Philippe Alcoy
Depuis l’élection de Trump aux Etats Unis, la vision de la
chancelière allemande Angela Merkel comme rempart de la démocratie
contre le « danger populiste » s’est répandu dans le monde, notamment en
Europe où les risques politiques sont très grands. Mais en même temps,
ce nouveau rôle de « modèle » et en même temps « guide » pour
l’Allemagne et particulièrement pour Merkel, est en train d’exposer
certaines des limites et contradictions de l’impérialisme allemand et de
sa place dans le monde.
Des élections à risque dans la prochaine période
Après le Brexit et l’élection de Trump aux USA, l’Europe va être
soumise à des épreuves électorales délicates entre la fin 2016 et la
première moitié de 2017. En Autriche, dimanche prochain, l’extrême
droite pourrait remporter le « troisième tour » de l’élection
présidentielle. Même si le poste de président est presque anecdotique
quant à son pouvoir politique réel, une victoire électorale de l’extrême
droite aurait un impact très grand à travers le continent.
En Italie, dimanche 4 décembre également, le gouvernement de Matteo
Renzi s’engage dans un référendum pour faire adopter sa réforme
constitutionnelle. Il n’est pas impossible que le gouvernement connaisse
une défaite. Dans ce cas-là, il est probable que des élections
générales anticipées soient appelées. Face à un tel scénario, beaucoup
craignent que le Mouvement 5 Etoiles du populiste Beppe Grillo remporte
les élections.
Enfin, et c’est le scénario le plus risqué, en avril-mai la France
élira un nouveau ou une nouvelle présidente. La situation reste très
délicate et, après la victoire de Trump, beaucoup pensent qu’une
victoire du FN reste un scénario possible, ce qui signifierait un
nouveau tremblement de terre politique.
En ce sens, l’annonce de la candidature de Merkel pour briguer un
quatrième mandat, plus de 10 mois avant les élections en Allemagne,
pourrait chercher à envoyer un message et à renforcer, à travers
l’Europe, les alternatives pro-establishment s’appuyant sur la « garante
de la stabilité » dans l’UE. Cependant, même si Merkel reste la
politicienne de « l’establishment » la plus populaire dans le monde,
rien ne peut garantir sa victoire.
Les contradictions de l’Allemagne en tant que puissance européenne et mondiale
En même temps que Merkel apparait comme la « garante de la
démocratie » face au « populisme », cette situation met à nu des
faiblesses et des contradictions importantes de l’Allemagne, aussi bien
sur le plain interne qu’international.
Les éventuelles victoires et même la progression des courants dits
« populistes », protectionnistes et eurosceptiques, dans des pays aussi
importants que l’Italie, l’Autriche, sans même parler pas de la France,
pourraient mettre en danger la construction européenne, l’euro et le
marché commun. Or, l’Allemagne est un pays dont l’économie dépend
largement des exportations, notamment vers le marché européen. Cela
pourrait représenter une très mauvaise nouvelle pour Merkel et les
grands groupes multinationaux allemands qui s’inquiètent déjà de
l’arrivée au pouvoir de Trump, qui promet d’appliquer une politique
protectionniste contre la Chine mais aussi contre l’Allemagne en tant
que principale puissance impérialiste concurrente.
En ce sens, il est probable que dans le scénario le plus « sombre »
pour les classes dominantes allemandes (la victoire des « populistes »),
Merkel soit obligée de changer son discours et sa stratégie électorale
et contrainte à adopter une posture plus offensive quant à la défense
des intérêts de l’Allemagne contre les « partenaires » européens. Dans
ce cas, des frictions inter-européennes ne seraient pas à exclure.
Cette sorte « d’isolement » de Merkel et de l’Allemagne face à aux
crises des régimes et à la montée des partis dits « anti-système »
révèle aussi certaines faiblesses de l’impérialisme allemand dans
l’arène international. La première est très importante : c’est la
relation vis-à-vis de la Russie de Poutine. En effet, la victoire de
Trump aux Etats Unis annonçant qu’il envisage de se rapprocher de
Poutine et de potentiellement moins s’engager en Europe centrale et de
l’Est, crée des inquiétudes pour l’Allemagne et certains de ses
partenaires de la région. Alors que des pays comme l’Italie ou la Grèce
qui ont intérêt à un rapprochement avec la Russie (même François Fillon
ayant fait des déclarations en ce sens), le retrait militaire des Etats
Unis de la région fait monter l’inquiétude dans des pays comme la
Pologne et les Etat baltes.
En effet, l’Allemagne est aujourd’hui incapable de remplacer
militairement les Etats Unis dans la région et assurer la défense
militaire de ses alliés. Ce n’est pas un hasard si depuis quelques mois,
l’idée de mieux structurer une politique de défense commune de l’UE
avance. Cependant, le bloc européen est incapable pour le moment d’avoir
une politique commune de défense à cause des différents intérêts
nationaux.
L’Allemagne rencontre également quelques difficultés à imposer son
autorité sur certains sujets importants comme la répartition des quotas
de réfugiés dont des pays comme la Hongrie et la Pologne refusent de se
plier aux règles de Merkel. Parallèlement, dans plusieurs pays européens
existe un sentiment anti-allemand qui se développe, notamment suite au
rôle de Merkel dans l’application des mesures d’austérité.
Un tournant à « gauche » de Merkel ?
