Philippe Alcoy
Mardi les ministres des affaires étrangères de la Russie, de la
Turquie et de l’Iran se sont réunis à Moscou pour discuter de la
situation en Syrie et essayer de trouver une « solution politique » à la
guerre. Cette réunion confirme le rapprochement entre le gouvernement
de Poutine et celui d’Erdogan, notamment après l’assassinat de l’ambassadeur russe lundi à Ankara.
Mais cette réunion avait également un caractère assez surprenant :
l’ONU et notamment les Etats Unis en ont été complètement exclus. Une
vraie humiliation pour l’administration Obama sur la fin de son mandat.
Andrew J. Tabler de l’Institute for Near East Policy (Institut politique du Proche Orient) considère que « quand
les Turcs, les Iraniens et les Russes se mettent d’accord sur un
processus sans que les Etats Unis soient dans la pièce, tu réalises
qu’il y a un problème pour nous [Etats Unis] ». En effet, la chute
d’Alep dans les mains du régime et ses alliés signifie un tournant
important dans le conflit syrien. C’est la victoire militaire la plus
importante pour Assad et donc pour Poutine. Et celui-ci entend tirer
tous les avantages possibles de la situation.
Un axe Moscou-Ankara-Téhéran ?
Depuis plusieurs mois on constate un rapprochement entre la Russie et
la Turquie qui a eu une première concrétisation sur le terrain syrien
avec le cessez-le-feu signé la semaine dernière pour permettre
l’évacuation des civils d’Alep-Est. Cependant, cette nouvelle réunion,
incluant l’Iran, pour trouver une solution politique au conflit est un
pas supplémentaire.
La Turquie est membre de l’OTAN et allié stratégique des Etats-Unis
et de l’Union Européenne dans la région. Le fait qu’elle soit en train
de négocier un plan pour la Syrie avec une puissance hostile aux
impérialismes occidentaux ouvre une situation qu’on avait rarement vue
ces dernières décennies.
La Russie déclare ouvertement qu’elle préfère négocier avec la
Turquie, plus efficace que les Etats-Unis sur le dossier syrien. En
effet, Poutine sait qu’il a pris de l’avance sur le terrain, et il veut
profiter des contradictions et des faiblesses de la stratégie de
l’administration Obama en Syrie. Celui-ci a exclu depuis le début la
possibilité d’envisager une solution en Syrie avec Bashar Al Assad à la
tête du pays. En même temps, suite à l’échec de l’invasion de l’Irak,
les Etats-Unis n’étaient pas en mesure d’intervenir avec une invasion
terrestre en Syrie, seule option réellement capable de soutenir
concrètement la position d’Obama concernant Assad.
C’est cette faiblesse et les victoires militaires de l’armée syrienne
qui permettent aujourd’hui à la Russie et, surtout à l’Iran,
d’envisager une issue politique à la guerre où Assad puisse rester au
pouvoir. D’ailleurs, la Russie a déclaré que lors des prochaines
réunions, elle souhaiterait que l’Arabie Saoudite y prenne part. Si
Poutine réussit à convaincre le royaume saoudien, bien que cela semble
pour le moment peu probable, il apparaitra comme un véritable
« arbitre » du conflit syrien, et cela sans évoquer le fait de réussir à
mettre autour de la table des puissances régionales rivales comme le
sont l’Arabie Saoudite et l’Iran.
Poutine, un « anti-impérialiste » ?
Cependant, il ne faudrait pas se tromper : le projet de la Russie de
Poutine n’est nullement « anti-impérialiste ». Il est au contraire tout à
fait réactionnaire et ne promet rien de bon pour les travailleurs et
les classes populaires de la région. Poutine ne cherche à libérer aucun
peuple opprimé, il ne fait que poursuivre et défendre les intérêts du
capitalisme russe. Et si cela n’était pas assez clair, il suffit de voir
ses alliés en Syrie (les anciens comme les nouveaux) : le boucher
Assad, la dictature théocratique iranienne, et maintenant le non moins
criminel Erdogan. Effectivement, il ne manque que la monarchie
saoudienne pour compléter la « photo de famille ».
Le gouvernement russe est aussi en train de tirer profit de la
« transition » à la Maison Blache. Cependant, Poutine veut voir quelle
sera l’attitude de Trump une fois celui-ci installé au poste de
président. Il est probable que la Russie essaye d’avancer le plus
possible durant les derniers jours de l’administration Obama pour ouvrir
des négociations dans les meilleures conditions avec Trump.
Vers une solution politique immédiate du conflit syrien ?
Il serait également erroné de penser que trouver un accord sur une
solution politique entre ces différentes puissances serait une chose
presque déjà acquise. Leurs intérêts restent contradictoires sur
certains aspects importants et chacun a le pouvoir de devenir une
« force de blocage », comme l’a montré la rupture de l’accord de
cessez-le-feu entre la Russie et la Turquie par les forces d’Assad et
celles liées à Téhéran.
En effet, l’Iran ne peut accepter aucun accord qui affaiblisse la
position d’Assad au pouvoir. Assad est un allié central de Téhéran dans
son ambition de devenir la principale puissance régionale, face à
l’Arabie Saoudite et les monarchies sunnites du Golfe. En ce sens, les
accords bilatéraux entre la Russie et la Turquie ne sont pas perçus d’un
bon œil par les dirigeants iraniens.
De son côté la Turquie a intérêt à mettre en place rapidement un
cessez-le-feu, même si fragile, pour éviter que les forces rebelles
continuent à perdre du terrain et que ses positions dans le Nord de la
Syrie s’affaiblissent et celles des forces kurdes se réaffirment, voire
continuent à progresser. En effet, Erdogan peut abandonner sa
revendication sur le départ d’Assad tant que cela lui permet de stopper
et même faire reculer les Kurdes de Syrie liés au PKK. En ce sens, on ne
peut pas exclure qu’Erdogan essaie de passer un accord avec la Russie,
qui lui permette de bombarder directement les positions kurdes en Syrie,
accord qui semblait avec les Etats-Unis (en principe) plus compliqué
étant donné qu’ils ont collaboré longtemps avec les Kurdes contre Daesh.
Il ne faudrait pas oublier non plus que, même dans le cadre d’un
accord entre le régime et les rebelles, la guerre ne serait pas encore
finie : l’Etat Islamique existe toujours et continue à se battre, comme
la reprise de Palmyre le démontre. Egalement, des groupes rebelles
pourraient ne pas accepter de déposer les armes et que, même si réduits à
de petits groupes, ils continuent à résister et à combattre
sporadiquement.
Comme on voit, rien n’est fini ni résolu en Syrie, bien au contraire.
Cependant, il est clair que Poutine cherche à se désengager le plus
rapidement du terrain syrien, qui est non seulement coûteux pour une
économie russe en crise mais aussi très dangereux politiquement.
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