Quatre
pays du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, et l’Egypte suspendent leurs
relations diplomatiques avec le Qatar et ouvrent une situation très
risquée dans une région plus que délicate. Certains parlent de la crise
diplomatique régionale la plus importante des dernières années mais avec
des conséquences qui vont au-delà.
La mesure a été coordonnée et semble avoir pris tout le monde
par surprise. L’Arabie Saoudite, le Bahreïn, le Yémen, les Emirats
Arabes Unis (EAU), l’Egypte et les Îles Maldives ont annoncé la
suspension de leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ils accusent
ce dernier de financer des groupes islamistes radicaux, dont Al Qaeda et
même Daesh, et ainsi présenter un danger pour la sécurité de ces pays.
Au Yémen, le Qatar est accusé de soutenir la rébellion Houthi, liée à
l’Iran, rival régional de l’Arabie Saoudite.
Cette suspension des relations avec le Qatar implique le rappel de
leurs diplomates actuellement dans le pays du Golfe, la suspension des
communications par voie terrestre et aérienne (six compagnies aériennes
régionales ont déjà annoncé la suspension de leurs vols vers et depuis
le Qatar), la fermeture de l’espace aérien de ces pays pour les
compagnies qataries, l’interdiction des ressortissants de ces pays de se
rendre au Qatar et la demande aux ressortissants du Qatar, visiteurs ou
résidents permanents des cinq, de partir dans un délai de 14 jours.
En plus de l’impact diplomatique, cette décision a eu des
conséquences sur les marchés financiers qui se sont effondrés. Depuis
Doha, on affirme que cette mesure n’est pas « justifiée » et on dénonce
une action coordonnée pour déstabiliser et affaiblir la position du
Qatar.
Beaucoup d’interrogations surgissent suite à cette mesure drastique
et surprenante. En effet, cette décision intervient deux semaines après la visite de Donald Trump dans la région
et qu’il ait donné un soutien politique et militaire clair à l’Arabie
Saoudite et ses alliés contre l’Iran, afin de consolider une alliance
antiterroriste avec des pays de la région. A cette occasion, les
discours anti-iraniens ont fusé de la part de Trump.
Il est possible que, se sentant forts de ce soutien de taille,
l’Arabie Saoudite et ses alliés aient décidé de régler les différends à
l’intérieur du « bloc sunnite ». En effet, les frictions entre le Qatar
et les pays voisins ne sont pas nouvelles. Elles se sont accélérées et
approfondies notamment suite au processus des « révolutions arabes »,
quand la chaine d’information qatarie Al Jazeera s’était montrée à plusieurs reprises « favorable » aux mobilisations.
Mais le point le plus fort de la crise diplomatique avait été 2014,
lorsque l’Arabie Saoudite, les EAU et le Bahreïn avaient rappelé leurs
diplomates pour protester contre le soutien qatari aux Frères Musulmans
en Egypte renversés par le coup d’Etat du général Al Sisi.
Le Qatar est devenu en effet un pays où les opposants politiques des
monarchies du Golfe trouvent souvent refuge. C’est aussi un point
d’appui pour diverses tendances de l’islam politique comme les Frères
Musulmans mais aussi pour des groupes liés à Al Qaeda, comme l’ancien
front Al Nusra en Syrie. Ce n’est pas un hasard non plus que ce soit au
Qatar que les principaux leaders du Hamas palestinien aient trouvé
refuge.
Le régime saoudien et ses alliés voient vraisemblablement le Qatar
comme un potentiel rival sur le plan idéologique et politique.
Evidemment, cela ne veut aucunement dire que le régime qatari
représenterait une alternative « progressiste » pour les masses de la
région. La Qatar reste une monarchie profondément hostile aux classes
populaires et aux travailleurs. Une monarchie pro-business mais prônant
une approche de l’islam politique peut-être plus « modéré » ; ou en tout
cas qui essaye d’apparaitre (un peu) moins ouvertement rétrograde que
le régime saoudien.
Cependant, ce « règlement de comptes » au sein du bloc sunnite,
pro-impérialiste, pose une menace pour la stratégie de Trump au Moyen
Orient. En effet, si Trump, en ressortant le discours anti-iranien,
cherchait à donner une « cause commune » aux pays sunnites pour
s’engager d’avantage dans « la lutte contre le terrorisme », la division
du bloc sunnite est une très mauvaise nouvelle. Ce n’est pas un hasard
si Rex Tillerson, le Secrétaire d’Etat nord-américain, a déclaré qu’il
voulait que tous les pays se mettent autour de la table pour régler
leurs différends. Certains vont jusqu’à s’interroger sur la possibilité
que Trump soit au courant de cette mesure.
Sur le plan militaire, ces frictions diplomatiques au Golfe
représentent également un obstacle pour les Etats Unis. Le Qatar est un
allié central de l’impérialisme nord-américain dans la région. Dans ce
pays, l’armée étatsunienne possède une base aérienne. En outre, des
milliers de conseillers et responsables militaires travaillent dans le
pays et dans les autres Etats de la région. Si les relations entre le
Qatar et ses voisins sont rompues, cela va être difficile de les faire
travailler ensemble dans la lutte contre le terrorisme dans la région.
Dans les prochains jours on verra comment évolue la situation mais on
pourrait être face à un nouveau front de problèmes, inattendu, dans la
région. Et un conflit ouvert et durable entre le Qatar et ses voisins
pourrait reconfigurer le jeu d’alliances régionales et avoir aussi des
conséquences lourdes sur les plans des puissances impérialistes. Une
crise à suivre de près.
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