Même si cela peut paraitre incroyable, la même Merkel qui a imposé
ces plans d’austérité criminels à la Grèce et à tant d’autres pays en
Europe au cours de la crise économique internationale fait maintenant
presque figure de « gauchiste » dans les journaux dominants. Mais ce
n’est pas seulement de la manipulation. Cela est l’expression d’une
situation politique marquée très à droite sur le continent et dans les
pays centraux.
En effet, sa décision de mettre fin à l’énergie nucléaire en
Allemagne et notamment sa politique envers les réfugiés sont présentés
comme des marqueurs de son « tournant à gauche ». Évidemment, sur ce
dernier aspect la presse dominante ne dit pas qu’elle a pactisé avec
Erdogan pour empêcher que plus de réfugiés arrivent en Europe, qu’elle
expulse des milliers de « réfugiés économiques » chaque année et que
l’arrivée de près d’un million de réfugiés (« triés » dans les hot spots
d’ailleurs) répond à un besoin de main d’œuvre pour un pays
vieillissant comme l’Allemagne.
Ces politiques lui ont permis de gagner la sympathie d’une partie de
l’électorat de centre-gauche mais en même temps ont ouvert un boulevard
sur sa droite. Cet espace politique a permis le surgissement du parti
d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Même si celui-ci
s’est beaucoup développé avec la crise des réfugiés, il est né en
réalité au cours de la crise grecque comme une opposition de droite à la
politique du gouvernement de Merkel de « sauvetage ». En outre, cette
tendance à la polarisation à droite a également une expression dans les
rues avec le mouvement Pegida mais aussi à travers les attaques
violentes et récurrentes contre les migrants.
Cependant, en Allemagne des voix commencent à s’élever pour dire à
Merkel que pour faire face à l’AfD il ne suffit pas d’adopter un
discours droitier sur l’immigration ou l’islam mais qu’il faut aussi
s’attaquer à « la racine » du problème qui permet le développement des
populismes : l’économie. Ainsi, dans un article récent de l’hebdomadaire
Der Spiegel on
lui demande d’adopter une politique de « retour de l’Etat » dans la vie
quotidienne des citoyens avec des mesures sociales qui se voient, même
si cela se fait au détriment du budget : « l’Etat doit fait un
meilleur travail quant à la protection des citoyens. Durant son mandat,
Merkel a lancé deux grands projets : le passage de l’énergie nucléaire
et des combustibles fossiles aux énergies renouvelables et l’équilibrage
du budget allemand. Les deux sont sensibles, mais les avantages qu’ils
apportent ne sont pas palpables pour le peuple d’Allemagne. Au lieu de
cela, ils voient le mauvais état de leurs écoles, le manque de police
dans les rues, les grands problèmes dans les transports publics et la
pénurie de médecins dans les zones rurales. Il manque un grand projet
qui affecte la vie quotidienne des gens - la restauration d’un Etat qui
se concentre sur le transport, la santé, la sécurité et l’éducation. (…)
Un budget équilibré est une grande chose, mais il y a des priorités
plus importantes ».
En ce sens, le gouvernement a annoncé la semaine dernière une hausse
progressive du montant des retraites en Allemagne de l’Est pour que leur
niveau rattrape celui de l’ouest. C’est précisément à l’Est que l’AfD
progresse beaucoup.
Alors qu’en France Fillon a remporté la primaire à droite avec un
programme très néolibéral qui promet des attaques contre les
travailleurs, ce « tournant à gauche » de la droite en Allemagne
pourrait surprendre. Or, il est clair que le fait que les capitalistes
allemands aient pu avancer plus que les français dans leurs attaques
structurelles contre le monde du travail les années précédant la crise,
leur donne plus de marge de manœuvre pour essayer de contenir la
progression de l’AfD à travers quelques mesures sociales partielles.
Bien que rien ne puisse assurer que cela va marcher, il est
intéressant de noter le changement (partiel) de discours de la
bourgeoisie allemande qui a longtemps répondu au cours de la crise que
les dépenses sociales devaient être soumises à l’équilibre budgétaire
pour justifier l’austérité dans les autres pays, et qui maintenant prône
un certain « retour » de politiques sociales pour se maintenir au
pouvoir.
Dans cette perspective de recentrage à « gauche », le SPD
(centre-gauche), actuel partenaire de coalition de la CDU, va tenter de
concurrencer Merkel. La démission de Martin Schulz en tant que président
du Parlement européen et sa candidature à la députation à Berlin
pourraient cacher une intention de la part de celui-ci à se présenter
comme alternative à la chancelière.
Vers une période d’instabilité politique en Allemagne ?
Depuis le début de la crise économique internationale et même depuis
le début du mandat de Merkel, c’est la première fois que celle-ci est
remise en question. Même au cours des moments les plus dramatiques de la
crise grecque, elle a toujours été vue comme la personne adéquate pour
gérer la situation. Cette fois, sur fond de la crise des réfugiés, elle
est attaquée non pas par le SPD ou la gauche réformiste mais par
l’extrême droite.
Il n’est même pas sûr que présenter Merkel comme un « rempart de
l’establishment » l’aide à gagner plus de voix. Cela laisse ouverte la
possibilité que le prochain parlement soit plus fragmenté et il est
probable que le prochain gouvernement ait une majorité plus faible
qu’actuellement. Ce serait effectivement une nouveauté pour l’UE que
l’Allemagne devienne un pays moins stable politiquement que ces
dernières années, dans un contexte international qui s’annonce assez
mouvementé.
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