Les
forces spéciales irakiennes, soutenues par des milices pro-iraniennes
et par des factions kurdes, ont repris Kirkuk, zone riche en pétrole,
des mains des kurdes. Un nouveau casse-tête pour les Américains dans la
région.
L’offensive sur Kirkuk lancée dimanche soir par les forces
armées du gouvernement central irakien a abouti lundi 16 octobre. Les
forces irakiennes sont entrées dans la ville, ont enlevé les portraits
de Massoud Barzani, leader kurde, et posté à nouveau le drapeau irakien
dans la ville. Plus important, les forces de Bagdad se sont rapidement
emparées de postes militaires stratégiques et de puits de pétrole.
En effet, Kirkuk était sous contrôle kurde depuis 2014, quand l’armée
irakienne s’est retirée de la ville face à l’avancée de Daesh. A
l’époque ce sont les peshmergas kurdes qui ont assumé la défense de
cette ville majoritairement kurde face à un danger d’invasion par Daesh.
Le gouvernement du Kurdistan irakien a pris en charge également la
gestion des ressources naturelles de cette région très riche en pétrole.
Cette situation était acceptée aussi bien par les États-Unis que par
le gouvernement central irakien. La priorité était de contenir l’avancée
de Daesh dans la région. Cependant, le recul de Daesh en Syrie et en
Irak a commencé à mettre en avant la question du « partage du butin »
repris à l’organisation islamiste. C’est ainsi que la question du
contrôle de Kirkuk est devenue de plus en plus un point d’achoppement
entre Bagdad et Erbil, capitale du Kurdistan irakien.
Cependant, ce qui a accéléré les tensions a été le référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien
réalisé le 25 septembre dernier. Erbil comptait inclure dans le
territoire du nouvel État Kurde Kirkuk, qui ne fait pas partie de la
région autonome reconnue par Bagdad. Le référendum kurde a réussi à
créer un front uni tacite de tous ceux qui s’opposent à l’indépendance
du Kurdistan irakien, même si leurs intérêts à long terme ne sont pas
convergents : l’Iran, la Turquie et le gouvernement de Bagdad. Les
États-Unis et les puissances européennes avaient aussi exprimé leur
opposition à l’initiative d’Erbil.
Les divisions des kurdes d’Irak
C’est dans ce contexte que l’offensive de Bagdad a eu lieu. Et une
première chose attire l’attention : la facilité avec laquelle les forces
irakiennes se sont emparées de la ville. En effet, il n’y a presque pas
eu de résistance de la part des combattants kurdes, pourtant réputés
pour leur efficacité.
A y regarder de plus près cette facilité n’est finalement pas si
surprenante. La lutte pour la reprise de Kirkuk a exposé les divisions
existantes entre les forces politiques kurdes. En effet, le gouvernement
régional du Kurdistan basé à Erbil est dirigé par le Parti Démocratique
du Kurdistan (PDK), inféodé à la famille du président kurde irakien
Massoud Barzani. L’autre grand parti rival est celui dirigé par Jalal
Talabani et ses proches, l’Union Patriotique des Kurdes (UPK ou PUK en
anglais).
L’UPK n’a pas fait campagne ouvertement contre le référendum du 25
septembre mais demandait à ce qu’il soit repoussé. Les leaders de l’UPK
considéraient que ce référendum cherchait en réalité à renforcer le
pouvoir de Barzani et de ses proches.
Kirkuk est une région où les forces liées à la faction de l’UPK sont
majoritaires. Des témoins signalent qu’au moment de l’avancée des forces
irakiennes, des bataillons entiers de peshmergas ont abandonné leurs
postes : la faction des forces armées kurdes dirigée par l’UPK a en
effet passé un accord avec Bagdad. Le ministre du pétrole irakien le
confirmera plus tard indiquant que les « deux camps ont passé un accord
pour éviter les combats autour des puits de pétrole de Kirkuk ».
Le gouvernement kurde d’Erbil déclare cependant encore garder la main
sur certains puits de la région. Cela est fondamental pour les kurdes,
car le pétrole de Kirkuk représente 40% des exportations
d’hydrocarbures.
Quant à la population kurde de Kirkuk, beaucoup sont en train de fuir
vers le nord par peur des représailles de la part des forces
irakiennes, des milices sunnites ou turkmènes, les deux minorités
ethniques de la région qui s’étaient opposées au référendum. Cependant,
comme le déclare un témoin à Marianne :
« les militaires ou les miliciens qui tiennent les check-points les
laissent passer mais récupèrent tout ce qui a de la valeur : argent,
bijoux, etc. ».
Échec des États-Unis pour imposer leur hégémonie à leurs alliés
Le fait que la reprise de Kirkuk se soit passée sans grand combat
arrange en quelque sorte les États-Unis. Cela leur permet de se tenir à
la marge, comme s’il s’agissait d’un conflit interne irakien. Le
gouvernement de Trump s’est contenté d’appeler au calme et au dialogue.
Cependant, si une escalade approfondit le conflit et les affrontements,
les États-Unis pourraient se retrouver dans une position encore plus
embarrassante qu’aujourd’hui.
En effet, aussi bien Erbil que le gouvernement de Bagdad sont des
alliés des États-Unis dans la région. Les Américains ont formé et
financé les combattants kurdes comme irakiens. Devoir prendre part pour
l’un ou l’autre en cas d’accentuation du conflit pourrait faire perdre
des alliés aux États-Unis. Beaucoup de kurdes sont d’ailleurs déjà en
train d’exprimer une certaine amertume de se sentir « abandonnés » par
les Américains après avoir été les meilleurs combattants contre Daesh en
Irak, jouant un rôle central dans la reprise de Mossoul alors que
l’armée irakienne s’était retirée.
Le conflit entre Bagdad et Erbil autour de Kirkuk est l’expression la
plus importante de la lutte d’anciens alliés pour une reconfiguration
politique et territoriale qui leur soit favorable après avoir défait
Daesh. Elle est aussi l’expression de la perte d’influence des
États-Unis dans la région après l’échec de son invasion en Irak qui a eu
comme conséquence la naissance et le développement de Daesh.
En effet, l’offensive de Daesh avait poussé les États-Unis à
entraîner et à financer divers groupes armés pour se battre avec eux,
même si à moyen terme ces groupes n’étaient pas forcément fonctionnels
aux intérêts nord-américains. Puis, même leurs alliés les plus proches
ont développé des ambitions propres étant parfois contradictoires aux
objectifs stratégiques de l’impérialisme américain.
Tout cela est une démonstration de l’affaiblissement de la capacité
de Washington à imposer son hégémonie sur le bloc en lutte contre Daesh.
Si les États-Unis pouvaient imposer une telle hégémonie cela leur
permettrait par exemple de jouer le rôle d’arbitre dans ces conflits
entre leurs alliés et les résoudre à travers de négociations sous la
surveillance de Washington et éviter que de nouveaux conflits ne
s’ouvrent.
Dans le contexte irakien c’est sûrement l’Iran qui essayera de tirer
le plus grand profit en augmentant son influence en Irak à travers ses
liens avec le gouvernement central mais aussi à travers les milices
pro-iraniennes dans la région. En même temps, affaiblir les positions
des kurdes d’Irak implique d’affaiblir les forces kurdes en Iran. Le
conflit à Kirkuk semble être définitivement un nouveau casse-tête pour
les intérêts de l’impérialisme nord-américain dans la région.
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