Un
tournant brusque du gouvernement nord-américain en Syrie qui risque
d’avoir d’énormes conséquences au niveau national et international.
Le président Trump a ordonné jeudi soir ses premières frappes en Syrie en représailles d’une attaque chimique, imputée au régime, qui a fait une centaine de morts
et plus de 300 blessés mardi dernier à Khan Cheikhoun. La décision
constitue un revirement spectaculaire dans la politique prônée jusque-là
par le nouveau président et son gouvernement dans le dossier syrien.
Alors que la nouvelle administration laissait sous-entendre seulement quelques jours plus tôt que le départ du dictateur Bachar al-Assad n’était plus une priorité,
l’attaque à l’arme chimique, imputée au régime d’Assad, lui aurait fait
changer d’avis. Cinquante-neuf missiles Tomahawk, lancés depuis deux
vaisseaux de guerre stationnés en Mer Méditerranéenne, ont frappé un
aéroport militaire du régime d’où auraient décollé les avions impliqués
dans l’attaque de mardi.
Trump et son administration essaient de justifier ces bombardements
avec toute une série de déclarations « compatissantes ». « Ce qu’Assad a
fait est terrible. Ce qui s’est passé en Syrie est une honte pour
l’humanité et il est au pouvoir, donc je pense que quelque chose devrait
se passer » avait déclaré Trump. « Aucun enfant de Dieu ne devrait
avoir à subir une telle horreur » a-t-il poursuivi.
Cette décision n’a pourtant rien à avoir avec la compassion, comme le
montre sa politique d’hostilité à l’égard des réfugiés syriens, en les
interdisant de rentrer aux Etats Unis, en les traitant comme des
terroristes. C’est la décision d’un président affaibli, dont les
premières mesures législatives, comme l’interdiction d’entrée sur le sol
états-unien aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane et
l’abrogation de la réforme de santé d’Obama, ont spectaculairement
échoué. C’est la décision d’un président qui est par ailleurs accusé de
s’être coordonné avec le régime de Poutine afin de gagner l’élection
présidentielle. Bombarder la Syrie est un moyen pour Trump d’apparaître
comme indépendant de Poutine, qui n’a pas tardé à réagir vivement en
opposition aux bombardements états-uniens.
Cependant, même s’il y a eu des déclarations contradictoires de la
part de membres du gouvernement et du commandement militaire, Trump a
cherché à limiter au maximum les dommages contre des citoyens et les
équipements militaires russes. Ainsi, selon le capitaine Jeff Davis,
porte-parole du Pentagone, le commandement russe a été informé de
l’attaque imminente, lui permettant d’évacuer ses ressortissants et son
équipement. En effet, durant l’attaque, aucun avion russe ne se trouvait
dans la base, selon les responsables militaires américains. En même
temps, pour le moment on ne peut pas évaluer les dégâts matériels ni les
pertes en termes de vies humaines.
Avec cette démonstration de force militaire, Trump cherche ainsi à
redorer son blason auprès de l’opinion publique états-unienne, à
apparaître comme un homme fort, comme celui qui va « rendre à l’Amérique
sa grandeur » avec une politique étrangère agressive en nette rupture
avec celle d’Obama, jugée trop « hésitante et timorée ».
Cependant, certains commencent à prévenir que Trump doit éviter
d’apparaitre comme faisant un coup de force en Syrie, passant au-dessus
de l’autorité du parlement. Au contraire, il devrait, en plus d’envoyer
un message clair à la population sur ses objectifs, faire en sorte que
cette attaque rentre dans un cadre légal d’intervention militaire.
Autrement, les oppositions à son gouvernement au sein du parlement
pourraient s’aggraver, notamment en cas d’escalade avec des forces
internationales.
En effet, concernant les puissances internationales, la première à la
quelle tout le monde pense est la Russie. Le gouvernement russe n’a pas
tardé à condamner l’attaque nord-américaine, la qualifiant
« d’agression contre un Etat souverain ». Même si les conséquences de
l’attaque sur les relations avec la Russie sont encore incertaines, il
est probable que les Etats Unis essayent de l’utiliser comme une façon
d’améliorer son rapport de force sur le terrain syrien.
Tex Tillerson, secrétaire d’Etat nord-américain, se rendra en Russie
mardi prochain et probablement essayera de « rassurer » Poutine et en
même temps le pousser à faire pression sur son allié syrien pour qu’il
négocie avec les forces rebelles dans une meilleure position pour
celles-ci.
Trump essaye peut-être d’utiliser une méthode inspirée de Poutine en
Syrie : frapper pour ensuite négocier. Sauf que les conséquences
géopolitiques de telles actions des Etats Unis ont beaucoup plus
d’impact au niveau mondial et pour les Etats Unis eux-mêmes. Ainsi, si
le gouvernement Trump peut espérer « rassurer » la Russie, cela semble
très difficile de faire de même avec l’Iran. Ce pays a beaucoup plus de
choses en jeu en Syrie que la Russie et, bien qu’alliés, les relations
entre ces pays ne sont pas toujours faciles, leurs intérêts étant
parfois contradictoires. Même dans le cas où Trump réussisse à
convaincre Poutine de ne pas « sur réagir » à l’attaque contre Assad, il
n’est pas certain que celui-ci pourra convaincre l’Iran de faire de
même.
Et cela n’est pas anodin pour les intérêts des Etats Unis dans la
région. Depuis la faillite de l’intervention américaine en Irak, l’Iran a
gagné une grande influence dans la région et les américains y sont
obligés de travailler avec Téhéran. On ne peut pas exclure que l’attaque
contre Bachar al-Assad ait des conséquences en Irak et que les milices
iraniennes s’en prennent aux forces américaines.
Enfin, mais non moins important, l’attaque américaine en Syrie peut
être aussi un message pour la Chine à propos notamment de la Corée du
Nord et du conflit en Mer de Chine du sud-est autour des îlots
artificiels. En effet, cette attaque a lieux au milieu de la visite
officielle du président chinois Xi Jinping et c’est une manière de
lancer un avertissement au gouvernement chinois et nord-coréen en leur
prévenant que les Etats Unis sont prêts à intervenir s’il le faut.
Il est encore trop tôt pour dire avec précision quelles seront les
conséquences de cet évènement et de cette politique guerrière plus
agressive de la part du gouvernement Trump. Mais il est clair qu’une
situation très risquée semble s’ouvrir.
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