2.12.16

Merkel comme « rempart de la démocratie » et les contradictions de l’impérialisme allemand


Philippe Alcoy
 
Depuis l’élection de Trump aux Etats Unis, la vision de la chancelière allemande Angela Merkel comme rempart de la démocratie contre le « danger populiste » s’est répandu dans le monde, notamment en Europe où les risques politiques sont très grands. Mais en même temps, ce nouveau rôle de « modèle » et en même temps « guide » pour l’Allemagne et particulièrement pour Merkel, est en train d’exposer certaines des limites et contradictions de l’impérialisme allemand et de sa place dans le monde.

Des élections à risque dans la prochaine période

 

Après le Brexit et l’élection de Trump aux USA, l’Europe va être soumise à des épreuves électorales délicates entre la fin 2016 et la première moitié de 2017. En Autriche, dimanche prochain, l’extrême droite pourrait remporter le « troisième tour » de l’élection présidentielle. Même si le poste de président est presque anecdotique quant à son pouvoir politique réel, une victoire électorale de l’extrême droite aurait un impact très grand à travers le continent.

En Italie, dimanche 4 décembre également, le gouvernement de Matteo Renzi s’engage dans un référendum pour faire adopter sa réforme constitutionnelle. Il n’est pas impossible que le gouvernement connaisse une défaite. Dans ce cas-là, il est probable que des élections générales anticipées soient appelées. Face à un tel scénario, beaucoup craignent que le Mouvement 5 Etoiles du populiste Beppe Grillo remporte les élections.

Enfin, et c’est le scénario le plus risqué, en avril-mai la France élira un nouveau ou une nouvelle présidente. La situation reste très délicate et, après la victoire de Trump, beaucoup pensent qu’une victoire du FN reste un scénario possible, ce qui signifierait un nouveau tremblement de terre politique.

En ce sens, l’annonce de la candidature de Merkel pour briguer un quatrième mandat, plus de 10 mois avant les élections en Allemagne, pourrait chercher à envoyer un message et à renforcer, à travers l’Europe, les alternatives pro-establishment s’appuyant sur la « garante de la stabilité » dans l’UE. Cependant, même si Merkel reste la politicienne de « l’establishment » la plus populaire dans le monde, rien ne peut garantir sa victoire.

Les contradictions de l’Allemagne en tant que puissance européenne et mondiale 

 

En même temps que Merkel apparait comme la « garante de la démocratie » face au « populisme », cette situation met à nu des faiblesses et des contradictions importantes de l’Allemagne, aussi bien sur le plain interne qu’international.

Les éventuelles victoires et même la progression des courants dits « populistes », protectionnistes et eurosceptiques, dans des pays aussi importants que l’Italie, l’Autriche, sans même parler pas de la France, pourraient mettre en danger la construction européenne, l’euro et le marché commun. Or, l’Allemagne est un pays dont l’économie dépend largement des exportations, notamment vers le marché européen. Cela pourrait représenter une très mauvaise nouvelle pour Merkel et les grands groupes multinationaux allemands qui s’inquiètent déjà de l’arrivée au pouvoir de Trump, qui promet d’appliquer une politique protectionniste contre la Chine mais aussi contre l’Allemagne en tant que principale puissance impérialiste concurrente.

En ce sens, il est probable que dans le scénario le plus « sombre » pour les classes dominantes allemandes (la victoire des « populistes »), Merkel soit obligée de changer son discours et sa stratégie électorale et contrainte à adopter une posture plus offensive quant à la défense des intérêts de l’Allemagne contre les « partenaires » européens. Dans ce cas, des frictions inter-européennes ne seraient pas à exclure.

Cette sorte « d’isolement » de Merkel et de l’Allemagne face à aux crises des régimes et à la montée des partis dits « anti-système » révèle aussi certaines faiblesses de l’impérialisme allemand dans l’arène international. La première est très importante : c’est la relation vis-à-vis de la Russie de Poutine. En effet, la victoire de Trump aux Etats Unis annonçant qu’il envisage de se rapprocher de Poutine et de potentiellement moins s’engager en Europe centrale et de l’Est, crée des inquiétudes pour l’Allemagne et certains de ses partenaires de la région. Alors que des pays comme l’Italie ou la Grèce qui ont intérêt à un rapprochement avec la Russie (même François Fillon ayant fait des déclarations en ce sens), le retrait militaire des Etats Unis de la région fait monter l’inquiétude dans des pays comme la Pologne et les Etat baltes.

En effet, l’Allemagne est aujourd’hui incapable de remplacer militairement les Etats Unis dans la région et assurer la défense militaire de ses alliés. Ce n’est pas un hasard si depuis quelques mois, l’idée de mieux structurer une politique de défense commune de l’UE avance. Cependant, le bloc européen est incapable pour le moment d’avoir une politique commune de défense à cause des différents intérêts nationaux.

L’Allemagne rencontre également quelques difficultés à imposer son autorité sur certains sujets importants comme la répartition des quotas de réfugiés dont des pays comme la Hongrie et la Pologne refusent de se plier aux règles de Merkel. Parallèlement, dans plusieurs pays européens existe un sentiment anti-allemand qui se développe, notamment suite au rôle de Merkel dans l’application des mesures d’austérité.

Un tournant à « gauche » de Merkel ? 

