Philippe Alcoy
Mercredi matin, le président nord-américain élu, Donald Trump,
annonçait dans une série de messages sur Twitter qu’il quittait son
« grand business afin de se consacrer entièrement à la gestion du pays
pour que l’Amérique DEVIENNE GRANDE À NOUVEAU ! ». Il affirme faire cela
pour éviter d’avoir des « conflits d’intérêts avec ses nombreux
business ». Alors que cet acte pourrait être considéré comme une
démonstration de « bonne volonté » pour éviter la corruption, en quoi
tout cela révèle en réalité la crise du régime politique
nord-américain ?
En effet, Trump a pendant sa campagne affirmé qu’il allait
continuer à gérer ses business même dans l’éventualité de devenir
président de son pays. Aucune loi l’en empêche. Cependant, depuis qu’il a
été élu, la polémique a gonflé et le président élu a décidé d’annoncer
qu’il quittera la direction de son empire économique. Plus de précisions
seront apportées lors d’une conférence de presse à New York le 15
décembre prochain.
Cependant, ces annonces n’ont pas été suffisantes pour calmer les
critiques et les inquiétudes. Trump dit qu’il quittera la gestion
quotidienne de son holding, mais qu’il restera propriétaire de ses
différents business. D’ailleurs, il est très probable que la direction
de son empire économique passe dans les mains de ses trois enfants
majeurs qui jouent déjà un rôle important dans la gestion de la fortune
et des entreprises familiales.
Beaucoup d’analystes pointent le fait que c’est précisément la
question de la propriété qui pose problème et qui pourrait être source
de conflits d’intérêts et de corruption. Trump Organization a des
intérêts dans plusieurs pays avec lesquels les États-Unis ont des liens
étroits. Et les responsables politiques veulent éviter qu’il y ait tout
type de brèche pour accuser le nouveau président de corruption ou de
prendre telle ou telle décision pour favoriser ses intérêts personnels.
Même dans le cas où Trump cède ses actions à des membres de sa
famille, comme ses enfants, ces soupçons ne seraient pas dissipés. Comme
signale un article du Washington Post :
« Trump et sa fille Ivanka, qui va probablement jouer un rôle clé dans
la gestion de l’entreprise, ont rencontré le Premier ministre japonais,
Shinzō Abe, pendant la première rencontre de Trump en tant que président
élu avec un leader d’un gouvernement étranger (…) Erik Trump [un autre
de ses enfants] a voyagé en Turquie cette semaine pour chasser des cerfs
sauvages, invité par un homme d’affaires turc (…) [Selon Peter
Schweizer, auteur de Clinton Cash, « les compagnies étrangères
considèrent les membres de la famille [Trump] comme un moyen de gagner
de l’influence et d’obtenir des faveurs spéciales. Ce n’est pas une
question de savoir si ça va arriver – ça va arriver »] ».
Affaires et politique
Il est connu que l’économie et la politique se mêlent, dans tous les
pays. C’est une des caractéristiques centrales du capitalisme et de son
État. Mais cette collusion entre politique et économie, dans les pays
capitalistes développés, en général, est occultée, dissimulée. En
général, les classes dominantes des puissances économiques ne s’occupent
pas directement de la gestion de l’État. Évidemment, elle paye
grassement ses représentants au pouvoir : les politiques en faveur des
riches doivent être appliquées par des politiciens (plus ou moins)
riches et privilégiés.
Même dans certains pays de la périphérie capitaliste, les classes
dominantes s’efforcent d’imiter cette façon de faire. Cependant, ces
dernières décennies, on constate que dans toute une série de pays où les
institutions étatiques et les régimes politiques sont moins forts et
avec moins de traditions, les classes dominantes locales exercent
elles-mêmes les fonctions politiques. Peut-être les exemples les plus
caricaturaux se trouvent dans les pays dits « post-socialistes ». Pour
ne nommer qu’un exemple récent, le président ukrainien, Petro
Porochenko, est en même temps l’un des principaux barons industriels du
pays.
Avec l’arrivée de Trump au pouvoir, c’est désormais au sein de la
principale puissance mondiale que l’on trouve ce type de situation. Ceci
est encore une expression de la crise du régime qui n’a même pas réussi
à faire élire quelqu’un sorti du cœur de l’establishment qui puisse
garder les apparences. Les efforts et les inquiétudes des responsables
politiques et des analystes ne répondent pas simplement à un souci de
« transparence », mais de crédibilité du gouvernement, de crédibilité du
régime. Avoir un président qui, par ses différents intérêts
économiques, pourrait être soupçonné de prendre des décisions pour se
favoriser lui-même et sa famille, rompt avec un mythe profondément ancré
dans les démocraties bourgeoises : celui selon lequel le gouvernement
veille à « l’intérêt général », au « bien commun ».
L’empire Trump est énorme et a beaucoup de ramifications. À ce jour,
on ne connaît pas avec exactitude ses contours. On craint que même dans
le cas où ce seraient ses enfants qui reprendraient la direction du
holding, Trump resterait lié à ses intérêts. Mais alors on pourrait se
demander : il y a-t-il tant de différences entre le conflit d’intérêts
avec un business géré par sa famille et un autre géré par des amis
proches, par des cercles économiques qui financent les campagnes
électorales et les partis politiques ?
Effectivement, Trump, ce milliardaire dont l’élection est devenue le
symbole le plus important dans le monde du rejet de l’establishment et
de ses politiques, du « consensus néolibéral », a finalement beaucoup en
commun avec les politiciens « traditionnels ». Tous appartiennent à la
même classe de privilégiés, de riches, d’exploiteurs. Et tous gouvernent
en faveur de puissants groupes économiques multinationaux.
C’est pour cela que la lutte contre les privilèges des politiciens et
pour des revendications, comme celle pour que tous les élus et hauts
fonctionnaires gagnent le même salaire qu’un ouvrier qualifié, non
seulement conservent leur caractère subversif mais deviennent
fondamentales pour empêcher que la politique soit un métier et une
source d’enrichissement.
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