Philippe Alcoy
Depuis vendredi, la polémique et l’agitation sociale secouent le
gouvernement de Donald Trump. Après avoir décidé par décret d’interdire
l’entrée sur le territoire nord-américain des citoyens de sept pays à
majorité musulmane, des mobilisations avec des milliers de personnes se
développent dans tout le pays. Les critiques pleuvent de toute part, à
l’étranger comme à l’intérieur du pays. Les « 100 jours de grâce »
traditionnels pour les nouveaux présidents n’auront même pas duré une
semaine pour Trump.
Pendant la campagne, Trump avait promis d’interdire
l’entrée aux États-Unis aux musulmans. Cette démagogie extrême avait
déjà créé une grande polémique à l’époque. Arrivé au pouvoir, il a mis
un peu d’eau dans son vin : ce ne sont pas « les » musulmans qui sont
interdits d’entrer aux États-Unis mais « seulement » les citoyens de
sept pays dont la majorité de la population est musulmane(Iran, Irak,
Syrie, Somalie, Soudan, Yémen, Lybie) et la mesure se limite (pour le
moment) à trois mois. Le programme d’accueil des réfugiés est également
suspendu (toutes nationalités confondues) pour 120 jours, et pour les
réfugiés syriens il est suspendu jusqu’à nouvel ordre.
La raison de cette mesure inouïe dans l’histoire récente ? Empêcher
que des « terroristes » arrivent sur le seuil américain. Ces sept pays
seraient les plus susceptibles d’envoyer des personnes ayant l’intention
de mener des attentats aux États-Unis. Quand on pose la question de
savoir pourquoi ces pays et pas d’autres comme l’Arabie Saoudite ou
l’Égypte, le gouvernement répond que la liste pourrait être actualisée.
Pour certains analystes, les raisons pourraient être d’ordre économique
et politique.
L’émotion et la colère ont été immédiates. Les conséquences du décret
aussi. Des centaines des personnes ont été arrêtées dans les aéroports
et même déportées. Des touristes, des scientifiques, des sportifs et
même le personnel de bord des compagnies aériennes ont été humiliés,
arrêtés comme des délinquants, sans avoir le droit à voir un avocat. Des
personnes ont aussi été empêchées par les compagnies aériennes de
monter dans les avions à destinations des États-Unis, comme cela a été le cas d’Air France à Paris.
La réaction populaire a aussi été immédiate. Des milliers de
personnes se sont mobilisées à travers le pays depuis vendredi. Des
manifestations massives dans les aéroports et dans les rues des
principales villes ont notamment eu lieu à New York, Los Angeles,
Dallas, Washington.
Il y a eu des condamnations également de la part des dirigeants
politiques internationaux comme Merkel, qui assure que cela n’est pas la
façon de « lutter contre le terrorisme ». Même Theresa May,
Première ministre britannique cherchant à se rapprocher du gouvernement
Trump, a critiqué la mesure prise. Le gouvernement du Canada a exprimé
son inquiétude et a offert d’accueillir temporairement les personnes
refoulées dans les aéroports américains.
Une partie du grand patronat a exprimé son opposition à cette mesure
également. Des dirigeants de multinationales comme Facebook, Microsoft,
Uber, Starbucks, Airbnb, General Electric ou General Motors ont condamné
le décret craignant que la mesure ne touche certains de leurs salariés
étrangers hautement qualifiés.
Face à cette commotion nationale et internationale, le gouvernement a
reculé partiellement sur certains points. Par exemple, alors
qu’initialement la mesure touchait également les détenteurs d’une Green Card
(sorte d’équivalent d’un titre de séjour en France), samedi des membres
du gouvernement affirmaient que les personnes ayant une Green Card n’étaient pas concernées.
Des juges ont également bloquél’expulsion des personnes arrêtées aux
aéroports, jugeant la mesure anticonstitutionnelle et ne permettant pas
aux personnes d’avoir droit à un procès juste et à se défendre.
Des figures du Parti républicain ont exprimé leur opposition au
décret, notamment l’ex-candidat à la présidence en 2008, le sénateur
John McCain. Tout en se disant d’accord avec la politique de sécurité de
Trump, il estime que l’interdiction ne va faire que faciliter le
recrutement pour les groupes islamistes radicaux.
Le Parti démocrate essaye pour sa part de capitaliser de façon
hypocrite le mécontentement et la politisation qui est en train de se
développer et de s’approfondir dans le pays. Car si on voit la liste de
pays auxquels Trump a imposé les restrictions, on se rend compte qu’il
s’agit de pays en guerre, profondément instables ou qui sont à peine
sortis de guerres civiles (à l’exception de l’Iran). Dans tous ces pays,
les États-Unis sont intervenus militairement ces dernières années et
décennies. Et cela indépendamment du parti au pouvoir : aussi bien
démocrates que républicains.
Ainsi, ce sont les gouvernements dirigés par ces partis qui ont créé
les conditions pour le surgissement, le développement et le renforcement
des courants islamistes radicaux. Trump, en ce sens, ne fait que
pousser jusqu’à l’extrême cette logique hypocrite : stigmatisation des
citoyens de certains pays (on se rappellera de la liste des pays de
« l’Axe du Mal » de George Bush) pour soi-disant lutter contre « le
terrorisme » provoqué largement par la misère et les désastres des
interventions impérialistes.
Ce « décret anti-immigration » (et surtout antimusulman) est en train
d’exposer avec grande force les contradictions par en haut. Aussi bien
des membres de l’establishment politique que des secteurs puissants du patronat impérialiste déclarent leur hostilité à la mesure de Trump.
Mais que cherche Trump avec cette mesure démagogique et risquée ? Que
Trump ait gagné l’élection présidentielle ne lui garantit pas
automatiquement de pouvoir gouverner librement. Il rencontre une grande
résistance de la part de ce que l’on pourrait appeler « l’État
profond », des institutions, des technocrates qui ont leurs propres
intérêts, connexions politiques et influence au sein de l’appareil
d’Etat. Mais même le Congrès, où le parti Républicain est majoritaire,
devient un obstacle pour Trump étant donné que son parti ne lui est pas
complètement acquis.
En ce sens, cette mesure réactionnaire et démagogique chercherait à
« démontrer » rapidement qu’il « fait ce qu’il promet », et ainsi
renforcer sa popularité parmi l’électorat conservateur et xénophobe. De
cette façon, il pourrait s’appuyer sur le soutien de ce secteur pour
faire pression sur les députés et sénateurs de son parti et obtenir leur
soutien.
Cependant, le décret de Trump a eu des conséquences aussi par en bas et la résistance et mobilisation s’amplifie contre le Muslim Ban.
Depuis la campagne présidentielle, la société nord-américaine s’est de
plus en plus polarisée. L’élection de Trump semble être en train de
politiser la société nord-américaine à grande vitesse, notamment parmi
les jeunes. Ainsi, les mobilisations contre le décret
anti-immigration/islamophobe de Trump constituent une belle occasion
pour renforcer l’opposition à la construction du mur à la frontière avec
le Mexique et contre toutes les politiques réactionnaires du nouveau
gouvernement nord-américain.
Malgré les discours, la posture et la démagogie, le gouvernement de
Trump semble déjà être en train de montrer toutes les contradictions et
difficultés pour gouverner, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du
pays. Une étape d’instabilité politique pourrait s’ouvrir et créer une
situation inouïe pour la principale puissance mondiale.
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