Philippe Alcoy
« Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ? ». C’est surtout
cette petite phrase que l’on a retenue du discours de près de huit
minutes du président mexicain Enrique Peña Nieto, adressé à tout le pays
vendredi dernier pour convaincre que sa mesure antipopulaire relevait
du « bon sens ». Rien n’y a fait. Entre moqueries et profond
mécontentement, les travailleurs et les classes populaires du Mexique
ont intensifié les manifestations ce week-end contre l’augmentation de
20 % du prix de l’essence.
Depuis près de dix jours, des barrages de routes, des
manifestations massives, des affrontements avec la police et même des
pillages ont eu lieu dans le pays entier (puisque 29 des 32 États
mexicains sont touchés par l’agitation sociale). Selon la police, il y a
eu plus de 1500 blessés et au moins six morts déjà. La raison :
l’augmentation du jour au lendemain du prix de l’essence.
Cette mesure prise par le gouvernement de Peña Nieto viserait
soi-disant à réduire les dépenses de l’État qui perdrait des milliards
de pesos mexicains en subventionnant l’essence alors que le prix du brut
ne cesserait de croitre. La réalité est que cette mesure va affecter la
vie de millions de travailleurs à travers le pays. Le président a
affirmé dans son discours de vendredi dernier que celle-ci cherchait à
faire payer les secteurs « privilégiés » de la société, qui tireraient
profit d’un prix de l’essence subventionné. Or les masses comprennent
très bien que le patronat déchargera l’augmentation des coûts de
production sur les secteurs populaires en faisant augmenter les prix.
Cependant, le rejet profond de cette mesure impopulaire et
antisociale de la part de travailleurs et des masses s’explique par un
large mécontentement vis-à-vis de la corruption et de la politique que
le gouvernement mène depuis quatre ans. D’ailleurs, l’une des causes
principales des difficultés économiques liées au prix de l’essence est
la privatisation progressive de la compagnie nationale de pétrole,
Pemex. Malgré le fait de produire autour de deux millions de barils de
pétrole par jour, le pays est aujourd’hui devenu dépendant des
importations de pétrole.
Face à la mobilisation, que certains analystes qualifient déjà
d’historique, le gouvernement se trouve paralysé. Il a très peu de marge
de manœuvre et persiste dans sa politique pro-impérialiste et
pro-patronale. En effet, il exclut (pour le moment) toute possibilité de
trouver des fonds, notamment à travers une augmentation des impôts des
entreprises et des grandes fortunes. Selon Peña Nieto, cela ferait fuir
les capitaux et les investisseurs étrangers. Il n’a même pas essayé de
faire des promesses démagogiques sur telle ou telle mesure en faveur des
familles pauvres pour compenser la hausse de l’essence.
Et pour cause. Sa politique consiste à annuler les subventions de
l’État sur le prix de l’essence pour l’aligner avec le prix du marché.
Autrement dit, garantir de juteux profits aux oligopoles multinationaux
du secteur au détriment des souffrances de la population travailleuse.
À tout cela il faudrait ajouter les conséquences d’une situation
économique très difficile dans le pays où la croissance reste très molle
(2% en 2016) et risque de baisser encore en 2017, et où le peso
mexicain se dévalue jour après jour depuis que Donald Trump a été élu
sur la base, entre autres, d’un discours protectionniste
particulièrement agressif contre le Mexique. Ces derniers jours
d’ailleurs, et sans même avoir encore pris ses fonctions, un simple
tweet de Trump a suffi pour suspendre un plan d’investissement de Ford
de 1,6 milliards de dollars au Mexique. D’autres multinationales comme
Toyota, GM ou encore Carrier, ont également été menacés par le prochain
président nord-américain au cas où elles décideraient d’investir au
Mexique plutôt qu’aux États-Unis.
Face à cette attitude agressive de l’impérialisme envers le Mexique,
le président Peña Nieto a affirmé tout simplement dans son discours de
vendredi vouloir travailler étroitement avec le nouveau gouvernement de
Trump, affirmant encore une fois son caractère de soumission au capital
étranger.
Tous ces éléments s’ajoutent au discrédit de Peña Nieto, notamment
après la disparition forcée des 43 étudiants d’Ayotzinapa. Et c’est
précisément cela qui alimente la révolte en cours. Les travailleurs et
les classes populaires mexicaines ont raison de se mobiliser contre
cette mesure antisociale. Une victoire face au gouvernement
pro-impérialiste de Peña Nieto serait ainsi un très bon « message de
bienvenue » pour le gouvernement de Trump, de l’autre côté de la
frontière.
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