La
presse hexagonale pointe la nouvelle revendication sur un « statut
particulier » pour la Guyane. Mais, qu’est-ce que cela veut dire ?
Autonomie ? Indépendance ? Comment les intérêts des travailleurs et des
classes populaires pourraient être représentés ?
Philippe Alcoy
Le statut de la Guyane, « question tabou », au moins pour
certains. Département, français, d’outre-mer. Mais surtout pas colonie.
Autonomie, peut-être. Mais surtout pas indépendance. Inévitablement, en
effet, la question du statut de la Guyane s’est invitée dans la crise
sociale de cette vieille colonie française.
Partie des revendications sociales et économiques diverses, confuses,
polyclassistes ; au milieu d’exigences de plus de moyens pour les
écoles et les hôpitaux, de mesures contre le chômage et la précarité,
pour plus et meilleures infrastructures et services publics, se sont
engouffrées des revendications réactionnaires sécuritaires, contre les
étrangers, des revendications patronales comme la baisse d’impôts, entre
autres.
Cependant, une chose était claire, au moins au début : personne ne
parlait du statut de la Guyane. Mais cette situation n’a pas su durer.
Et au bout de deux semaines de mobilisations et moins d’une semaine
après le début de la grève générale, on commence à parler de « statut
particulier » pour la Guyane.
Derrière cette revendication c’est un flou total qui se cache pour le
moment. Certains estiment qu’il s’agirait de remettre sur la table la
proposition d’autonomie, déjà rejetée massivement en 2010 par les
électeurs, même si avec une participation très faible (48 %). Ainsi, la
Guyane serait régie par l’article 74 de la Constitution, « un statut qui
tient compte de [son] intérêt propre au sein de la République ».
Comme explique le juriste Blaise Tchikaya au journal La Croix :
« Les lois applicables en Guyane seraient ainsi celles qu’auraient
élaborées leurs assemblées élues dans les domaines déterminés par la
République en amont. Par exemple, ils n’auraient évidemment pas le droit
de changer le drapeau et devraient aménager leur politique extérieure
par rapport à la ligne définie par le Quai d’Orsay. Mais cela signifie
que la collectivité devrait se gérer elle-même, avec l’aide de la France
pour améliorer un service public défaillant ».
Autrement dit, un projet complètement compatible avec les intérêts de
secteurs du patronat local qui, tout en maintenant la soumission
politique et économique du pays à la France, seraient intéressés par la
possibilité de développer plus facilement des affaires avec les pays
limitrophes et de la région. Ce qui n’est aucunement une garantie pour
que les investissements nécessaires et urgents dans la santé,
l’éducation, les services publics, les infrastructures, pour lutter
contre le chômage et encore moins pour le respect des revendications
culturelles des populations locales, soient débloqués.
En effet, sur cette question particulièrement importante, comme pour
l’ensemble des autres revendications sociales, nous touchons à un aspect
central : l’indépendance de classe des exploités et opprimés de la
Guyane vis-à-vis du patronat local et de l’impérialisme français. Le
mouvement guyanais a un caractère ouvertement polyclassiste, de
conciliation de classe. Et cela dès le début. Par exemple, parmi ceux
qui négocient au nom du mouvement avec le gouvernement français ont
trouve le représentant du MEDEF local, Stéphane Lambert ; on retrouve
également l’ancien policier, Mickaël Mancée, porte-parole charismatique
du très réactionnaire mouvement des « 500 frères contre la
délinquance ».
Dans ce contexte, on peut se dire qu’il est insensé de laisser la
défense des revendications des travailleurs et des classes populaires
entre les mains de ces gens-là. Et encore moins celles touchant au droit
démocratique fondamental de l’autodétermination des peuples. La seule
façon de garantir que les intérêts ouvriers et populaires soient
réellement défendus c’est au travers de l’auto-organisation des
travailleurs, de la jeunesse et des classes populaires dans les lieux de
travail, dans les établissements scolaires, dans les quartiers
populaires.
Les salariés et la jeunesse précarisée doivent organiser et décider
des revendications de leur lutte à travers des organismes
d’auto-organisation, comme des conseils ouvriers et des quartiers
populaires. Dans ceux-ci, des représentants seraient élus, avec un
mandat de la base et révocables à tout moment, pour porter les
revendications ouvrières.
C’est seulement de cette manière que le droit à l’autodétermination
de la Guyane pourrait être discuté librement. C’est seulement de cette
manière que les exploités et opprimés de la Guyane pourraient s’assurer
qu’on ne bafouera pas leurs revendications au nom d’une soi-disant
« autonomie » ou même d’une (fausse) indépendance en adéquation avec les
intérêts des classes dominantes locales. L’auto-organisation des
travailleurs et des classes populaires est fondamentale pour éviter que
les exploités et opprimés guyanais soient montés contre leurs frères et
sœurs de classe immigrés, venus des pays limitrophes ou de la région,
contrairement à ce que revendiquent des mouvements comme les 500 Frères.
La misère structurelle de la Guyane, ainsi que des autres colonies
françaises, n’est pas un « accident » du destin mais un plan conscient
de l’impérialisme français. La dépendance vis-à-vis de l’Hexagone est
nécessaire au maintien du colonialisme ; elle est fondamentale pour
empêcher que les peuples puissent décider de leur propre sort.
Le grand capital et les classes dominantes françaises « n’oublient »
ni « n’abandonnent » la Guyane. Ils la laissent sciemment dans un état
de misère et de sous-développement. Ils ne peuvent pas prendre le risque
de perdre une colonie aussi stratégique d’un point de vue militaire,
géopolitique et économique. Le patronat local s’en accommode et tire son
épingle du jeu. Il est temps que les travailleurs et les classes
populaires imposent leurs intérêts, allant jusqu’à arracher leur
indépendance vis-à-vis de l’impérialisme français s’ils le souhaitent.
Une indépendance qui ne pourrait être totale et réelle que dans le cadre
d’une lutte pour un gouvernement des travailleurs et des opprimés, en
expropriant les multinationales françaises et les grosses fortunes
locales.
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