1.12.16

Trump, sa fortune et le mythe de la gouvernance pour "l’intérêt général"


Philippe Alcoy

Mercredi matin, le président nord-américain élu, Donald Trump, annonçait dans une série de messages sur Twitter qu’il quittait son « grand business afin de se consacrer entièrement à la gestion du pays pour que l’Amérique DEVIENNE GRANDE À NOUVEAU ! ». Il affirme faire cela pour éviter d’avoir des « conflits d’intérêts avec ses nombreux business ». Alors que cet acte pourrait être considéré comme une démonstration de « bonne volonté » pour éviter la corruption, en quoi tout cela révèle en réalité la crise du régime politique nord-américain ?

En effet, Trump a pendant sa campagne affirmé qu’il allait continuer à gérer ses business même dans l’éventualité de devenir président de son pays. Aucune loi l’en empêche. Cependant, depuis qu’il a été élu, la polémique a gonflé et le président élu a décidé d’annoncer qu’il quittera la direction de son empire économique. Plus de précisions seront apportées lors d’une conférence de presse à New York le 15 décembre prochain.

Cependant, ces annonces n’ont pas été suffisantes pour calmer les critiques et les inquiétudes. Trump dit qu’il quittera la gestion quotidienne de son holding, mais qu’il restera propriétaire de ses différents business. D’ailleurs, il est très probable que la direction de son empire économique passe dans les mains de ses trois enfants majeurs qui jouent déjà un rôle important dans la gestion de la fortune et des entreprises familiales.

Beaucoup d’analystes pointent le fait que c’est précisément la question de la propriété qui pose problème et qui pourrait être source de conflits d’intérêts et de corruption. Trump Organization a des intérêts dans plusieurs pays avec lesquels les États-Unis ont des liens étroits. Et les responsables politiques veulent éviter qu’il y ait tout type de brèche pour accuser le nouveau président de corruption ou de prendre telle ou telle décision pour favoriser ses intérêts personnels.

Même dans le cas où Trump cède ses actions à des membres de sa famille, comme ses enfants, ces soupçons ne seraient pas dissipés. Comme signale un article du Washington Post : « Trump et sa fille Ivanka, qui va probablement jouer un rôle clé dans la gestion de l’entreprise, ont rencontré le Premier ministre japonais, Shinzō Abe, pendant la première rencontre de Trump en tant que président élu avec un leader d’un gouvernement étranger (…) Erik Trump [un autre de ses enfants] a voyagé en Turquie cette semaine pour chasser des cerfs sauvages, invité par un homme d’affaires turc (…) [Selon Peter Schweizer, auteur de Clinton Cash, « les compagnies étrangères considèrent les membres de la famille [Trump] comme un moyen de gagner de l’influence et d’obtenir des faveurs spéciales. Ce n’est pas une question de savoir si ça va arriver – ça va arriver »] ».

Affaires et politique

Il est connu que l’économie et la politique se mêlent, dans tous les pays. C’est une des caractéristiques centrales du capitalisme et de son État. Mais cette collusion entre politique et économie, dans les pays capitalistes développés, en général, est occultée, dissimulée. En général, les classes dominantes des puissances économiques ne s’occupent pas directement de la gestion de l’État. Évidemment, elle paye grassement ses représentants au pouvoir : les politiques en faveur des riches doivent être appliquées par des politiciens (plus ou moins) riches et privilégiés.

Même dans certains pays de la périphérie capitaliste, les classes dominantes s’efforcent d’imiter cette façon de faire. Cependant, ces dernières décennies, on constate que dans toute une série de pays où les institutions étatiques et les régimes politiques sont moins forts et avec moins de traditions, les classes dominantes locales exercent elles-mêmes les fonctions politiques. Peut-être les exemples les plus caricaturaux se trouvent dans les pays dits « post-socialistes ». Pour ne nommer qu’un exemple récent, le président ukrainien, Petro Porochenko, est en même temps l’un des principaux barons industriels du pays.

Avec l’arrivée de Trump au pouvoir, c’est désormais au sein de la principale puissance mondiale que l’on trouve ce type de situation. Ceci est encore une expression de la crise du régime qui n’a même pas réussi à faire élire quelqu’un sorti du cœur de l’establishment qui puisse garder les apparences. Les efforts et les inquiétudes des responsables politiques et des analystes ne répondent pas simplement à un souci de « transparence », mais de crédibilité du gouvernement, de crédibilité du régime. Avoir un président qui, par ses différents intérêts économiques, pourrait être soupçonné de prendre des décisions pour se favoriser lui-même et sa famille, rompt avec un mythe profondément ancré dans les démocraties bourgeoises : celui selon lequel le gouvernement veille à « l’intérêt général », au « bien commun ».

L’empire Trump est énorme et a beaucoup de ramifications. À ce jour, on ne connaît pas avec exactitude ses contours. On craint que même dans le cas où ce seraient ses enfants qui reprendraient la direction du holding, Trump resterait lié à ses intérêts. Mais alors on pourrait se demander : il y a-t-il tant de différences entre le conflit d’intérêts avec un business géré par sa famille et un autre géré par des amis proches, par des cercles économiques qui financent les campagnes électorales et les partis politiques ?

Effectivement, Trump, ce milliardaire dont l’élection est devenue le symbole le plus important dans le monde du rejet de l’establishment et de ses politiques, du « consensus néolibéral », a finalement beaucoup en commun avec les politiciens « traditionnels ». Tous appartiennent à la même classe de privilégiés, de riches, d’exploiteurs. Et tous gouvernent en faveur de puissants groupes économiques multinationaux.

C’est pour cela que la lutte contre les privilèges des politiciens et pour des revendications, comme celle pour que tous les élus et hauts fonctionnaires gagnent le même salaire qu’un ouvrier qualifié, non seulement conservent leur caractère subversif mais deviennent fondamentales pour empêcher que la politique soit un métier et une source d’enrichissement.

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