Philippe Alcoy
Ces
derniers jours au Brésil, des images aberrantes de deux crimes
emblématiques de la violence sociale dans le pays ont choqué la
population. Il s’agit des dernières images de Dandara Dos Santos, trans
battue à mort par cinq hommes à Fortaleza au nord-est du Brésil, et
celles du jeune João Victor, 13 ans, également battu à mort par un
vigile d’une chaîne de fast-food quand il demandait de l’argent aux
clients d’un magasin à São Paulo. Des scènes qui révèlent la brutalité
de la société capitaliste brésilienne, profondément raciste, homophobe
et inégale.
Dandara, nouvelle victime dans le pays qui tue le plus de trans au monde
L’assassinat de Dandara Dos Santos a eu lieu le 15 février dernier.
Elle a succombé aux coups de ses agresseurs. Mais le cas a gagné un
grand écho vendredi quand des images ont été publiées sur les réseaux
sociaux.
On y voit Dandara avec ses vêtements déchirés, tachés de sang, assise
par terre. Des hommes l’insultent, la frappent et lui ordonnent de
monter sur une brouette. Dandara, visiblement très affaiblie, essaye
d’obéir mais elle est assommée et n’arrive même pas à se mettre debout.
Les coups fusent : coups de pieds, coups avec des bâtons, coups avec des
claquettes et même avec un énorme bout de bois.
Le tout est filmé par une personne qui lance des insultes et rigole
face à cette scène sauvage. Il semble y avoir d’autres témoins et
personnes qui l’insultent également. « Monte [sur la brouette] mec » ; « cette saleté a une culotte », sont certaines des insultes que ses assassins lui lancent.
Finalement, les agresseurs décident de la mettre eux-mêmes sur la
brouette et de l’amener quelque part, probablement à l’endroit où elle a
fini par être tuée. La personne qui filme au moment où les cinq
individus partent avec la brouette et Dandara, lance en souriant : « ils vont tuer le pédé… ». Et la vidéo s’arrête là.
Vidéo :
L’émotion est grande dans le pays. Le gouvernement de l’État de Ceará
a publié une note de condamnation. La police a dû lancer une enquête et
dit avoir identifié les agresseurs, même si ceux-ci sont toujours en
fuite.
Mais le cas de Dandara est loin d’être isolé. Le Brésil est le pays
où l’on assassine le plus de personnes transgenres au monde. En 2015,
des 295 cas d’assassinats de trans enregistrés dans le monde, 42% ont eu
lieu au Brésil, soit 123 meurtres. Bien devant le Mexique, avec 52
assassinats, qui arrive en deuxième place de ce sinistre classement.
Et encore, on peut dire que l’assassinat de Dandara, qui a eu lieu il
y a plus de 15 jours, a mobilisé la police et les pouvoirs publics
parce que les images ont été publiées sur les réseaux sociaux. Car, sans
aucun doute, son cas aurait pu, comme tant d’autres, être classé sans
suite.
João Victor, une enfance de pauvreté condamnée à mort
L’autre affaire qui a pris de l’ampleur ces derniers jours est celle
de la mort du jeune de 13 ans, João Victor, à São Paulo. João Victor
faisait régulièrement la manche dans le magasin de la chaîne de
fast-food Habib’s ou gagnait quelques pièces en échange de garder les
voitures garées dans la rue. Dimanche 26 février dernier, pour des
causes pour le moment inconnues, il a été agressé par des vigiles du
magasin et en est mort.
Comme dans le cas de Dandara, c’est grâce aux images diffusées par
une chaîne de télévision que l’affaire a pris de l’ampleur au niveau
national. Alors que l’entreprise commençait par nier toute
responsabilité en disant que le jeune serait mort d’un arrêt cardiaque
lié à la consommation de drogues, les images montrent le jeune traverser
la rue en courant, poursuivi par au moins deux adultes et, quelques
secondes plus tard, on voit João Victor traîné par les bras, sans avoir
la force de se lever, et jeté sur le trottoir où il décèdera quelques
minutes après.
Vidéo :
L’indignation est grande. La famille et les voisins ont organisé une
manifestation devant le magasin pour exiger justice et pour dénoncer ce
crime abominable. João Victor était un enfant pauvre, Noir, qui habitait
dans une favela du nord de São Paulo. Sa mère travaille comme femme de
ménage pour une entreprise de bus. C’est le mépris de classe et le
racisme qui ont tué João Victor, dans un pays habitué à assassiner les
enfants pauvres, les enfants et les jeunes Noirs dans les quartiers
périphériques et dans les favelas.
Comme dans le cas de Dandara également, on se demande ce qu’il en
serait aujourd’hui du cas de João Victor s’il n’y avait pas eu ces
images. Dans ce cas aussi, la police brésilienne a démontré son racisme
et mépris de classe habituels en n’ouvrant une enquête que trois jours
après les faits et surtout en refusant d’accepter le témoignage d’une
SDF qui a assisté à la scène.
Peine de mort pour la pauvreté et l’homosexualité
Ces meurtres ne sont nullement le résultat d’actes d’individus isolés
mais celui de tout un système qui banalise la violence et les crimes
contre les opprimés et exploités. Sinon, comment expliquer que les
agresseurs de Dandara se permettent à ce point de filmer et de rigoler
d’une scène aberrante ? Comment expliquer que des adultes se permettent
de battre et traîner comme une chose un enfant de 13 ans ?
En effet, les assassinats brutaux de Dandara et de João Victor
révèlent le caractère profondément réactionnaire de la société
capitaliste brésilienne. Derrière une image vendue notamment à
l’étranger de « fête et bonheur », de « samba et football », se cache
une société profondément inégale, raciste, machiste, LGBTphobe, où des
milliers de personnes sont condamnées à mort chaque année pour le simple
fait d’être pauvres, homosexuelles ou Noires.
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