Les
Mères de la Place de Mai naissaient il y a 40 ans. Elles sont l’un des
symboles militants les plus forts et populaires en Argentine contre la
dernière dictature.
« Mères de la Place, le peuple vous embrasse ». Voilà l’un des
slogans scandés tout au long de ces 40 dernières années dans les
manifestations et divers évènements politiques pour exprimer le soutien
populaire à la lutte de ces femmes courageuses et héroïques. Et ce
soutien va bien au-delà de la gauche radicale et de l’extrême gauche.
Elles sont devenues un symbole national de la lutte pour les Droits de
l’Homme.
Le 30 avril 1977, au milieu de la période la plus sanglante de la
dernière dictature militaire en Argentine (1976-1983), 14 femmes se sont
rassemblées sur la Place de Mai, devant « La Casa Rosada », siège du
pouvoir exécutif, pour exiger une réponse de la part du pouvoir sur le
sort de leurs enfants enlevés par des militaires. Ces 14 courageuses
femmes ne savaient surement pas qu’elles étaient en train de fonder l’un
des symboles de lutte et de résistance contre la dictature les plus
importants.
En effet, le coup d’Etat du 24 mars de 1976 en Argentine s’inscrit
dans un contexte où face à une forte poussée de la lutte de classes dans
plusieurs pays de la région, les classes dominantes locales et les
puissances impérialistes ont imposé des régimes dictatoriaux dans
presque tous les pays d’Amérique latine. Leur objectif n’était pas
seulement mettre fin à la contestation sociale mais d’imposer un nouveau
model économique et politique, néolibéral. Pour cela il fallait
anéantir, y compris physiquement, toute une génération militante qui
allait résister à ces attaques brutales.
Dans ce cadre, la dictature argentine met en place un plan
systématique d’enlèvement, de détention illégale et torture et de
« disparition » des opposants au régime : des militants politiques de
gauche et d’extrême gauche, des syndicalistes et des militants
associatifs pour les droits des l’Homme. Les militaires faisaient des
« descentes » dans les locaux politiques ou syndicaux, dans les
domiciles des militants, les enlevaient, les enfermaient dans des
centres clandestins de détention, les torturaient. Certains ont survécu,
un petit nombre s’est évadé, mais en général les détenus étaient
« disparus » par les militaires. Torturés à mort et exécutés, parfois
avec des techniques sinistres comme les terribles « vols de la mort ».
30.000 personnes ont été victimes de ce régime.
Les Mères de la Place de Mai sont précisément les mères de ces
militants dont on n’avait plus de nouvelles depuis qu’ils avaient été
enlevés par des militaires. Après avoir vu des responsables des
différentes institutions de l’Etat, parfois même l’Eglise, elles ont
commencé à parler entre elles et se raconter leurs situations, à se
rassembler, tout d’abord pour demander des nouvelles de leurs enfants.
Et tout cela dans ce contexte de terreur. Les Mères tournaient autour
de la statue centrale de la place car les rassemblements statiques
étaient interdits par la dictature. Elles tournaient autour de la place
tous les jeudis à 15h30, jusqu’à aujourd’hui. Elles sont non seulement
devenues un symbole héroïque de la résistance et de la lutte contre la
dictature, elles sont devenues des militantes pour la justice, la
vérité, pour les Droits de l’Homme. Et certaines ont payé même ce
courage avec leur propre vie.
Les Mères de la Place de Mai n’étaient pas seulement des mères. Elles
étaient aussi des grand-mères. En effet, certaines des militantes
séquestrées par la dictature avaient des enfants en bas âgé, parfois
âgés juste de quelques mois qui étaient séquestrés avec elles, ou
étaient enceintes. Certains de ces bébés ont même été torturés « pour
faire parler les parents ». Ces bébés leur ont également été enlevés et
donnés en adoption, parfois les militaires tortionnaires eux-mêmes
s’appropriaient ces enfants. Du sadisme à l’état pur.
Au cours de ces 40 dernières années les Mères de la Place de Mai ont
réussi à retrouver 122 « enfants disparus » sur plus de 400 qu’on estime
avoir été enlevés.
Après l’arrivée au pouvoir de Nestor Kirchner en 2003 puis de sa
femmes Christina Kirchner, qui ont mis ne place un discours démagogique
sur les « Droits de l’Homme » et de « lutte contre les tortionnaires de
la dictature » le mouvement des Mères de la Place de Mai s’est divisé
principalement en deux ailes : l’une qui soutenait ouvertement la
politique du gouvernement Kirchner et une autre, « ligne fondatrice »,
qui est restée indépendante vis-à-vis du gouvernement et de l’Etat qui a
lui-même organisé ces « disparitions » et répression contre les
militants.
Le résultat du soutien au gouvernement Kirchner a été catastrophique
car cela a permis de légitimer le « double discours » des Kirchner quand
ils étaient au pouvoir : d’un côté ils disaient lutter contre les
répresseurs encore en liberté et pour la défense des Droits de l’Homme
et d’autre part ils ne s’attaquaient qu’aux « grosses têtes » de la
dictature, ils ont refusé d’ouvrir les archives de l’époque pour
retrouver les traces des « disparus », ils réprimaient le mouvement
social et enfin c’est sous leur gouvernement que Jorge Julio Lopez a été
« disparu », une seconde fois, après avoir témoigné contre l’un de ses
tortionnaires pendant la dictature (à l’époque les ministres des
Kirchner disaient que « Lopez était peut-être chez sa tente », pour nier
l fait qu’il avait été séquestré par des réseau militaires encore
actifs).
Tout cela montre encore une fois l’importance de la lutte des Mères
de la Place de Mai. Une lutte tout à fait actuelle qui doit rester
indépendante des gouvernements et surtout de l’Etat qui a organisé le
« terrorisme d’Etat » dans les années 1970. 40 ans après l’apparition
des Mères de la Place de Mai, comme elles disent toujours à propos des
« disparus », le meilleur hommage à leur rendre c’est de continuer leur
lutte pour une société plus juste.
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