Voter
contre le FN pour éviter que la France devienne la Hongrie de Viktor
Orban. Voilà ce que beaucoup mettent en avant ces derniers jours.
Cependant, plusieurs éléments pointent les limites d’une telle
comparaison.
Le premier ministre hongrois Viktor Orban est devenu l’exemple
du dirigeant autoritaire dans l’Union Européenne. Et cela depuis des
années déjà. Ses politiques économiques « hétérodoxes » ont attiré
l’attention des banquiers et des dirigeants européens. Mais ce sont
surtout ses attaques contre les libertés démocratiques, contre la
liberté de presse, contre les ONG, sa politique profondément raciste
contre les Roms et contre les réfugiés qui ont attiré l’attention du
public au niveau international.
En effet, Orban est l’un des représentants européens de la tendance
politique dite « illibérale », une sorte de droite nationaliste
populiste et autoritaire qui rejette les principes du libéralisme
politique développés depuis plusieurs décennies au niveau mondial. Mais
il n’est pas le seul, beaucoup mettent les gouvernements d’Erdoğan, de
Poutine et celui du PiS en Pologne dans ce groupe.
Ainsi, une victoire de Marine Le Pen renforcerait cette tendance
mondiale. Il est effectivement très probable que Marine Le Pen et le FN
une fois arrivés au pouvoir veuillent instaurer un régime avec des
traits proches de celui d’Orban en Hongrie ou de celui de Poutine en
Russie.
Cependant, il y a plusieurs éléments qui limitent cette comparaison.
La première est qu’Orban est arrivé au pouvoir en 2010 avec une majorité
parlementaire de 2/3 dans le cadre de l’effondrement de la
social-démocratie qui était à la tête d’un gouvernement profondément
néolibéral. C’est précisément cette majorité écrasante au parlement qui a
permis à Orban d’appliquer sa politique réactionnaire.
Or, en France, rien que par le régime antidémocratique de la Ve
République, même en cas de victoire de Marine Le Pen à la
présidentielle, le FN est très loin de rêver obtenir une majorité de 2/3
aux élections parlementaires. En réalité, ce n’est même pas sûr qu’il
puisse obtenir de majorité absolue. La question de la majorité
parlementaire se pose également en cas de victoire de Macron.
Sans une majorité parlementaire confortable, l’éventuel projet
« illibéral » de Marine Le Pen serait très difficilement applicable. En
réalité, tout programme de gouvernement est pratiquement inapplicable
sans majorité parlementaire. Et cela sans parler du rapport de forces
entre les classes et entre les fractions au sein de la classe dominante.
Il existe un autre élément très important qui limite la comparaison
entre un éventuel gouvernement FN et la Hongrie de Viktor Orban : le
mouvement ouvrier français et sa capacité de mobilisation et de
résistance n’est pas du tout dans la même situation que celui en
Hongrie. Dans ce pays la classe ouvrière se trouve en grande partie
démoralisée et atomisée par les années de restauration capitaliste. Et
cela malgré le fait que, par rapport à d’autres pays de la région, elle
n’est pas totalement décomposée étant donné que beaucoup de
multinationales y ont ouvert des usines modernes.
En France, malgré des directions syndicales profondément
conciliatrices (non seulement les plus collaboratrices comme celle de la
CFDT mais aussi celle de la CGT qui appelle aujourd’hui à voter
Macron), la résistance face aux politiques anti-démocratiques et les
attaques sociales d’un éventuel gouvernement de Marine Le Pen serait
énorme. La situation sociale et politique en France face à un éventuel
gouvernement FN serait beaucoup plus instable qu’en Hongrie.
Mais il serait aussi totalement erroné de penser que le gouvernement
d’Orban en Hongrie est infaillible et tout-puissant. Même en Hongrie on
connait actuellement une polarisation sociale importante, dont
l’opposition à la fermeture de « l’université Soros » est l’un des
exemples les plus importants. De façon regrettable, cette mobilisation
est canalisée par des secteurs libéraux des classes moyennes, incapables
d’offrir de vraies perspectives aux travailleurs et aux classes
populaires.
En ce sens, tirer les leçons de la Hongrie d’Orban face à un éventuel
gouvernement du FN en France signifie avant tout se préparer à
organiser la résistance face aux attaques contre les conditions de vie
des classes populaires et les droits démocratiques ; cela signifie
débattre d’un projet anticapitaliste et révolutionnaire, émancipateur,
pour la classe ouvrière ; cela signifie aussi rejeter le néolibéralisme
non seulement comme une « fausse alternative » mais comme un danger
immense pour les travailleurs, les classes populaires et l’ensemble des
opprimés.
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