7.3.17

Macédoine. Jusqu’où ira la crise politique ?


Philippe Alcoy
 
La crise politique en Macédoine rentre dans des eaux troubles. Très dangereuses et menaçantes pour l’ensemble de la région. Le président Gjorge Ivanov a refusé mercredi dernier de permettre aux sociaux-démocrates de former un gouvernement, car son alliance avec les partis de la minorité albanaise mettrait en danger « l’indépendance et l’intégrité territoriale » du pays. Un vrai véto anticonstitutionnel à la participation des partis albanais au gouvernement qui risque d’attiser des tensions interethniques et qui n’a pour but que de préserver le pouvoir entre les mains des populistes de droite du VMRO-DPMNE de l’ancien président Nikola Gruevski.
 

La crise politique en Macédoine n’est pas nouvelle. Elle a connu des épisodes aigus depuis au moins deux ans, avec des mobilisations de masse lors de la crise des écoutes téléphoniques illégales organisées par le gouvernement de Nikola Gruevski en 2015. Ensuite, en avril 2016, une tentative d’amnistie des politiciens soupçonnés d’avoir participé à ces écoutes illégales a déclenché des mobilisations spontanées également. Entre 2014 et début 2015, le pays avait connu plusieurs mobilisations étudiantes et lycéennes qui ont fait reculer le gouvernement face à une mesure qui dégradait leurs diplômes. Des luttes qui ont préparé le terrain pour les mobilisations postérieures.

C’est l’intervention de l’UE qui a permis de sauver le gouvernement de Gruevski et relégitimer son parti complètement embourbé dans les affaires de corruption (même si tous les partis sont entachés par les affaires). Les occidentaux ont « sponsorisé » l’ouverture d’un processus électoral qui a débouché sur les élections de décembre dernier. Celles-ci n’ont permis à aucun des deux principaux partis du régime de remporter suffisamment de sièges pour former un gouvernement. Le parti de Gruevski, le VMRO-DPMNE, est arrivé en tête et a remporté 51 sièges sur 120 que compte le parlement (49 pour les sociaux démocrates).

Le fait que le parti de l’ancien président Gruevski n’arrive pas à obtenir une majorité suffisante pour former un gouvernement, malgré le fait de contrôler les médias et les différentes institutions de l’État,exprime la crise de légitimité de ce parti après dix ans au pouvoir.

Sauver une caste politicienne corrompue à travers le nationalisme réactionnaire

Dans ce contexte, l’Union des sociaux-démocrates de Zoran Zaev a entamé des négociations avec les partis de la minorité albanaise (25% de la population) pour former un gouvernement. Finalement, la semaine dernière, Zaev a réussi à obtenir le soutien des trois partis albanais. Or, le président Gjorge Ivanov a refusé de charger Zoran Zaev de former un gouvernement car celui-ci mettait en danger la « souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de la République de Macédoine ».

Le prétexte pour que le président Ivanov prenne cette décision anticonstitutionnelle a été le fait que les sociaux-démocrates auraient signé un accord avec les partis albanais basé sur la « Plateforme albanaise », document posant les conditions des partis albanais pour soutenir un quelconque gouvernement en Macédoine. Parmi les points les plus « controversés » se trouverait une loi rendant l’albanais la seconde langue officielle sur l’ensemble du pays et non seulement dans les zones où les Albanais représentent plus de 20%, comme c’est le cas aujourd’hui.

Il s’agit clairement d’une manœuvre de la part du VMRO-DPMNE (qui a été allié pendant des années à l’un des principaux partis albanais, le BDI) pour déplacer la contestation du terrain de la corruption généralisée du régime et des inégalités et de la misère rampantes dans la société, vers celui des « tensions interethniques ». C’est une tactique que Gruevski avait déjà utilisée grossièrement en 2015 lors des mobilisations antigouvernementales lors de la crise des écoutes illégales avec la soi-disant « attaque terroriste » de séparatistes albanais à Kumanovo. À l’époque, les masses avaient répondu avec des énormes manifestations où l’on pouvait voir des drapeaux macédoniens mélangés à des drapeaux albanais, serbes, bulgares, etc.