 

Même si cela peut paraitre incroyable, la même Merkel qui a imposé ces plans d’austérité criminels à la Grèce et à tant d’autres pays en Europe au cours de la crise économique internationale fait maintenant presque figure de « gauchiste » dans les journaux dominants. Mais ce n’est pas seulement de la manipulation. Cela est l’expression d’une situation politique marquée très à droite sur le continent et dans les pays centraux.

En effet, sa décision de mettre fin à l’énergie nucléaire en Allemagne et notamment sa politique envers les réfugiés sont présentés comme des marqueurs de son « tournant à gauche ». Évidemment, sur ce dernier aspect la presse dominante ne dit pas qu’elle a pactisé avec Erdogan pour empêcher que plus de réfugiés arrivent en Europe, qu’elle expulse des milliers de « réfugiés économiques » chaque année et que l’arrivée de près d’un million de réfugiés (« triés » dans les hot spots d’ailleurs) répond à un besoin de main d’œuvre pour un pays vieillissant comme l’Allemagne.

Ces politiques lui ont permis de gagner la sympathie d’une partie de l’électorat de centre-gauche mais en même temps ont ouvert un boulevard sur sa droite. Cet espace politique a permis le surgissement du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Même si celui-ci s’est beaucoup développé avec la crise des réfugiés, il est né en réalité au cours de la crise grecque comme une opposition de droite à la politique du gouvernement de Merkel de « sauvetage ». En outre, cette tendance à la polarisation à droite a également une expression dans les rues avec le mouvement Pegida mais aussi à travers les attaques violentes et récurrentes contre les migrants.

Cependant, en Allemagne des voix commencent à s’élever pour dire à Merkel que pour faire face à l’AfD il ne suffit pas d’adopter un discours droitier sur l’immigration ou l’islam mais qu’il faut aussi s’attaquer à « la racine » du problème qui permet le développement des populismes : l’économie. Ainsi, dans un article récent de l’hebdomadaire Der Spiegel on lui demande d’adopter une politique de « retour de l’Etat » dans la vie quotidienne des citoyens avec des mesures sociales qui se voient, même si cela se fait au détriment du budget : « l’Etat doit fait un meilleur travail quant à la protection des citoyens. Durant son mandat, Merkel a lancé deux grands projets : le passage de l’énergie nucléaire et des combustibles fossiles aux énergies renouvelables et l’équilibrage du budget allemand. Les deux sont sensibles, mais les avantages qu’ils apportent ne sont pas palpables pour le peuple d’Allemagne. Au lieu de cela, ils voient le mauvais état de leurs écoles, le manque de police dans les rues, les grands problèmes dans les transports publics et la pénurie de médecins dans les zones rurales. Il manque un grand projet qui affecte la vie quotidienne des gens - la restauration d’un Etat qui se concentre sur le transport, la santé, la sécurité et l’éducation. (…) Un budget équilibré est une grande chose, mais il y a des priorités plus importantes ».

En ce sens, le gouvernement a annoncé la semaine dernière une hausse progressive du montant des retraites en Allemagne de l’Est pour que leur niveau rattrape celui de l’ouest. C’est précisément à l’Est que l’AfD progresse beaucoup.
Alors qu’en France Fillon a remporté la primaire à droite avec un programme très néolibéral qui promet des attaques contre les travailleurs, ce « tournant à gauche » de la droite en Allemagne pourrait surprendre. Or, il est clair que le fait que les capitalistes allemands aient pu avancer plus que les français dans leurs attaques structurelles contre le monde du travail les années précédant la crise, leur donne plus de marge de manœuvre pour essayer de contenir la progression de l’AfD à travers quelques mesures sociales partielles.

Bien que rien ne puisse assurer que cela va marcher, il est intéressant de noter le changement (partiel) de discours de la bourgeoisie allemande qui a longtemps répondu au cours de la crise que les dépenses sociales devaient être soumises à l’équilibre budgétaire pour justifier l’austérité dans les autres pays, et qui maintenant prône un certain « retour » de politiques sociales pour se maintenir au pouvoir.

Dans cette perspective de recentrage à « gauche », le SPD (centre-gauche), actuel partenaire de coalition de la CDU, va tenter de concurrencer Merkel. La démission de Martin Schulz en tant que président du Parlement européen et sa candidature à la députation à Berlin pourraient cacher une intention de la part de celui-ci à se présenter comme alternative à la chancelière.

Vers une période d’instabilité politique en Allemagne ? 

 

Depuis le début de la crise économique internationale et même depuis le début du mandat de Merkel, c’est la première fois que celle-ci est remise en question. Même au cours des moments les plus dramatiques de la crise grecque, elle a toujours été vue comme la personne adéquate pour gérer la situation. Cette fois, sur fond de la crise des réfugiés, elle est attaquée non pas par le SPD ou la gauche réformiste mais par l’extrême droite.

Il n’est même pas sûr que présenter Merkel comme un « rempart de l’establishment » l’aide à gagner plus de voix. Cela laisse ouverte la possibilité que le prochain parlement soit plus fragmenté et il est probable que le prochain gouvernement ait une majorité plus faible qu’actuellement. Ce serait effectivement une nouveauté pour l’UE que l’Allemagne devienne un pays moins stable politiquement que ces dernières années, dans un contexte international qui s’annonce assez mouvementé.

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