les Conseils d’Administration des
deux entreprises.
La fusion avait déjà été évoquée en 2014, sous le gouvernement de
Hollande et quand Arnaud Montebourg était encore ministre. Mais celle-ci
n’avait pas abouti car à l’époque Alstom avait cédé sa filiale énergie à
General Electric. Le gouvernement Hollande jugeait peut-être trop
risqué de procéder aussi à la fusion avec Siemens. D’ailleurs, c’est
aussi en 2014 que l’État a emprunté 20 % en actions du capital de
l’entreprise à Bouygues. Une façon de « démontrer » l’engagement du
gouvernement du PS à l’époque avec ce « fleuron de l’industrie
française » en centrant son activité sur le ferroviaire.
Cette fusion-vente d’Alstom a l’air d’un « choc » dans le paysage
économique et politique français. A la différence d’autres géants
industriels français qui ont été rachetés par d’autres multinationales
étrangères comme Lafarge ou Alcatel, Alstom c’est une entreprise pour
vanter la « grandeur de l’industrie française ». Alstom c’est le TGV,
« fierté nationale ». Alstom c’est les rames de métro, les trains TER,
les tramways, pour ne mentionner que les produits les plus visibles par
le public. Alstom est donc une entreprise qui fait partie des piliers du
capitalisme français, d’un point de vue économique et politique.
On assiste donc à un tournant. Comme c’est indiqué par le Financial Times : « cette
transaction […] pourrait signaler un changement dans la politique
d’intervention industrielle de la France sous le président Emmanuel
Macron, en faveur de la création de ‘‘champions européens’’ – même si
cela signifie vendre des actifs industriels qui étaient autrefois
considérés stratégiques ».
Avec cette fusion de l’activité ferroviaire des deux entreprises,
Siemens contrôlera entre 45 et 50 % du capital de la nouvelle entité.
Donc aura la majorité au CA et pourra imposer ses vues et choix
stratégiques. L’État français de son côté a jusqu’au 17 octobre pour
rendre effective son option d’achat des actions prêtées par Bouygues,
mais pour le moment cela semble être hors de question. De toute façon,
avec la nouvelle capitalisation de l’entreprise fusionnée, la part
détenue par l’État ne serait que de 10 % au lieu de 20 % aujourd’hui. Si
le gouvernement décide de ne pas acheter ces actions, Bouygues en
redeviendra le propriétaire.
Le gouvernement essaye de rassurer les critiques en disant qu’il
exigera des engagements à la contrepartie allemande et en déclarant
qu’il s’agit de créer un « Airbus ferroviaire ». Cependant, pour
beaucoup cette fusion actera le passage de ce « fleuron de l’industrie
nationale » sous contrôle des capitaux allemands. « Ne nous racontons pas d’histoire : c’est Alstom qui sera avalé par Siemens », a déclaré Xavier Bertrand (LR). « Le TGV va-t-il devenir allemand ? Pourquoi le gouvernement a-t-il accepté un tel déséquilibre ? », s’agite Eric Woerth.
Plus conciliante mais critique, Valérie Pécresse a déclaré : « Je
souhaite évidemment - et je suis inquiète - que cet ‘Airbus du
ferroviaire’, qui n’est pas une mauvaise idée, ne se fasse pas au
détriment de la France ». Nicolas Dupont-Aignan a quant à lui été plus agressif : « c’est
une immense escroquerie qui va mettre Alstom transports sous la
domination complète de Siemens […] Il est insupportable qu’après
Lafarge, Alcatel, Technip, on passe [Alstom] sous contrôle étranger en
nous disant qu’il n’y aura pas de conséquences pour l’emploi et les
savoir-faire ». Les députés de la France Insoumise disent « non à la vente à la découpe d’un fleuron industriel français » et réclament une commission d’enquête.
Même le très libéral Les Échos dans un édito de son directeur,
Nicolas Barré, avance des critiques sur la fusion en demandant à l’Etat
de rester actionnaire : « que valent les garanties avancées, telles
que le maintien d’un siège en France ou d’un patron français ?
Fondamentalement, rien. Des mots. Avec la majorité du capital, Siemens
sera maître du jeu. […] L’assurance que rien ne bougera pendant quatre
ans ressemble même à une manière d’endormir la proie et n’offre aucune
certitude d’un ancrage durable en France. Si Français et Allemands
veulent véritablement bâtir un « Airbus du ferroviaire », la seule
manière de faire en l’état actuel, et faute de mieux, serait que l’Etat
reprenne la part de Bouygues et devienne actionnaire de poids de ce
nouvel ensemble, aux côtés de Siemens ».
Effectivement, au-delà des discours hypocrites sur « l’industrie
française » et la défense de ce « fleuron industriel », le grand danger
réel pèse essentiellement sur les presque 9 000 salariés du groupe
Alstom en France. Selon les déclarations du gouvernement, Siemens
s’engage à préserver les emplois au moins pendant quatre ans. Mais on
sait très bien que les travailleurs ne peuvent faire aucune confiance
aux « promesses » des patrons.
Les « inquiétudes » sur la « perte d’influence française » sont
également des contes de fées pour les salariés. Quelle « influence
française » a empêché des groupes bien français comme PSA, dont l’État
est actionnaire, de fermer des usines en France, de licencier
massivement ? Contrairement à ce qu’affirment les politiciens
nationalistes, protectionnistes et souverainistes, les capitalistes
français, pas plus que l’État lui-même, ne sont en rien une garantie
pour la survie des postes d’emploi face aux « méchants capitalistes
étrangers ».
La réalité c’est que cette fusion est aussi une opportunité d’assurer
de gros profits pour le capital français : depuis cinq jours l’action
Alstom a grimpé de plus de 10 %. Mais la fusion d’Alstom avec Siemens
est aussi l’expression de la perte de vitesse du capitalisme français au
niveau mondial, même dans les secteurs où il a toujours été un
« champion » comme les infrastructures. En effet, la fusion avec Siemens
a lieu dans un moment où l’autre grand concurrent du secteur, le
canadien Bombardier, cherchait à se rapprocher de la multinationale
allemande. Cela mettait en risque Alstom qui aurait été dans une
position très mauvaise face à la concurrence internationale.
Pour le gouvernement il s’agit peut-être d’un nouveau front de
mécontentement qui pourrait encore accentuer sa perte de popularité. La
fusion d’Alstom pourrait en effet devenir un nouveau dossier encombrant
où il pourrait y laisser des plumes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire