28.3.17

Guyane : colonisation, référendums et lutte anticoloniale




À chaque crise sociale dans les colonies françaises, la question de leur statut est posée directement ou indirectement. Suite à une polémique sur une déclaration de Mélenchon sur le caractère « français » de la Guyane, beaucoup de ses soutiens ont réagi. Certains arguments sont assez surprenants. 

Philippe Alcoy 


Nous avons publié ce weekend une polémique avec le candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à propos de sa déclaration de solidarité avec le mouvement social en cours en Guyane où il affirmait également que « la Guyane c’est la France ! ». Certains de ses sympathisants ont réagi pour défendre la déclaration de Mélenchon, parfois allant dans le sens de relativiser le caractère colonial de la Guyane voire de nier que la Guyane soit une colonie.

Principalement, deux arguments ont été mis en avant. Le premier se base sur une comparaison du caractère colonial de la Guyane avec d’autres territoires métropolitains comme la Corse ou encore la Bretagne. L’autre argument mis en avant est celui du résultat du référendum sur l’autonomie de la Guyane en 2010, où près de 70% des participants ont voté pour le « non », ce qui démontrerait leur « attachement » à la France.

La Guyane, comme la Corse ou la Bretagne ?

Sur notre page Facebook nous retrouvons le commentaire suivant de ThéodoricG. : « Si tu vas par là, le comté de Nice, la Savoie, le Pays Basque, l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté, la Corse, la Normandie, le Béarn, l’Aquitaine, etc., sont autant de conquêtes ou de colonies aussi peu françaises que la Guyane… ». Billy M. pour sa part affirme, dans un commentaire sous l’article : « La Guyane est un DOM. Tout Guyanais est français, a droit à la CAF et au chômage ! Comme un Breton ou un Alsacien ! Pourquoi ressortir le colonialisme aujourd’hui ? Chaque région a son histoire : la Bretagne a été occupée par les Anglais, les Vikings, et même par les Romains ! L’Alsace a été allemande ! Je concède que l’on puisse rapprocher le colonialisme des TOM, mais pas celui des DOM… ».

Cette façon de poser la question comporte un premier problème qui consiste à relativiser la colonisation de la Guyane (ainsi que des autres territoires français d’Outremer) en faisant abstraction non seulement de la situation socio-économique spécifique actuelle, mais aussi de l’histoire même de ces territoires.

Comparer la Guyane à la Bretagne, à la Corse ou à la Savoie revient à oublier que la première a été conquise par la force, peuplée d’esclaves amenés depuis l’Afrique et, qu’une fois l’esclavage aboli, sa population a été longtemps soumise au Code de l’indigénat. Évidemment, cela n’a pas été le cas des régions métropolitaines mentionnées. Au contraire, comme explique Romain Bertrand, chercheur au CNRS, dans un article de Libération à propos de la « colonisation intérieure » et le cas de la Corse : « Il s’agit d’un phénomène d’unification par l’État concomitant à celui de l’expansion extérieure des frontières. En Grande-Bretagne, l’une des manifestations de ce phénomène concerne l’intégration des populations d’Irlande et d’Écosse, qui constituaient notamment une part importante des forces coloniales britanniques en Inde. La colonisation de l’Inde a donc été accomplie en partie par des Irlandais et des Écossais dont le rattachement à la couronne britannique était pour le moins conflictuel. En France, on pourrait faire un parallèle avec les Corses, qui étaient par exemple plus présents, proportionnellement, que les métropolitains dans les douanes de l’AOF (Afrique-Occidentale française, NDLR) ».

Sur la situation socio-économique, quelle région de la France métropolitaine, soi-disant « colonisée », connait un taux d’illettrisme des adultes de près de 40% (et cela sans que les pouvoirs publics ne s’en émeuvent) ? Quelle est la région métropolitaine qui connait des coupures de courant électrique et d’eau pendant des jours entiers ? Selon l’INSEE, le chômage en Guyane est de 23%, en Corse et en Bretagne, pour ne prendre que ces deux régions, il n’est « que » de 10% et 8% respectivement. En Guyane, l’armée, l’administration et les postes de travail hautement qualifiés restent presque exclusivement réservés aux « Français métropolitains ».

Mais, venant de la part de sympathisants de la France Insoumise, le plus étonnant dans ces arguments est qu’ils sont tout simplement le patrimoine de la droite nationaliste et réactionnaire. L’article de Libération que nous citons plus haut est en effet une réponse de la part de trois historiens aux déclarations du député LR Dominique Bussereau, qui réagissait aux dires d’Emmanuel Macron qui a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » : « Qu’est-ce que ça veut dire, la colonisation ? La Savoie est arrivée dans l’ensemble français après la Réunion […]. Idem pour le comté de Nice. Peut-on considérer que la Savoie et le comté de Nice ont été victimes d’une forme de colonisation ? ».

Les Guyanais ont voté pour rester français… 

Mais, si la situation de la Guyane est aussi mauvaise, pourquoi ont-ils voté « non » au référendum sur l’autonomie en 2010 ? C’est en ce sens que va la question de Marquesuza M. sur notre page Facebook : « Révolution permanente, ça ne vous dérange pas de parler à la place des Guyanais qui ont dit par leur vote vouloir être un département français ? ».

Effectivement, en 2010, lors d’un référendum sur l’autonomie, et en « aucun cas » sur l’indépendance (d’après les mots de Nicolas Sarkozy), les électeurs guyanais ont voté à près de 70% contre l’autonomie (avec seulement 48% de participation). Or, ce résultat ne contredit en rien la situation coloniale et l’oppression de la France sur ces territoires. Car l’alternative présentée à la population était celle de continuer sous la domination de la France, tout en perdant la représentation au Parlement et en risquant d’avoir moins de fonds étatiques.

À cela, il faut ajouter la situation économique et sociale de la Guyane, son sous-développement et sa dépendance vis-à-vis de la métropole. Comme affirme le géographe Hervé Théry au Monde : « Les activités productives de la Guyane restent très limitées, elle importe pratiquement tout, nourriture comprise. Mais elle se trouve dans une situation globale bien meilleure que ses voisins, il suffit pour s’en convaincre de comparer sa situation à celle des deux autres Guyane, le Suriname (ex-Guyane hollandaise) et le Guyana (ex-Guyane britannique), ou avec l’État brésilien voisin, l’Amapa, où le salaire minimum mensuel est de 937 reais (340 euros) ».

La situation de dépendance de la Guyane, ainsi que des autres colonies françaises, vis-à-vis de la métropole est une politique consciente de l’impérialisme français pour éviter que tout sentiment national se développe sur la base d’un développement économique propre qui rendrait l’indépendance viable, ou au moins souhaitable. Le spectre de la misère des anciennes colonies hollandaises ou britanniques, ou encore la situation catastrophique de Haïti, spoliés par les puissances impérialistes, servent également « d’épouvantail » pour les populations locales.

Droit à l’autodétermination des peuples et lutte révolutionnaire 

C’est dans le contexte de ce choix entre l’assujettissement ou la « liberté de mourir de faim » que l’on peut largement comprendre les résultats des votes contre le changement du statu quo dans les colonies françaises. Cependant, une chose est sûre : à chaque victoire du maintien du statu quo, c’est l’impérialisme français qui se renforce. Dans un communiqué de l’époque, Sarkozy se réjouissait de « la réponse négative claire » des Guyanais qui témoignait de « leur attachement à un statut qui soit proche de celui des collectivités de métropole, réaffirmant ainsi le lien étroit qui les unit à la République ». En ce sens, pour les exploités et opprimés des colonies, mais aussi pour ceux de la métropole, il n’y a absolument rien à fêter.

Au cours du mouvement actuel en Guyane, aucun secteur déterminant n’est en train de demander l’indépendance, ni même poser la question. En tout cas pour le moment. Mais ici il est question de nommer les choses par leur nom : la Guyane, comme le reste des DOM-TOM et des autres possessions françaises d’Outremer, est bien une colonie. Leur « retard » économique et social (par rapport à la métropole) est le résultat direct de la domination coloniale et ne saurait trouver de solution dans le cadre de la colonisation. En fin de compte, les revendications sociales, économiques et démocratiques structurelles des colonies françaises ne pourraient être satisfaites que dans le cadre d’une lutte pour l’indépendance.

Et cette indépendance, réelle, ne peut avoir lieu que dans un processus de lutte pour l’expropriation des multinationales françaises et des capitalistes locaux par la classe ouvrière, en lutte pour un gouvernement des travailleurs en alliance avec les exploités et opprimés des autres colonies françaises de la région, avec ceux des pays voisins et avec les travailleurs de France métropolitaine. L’autodétermination des peuples est un droit fondamental pour les opprimés et exploités qui, dans le cadre des colonies françaises, pourrait devenir le fer de lance d’un processus révolutionnaire dans l’ensemble des colonies, des semi-colonies françaises et de la France métropolitaine elle-même. En ce sens, pour les révolutionnaires, il est élémentaire de ne jamais relativiser ou négliger le poids des chaines de la domination coloniale et impérialiste de notre propre bourgeoisie sur nos frères et sœurs de classe d’ailleurs.

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