Mais cette fois la situation semble différente. Et cela en grande partie à cause de l’attitude des sociaux-démocrates et des partis albanais eux-mêmes. En effet, au-delà de la justesse ou non des revendications des partis albanais, le tout apparaît comme un marchandage politicien et comme une imposition par en haut. Cela ne peut que faciliter le terrain pour que le nationalisme réactionnaire de Gruevski se développe et arrive à toucher à une partie importante de la population macédonienne.

En même temps, l’attitude du gouvernement peut effectivement mener à ce que les partis albanais et la population albanaise changent d’agenda politique et commencent à demander l’autonomie du territoire où ils sont majoritaires. Comme on affirme dans un article récent de Balkan Insight : « si l’impasse persiste, le risque est que les Albanais passent de chercher un partenariat d’égal à égal avec les Macédoniens à chercher à développer une entité albanaise à l’ouest du pays, que les Albanais pourraient gérer en leur propre intérêt ».

Autrement dit, la manipulation du soi-disant risque « séparatiste » par le pouvoir macédonien peut créer réellement un courant d’opinion favorable à la séparation au sein de la population albanaise car leurs droits démocratiques sont systématiquement déniés par le pouvoir.

Les puissances internationales sont également responsables

Comme il a été dit plus haut, les puissances de l’UE sont largement responsables de l’évolution réactionnaire de la situation, car elles ont permis que le gouvernement corrompu de Gruevski ne tombe pas en 2015, quand des mobilisations massives exigeaient son départ suite au scandale des écoutes illégales. Comme écrit Adela Gjorgjioska sur LeftEast, l’UE a « aidé à légitimer le VMRO-DPMNE en lui permettant de négocier sa sortie face aux manifestations de masse de 2015 et 2016 et de s’accrocher au pouvoir pendant deux ans de plus après que le soulèvement des masses contre son règne criminel ait commencé ».

Aujourd’hui, l’UE et les États-Unis protestent contre l’attitude du président Ivanov et en appellent au respect de l’État de droit. La Haute Représentante aux affaires étrangères de l’UE, Federica Mogherini, a même visité la région la semaine dernière pour essayer de calmer les tensions. Mais les pressions occidentales semblent avoir de moins en moins d’effet. C’est précisément pour cela que tout le monde craint une escalade qui débouche sur une situation incontrôlable.

Quant à la Russie, elle soutient le président Ivanov et le parti de Gruevski face au soi-disant « séparatisme albanais ».Le Kremlin n’hésite pas à relayer le discours nationaliste du pouvoir macédonien, déplaçant l’axe du débat sur ce terrain aussi dangereux et explosif. Poutine et son gouvernement cherchent en réalité à occuper des positions dans la région pour améliorer leur rapport de force face aux puissances occidentales. Poutine démontre encore une fois son caractère réactionnaire dans la région, prêt à attiser des tensions nationalistes afin de protéger les intérêts du capitalisme russe. Et cela dans un contexte où dans la région il existe plusieurs crises et conflits ouverts, potentiellement dangereux.

Que ce soit le VMRO-DPMNE de Gruevski, soutenu maintenant par Poutine mais qui a su être complètement servile aux impérialistes occidentaux en appliquant leur politique anti-réfugiés, les sociaux-démocrates ou les partis albanais, ils défendent tous un ordre corrompu contre les travailleurs et les classes populaires. Tous ont participé au sauvetage du régime et, en dernière instance, du parti de Gruevski quand les masses étaient dans les rues. Il est évident que si les travailleurs, les jeunes et l’ensemble des classes populaires n’interviennent pas de façon indépendante de toutes ces forces, en mettant en avant leurs propres revendications sociales, démocratiques, structurelles comme l’égalité pour tous les groupes nationaux, cette crise va être capitalisée et déviée à leur défaveur. L’histoire des Balkans a déjà largement démontré de quoi sont capables les classes dominantes et leurs « sponsors » internationaux pour préserver leurs privilèges. Il s’agit absolument de les empêcher de recommencer.


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