Philippe Alcoy
« Moi, vous savez, j’ai connu un régime en Europe centrale dans
lequel, à partir du moment où on était l’enfant de quelqu’un de diplômé,
on n’avait pas le droit d’aller à l’université : c’était le régime de
Ceausescu… ». Mais qu’est-ce qui met dans une telle colère Michelle
Alliot-Marie pour qu’elle ressorte ainsi l’artillerie lourde
« anti-communiste » ? Qu’on enquête sur les affaires douteuses du
candidat de la droite, François Fillon, et de sa famille. Ni plus ni
moins. Mais avec ce type de défense…
Alors que jour après jour les révélations ne font
qu’enfoncer un peu plus dans la crise le candidat des Républicains, ses
amis politiques et soutiens ne savent plus quoi faire pour protéger leur
« champion ». C’est la dégringolade dans les sondages et pour la
première fois il est donné éliminé dès le premier tour à la faveur du
populiste néolibéral Emmanuel Macron.
Alors il faut faire marcher l’imagination. Et Michelle Alliot-Marie,
« MAM », semble en avoir une débordante et pour le moins tordue. Son
artifice consiste à essayer de renverser la situation et présenter les
investigations sur le probable emploi fictif de Penelope Fillon et sur
les « jobs » à 4000 euros par mois des enfants Fillon comme une
« atteinte à la démocratie ». « Un jour ou l’autre, on va finir par dire
qu’il est anormal qu’un commerçant travaille avec ses enfants, ou qu’un
artisan travaille avec ses enfants, ou qu’un industriel travaille avec
ses enfants, ou qu’un acteur travaille avec ses enfants, ou qu’un
journaliste travaille avec ses enfants. Je pense qu’à partir du moment
où quelqu’un a un travail à effectuer et qu’il l’effectue bien, on n’a
pas besoin - et c’est même dangereux - de regarder qui il est
exactement », dit MAM dans la même interview.
Donc, selon le raisonnement de MAM, le « PenelopeGate » ne serait pas
une preuve de la corruption de la « classe politique » mais du risque
dans lequel se trouverait la France de tomber dans une « obscure
dictature communiste », à l’image de celle de Nicolae Ceaucescu en
Roumanie. « Trop de transparence tue la transparence » semble dire MAM
par un classique détour rhétorique.
Définitivement, les dictatures ce n’est pas le point fort de Michelle
Alliot-Marie. Alors que celle-ci semble très inquiète du « risque
dictatorial » en France, on se rappellera qu’elle a dû quitter son poste
de ministre des affaires étrangères quand en 2011 elle a proposé, au
beau milieu du processus révolutionnaire en Tunisie, à l’ex-dictateur
Ben Ali le « savoir-faire reconnu dans le monde entier » des forces de
répression françaises pour « ramener le calme » dans cette ancienne
colonie de la France. D’ailleurs, à l’époque, on n’a pas manqué de lui
rappeler ses vacances chez son ami Ben Ali, à qui elle souhaitait très
probablement épargner le « risque de tomber dans une dictature ».
Mais, si la défense de Fillon par MAM semble en réalité l’enfoncer
davantage, en quoi pourrait-on comparer l’affaire Fillon avec les
dictatures que l’on a connues dans les pays de l’Est de l’Europe qu’on
appelait « communistes » ? En fait, dans ces pays une couche
bureaucratique était au pouvoir et jouissait d’un niveau de vie bien
au-dessus de la moyenne des couches populaires. Ces privilèges étaient
liés aux postes que les membres de cette bureaucratie avaient dans
l’appareil d’Etat et dans le parti. Préserver ces postes était une
question de survie. A chaque purge, les purgés tombaient en disgrâce
politique, sociale et économique car ils ne possédaient pas de titre de
propriété.
En effet, l’une des contradictions dans laquelle ils se trouvaient
était celle de la « reproduction sociale ». Il s’agissait d’Etats où
l’on avait exproprié les capitalistes, aboli la propriété privée et
nationalisé les moyens de production. Donc, pour les membres de la
bureaucratie, la seule façon de garantir que leurs enfants et parents
proches puissent jouir comme eux de privilèges était de les intégrer à
l’appareil d’Etat et bien entendu du parti. Le degré de corruption et de
népotisme dans ces Etats était immense et une source profonde de
mécontentement populaire.
François Fillon est un politicien professionnel, une figure qui
partage certains aspects importants avec la figure du bureaucrate de ces
Etats prétendument « communistes ». C’est en ce sens que même si le
travail de Penelope se révélait, mettons, « non fictif » et que celui de
ses enfants était justifié par, comme dirait MAM, leur « compétence »,
le niveau de népotisme n’en resterait pas moins impressionnant. Comme
ces dictateurs « communistes », Fillon, pour assurer la « reproduction
sociale » de sa famille, semble très soucieux d’intégrer dans l’appareil
d’Etat son épouse et ses enfants.
Cependant, Fillon est un politicien professionnel, un
« bureaucrate », dans le cadre d’un Etat capitaliste, impérialiste.
Ainsi, si une partie importante de ses revenus et privilèges lui vient
des positions politiques qu’il occupe au sein de l’appareil d’Etat, il
peut en même temps transformer ces privilèges et salaires (très) élevés
en capital, en patrimoine. Il peut accumuler des richesses et même se
donner le privilège, à la différence des bureaucrates communistes, de ne
pas forcément intégrer sa famille à l’appareil étatique. Même si un
petit « job » pour « se faire de l’argent de poche » ne fait de mal à
personne.
Les capitalistes ont besoin d’un personnel politique capable de
défendre leurs intérêts en propre et exclusivement. C’est pour cela
qu’ils ont besoin de politiciens riches et privilégiés. La bourgeoisie
en général a besoin de politiciens bourgeois. C’est pour cela que dans
cette campagne présidentielle aussi il faudra faire entendre une voix
anticapitaliste qui exige que tous les politiciens gagnent le même
salaire qu’un ouvrier qualifié et mette fin à tous les privilèges des
politiciens professionnels. C’est le seul moyen d’éviter que la
politique devienne un « métier » que l’on embrasse pour s’enrichir.
Voilà le type de communisme que Michelle Alliot-Marie et sa classe
craignent vraiment.
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