Philippe Alcoy
La Pologne connait des tensions politiques depuis plusieurs
semaines. Mais la crise a connu un saut vendredi dernier quand les
députés de l’opposition ont occupé le parlement et des manifestants se
sont rassemblés à l’extérieur spontanément contre une nouvelle mesure
antidémocratique. Malgré le recul partiel du gouvernement
ultraconservateur, la crise continue et s’approfondit dans un pays
fortement polarisé.
En effet, la dernière mesure qui a déclenché des
mobilisations à Varsovie et dans plusieurs villes du pays pendant
plusieurs jours visait à limiter le nombre de médias autorisés à
pénétrer au sein du parlement et interroger les députés. Pour les
opposants du gouvernement du parti ultraconservateur Loi et Justice
(PiS), il s’agit d’une tentative de limiter la liberté de la presse dans
un contexte où le PiS effectue un tournant autoritaire depuis qu’il a
pris le pouvoir fin 2015.
Les députés de l’opposition ont ainsi décidé d’occuper la chambre
principale du parlement, qui se poursuit toujours. Spontanément des
rassemblements avec des milliers de personnes ont eu lieu en face du
parlement. La foule ne voulait pas laisser partir les députés du PiS et
selon des témoignages certains voulaient même l’envahir. La police a dû
l’empêcher et ce n’est qu’à 4 heures du matin que les députés on pu
sortir escortés.
Parallèlement et face à l’impossibilité d’utiliser la salle
principale pour les séances du parlement, les députés du PiS se sont
réunis dans une autre salle du bâtiment et ont voté en toute illégalité,
ni plus ni moins, le budget pour 2017. A cela il faut ajouter le fait
que cette semaine le président de la Court Constitutionnelle a été
remplacé par une proche du parti au pouvoir alors que le gouvernement a
nommé l’année dernière trois juges de manière totalement illégale.
Face à cette tentative de contrôle total des principales institutions
de l’Etat par le PiS, Bruxelles a protesté et menacé de sanctionner la
Pologne mais Viktor Orban, le premier ministre hongrois, a déjà déclaré
qu’il mettrait son veto sur toute tentative de sanction contre le pays
voisin et allié.
Pour calmer les tensions, et surtout face à la mobilisation, le
gouvernement a reculé (partiellement) sur la tentative de limiter
l’accès au parlement à la presse. Cependant, cela n’a pas suffi pour
mettre fin à la crise. Les députés de l’opposition d’ailleurs continuent
leur occupation du parlement et exigent qu’un nouveau vote du budget
ait lieu. Le président du PiS, l’influent Jaroslaw Kaczyński, a mis en
garde les députés de l’opposition en affirmant qu’ils s’engageaient dans
un comportement « criminel ». L’opposition déclare qu’elle compter
continuer l’occupation pendant les fêtes de fin d’année.
Il s’agit de la crise politique la plus grave en Pologne depuis
plusieurs années. Une situation inouïe où des députés occupent le
parlement et sont menacés, indirectement, d’être délogés par la force.
Mais cette crise ne se traduit pas seulement par « en haut ». Il y a
des expressions importantes de résistance dans les rues. En effet, en
octobre dernier on a déjà vu un mouvement massif de femmes contre
l’interdiction totale de l’IVG. A l’époque le gouvernement a dû reculer.
Et la gronde monte également dans d’autres secteurs comme chez les
enseignants qui s’opposent à la réforme de l’éducation qui menace non
seulement de dégrader la qualité de l’enseignement mais aussi menace des
milliers de postes de travail.
Cependant, le gouvernement continue à être populaire, notamment en
dehors des grandes villes. En effet, le discours ultra catholique,
nationaliste, promettant « nettoyer » les institutions de l’Etat ainsi
que quelques mesures sociales comme l’abaissement de l’âge de départ à
la retraite (de 67 à 65 ans) permettent au gouvernement du PiS de gagner
une certaine popularité parmi des secteurs populaires. Malgré
l’hostilité des dirigeants polonais vis-à-vis de la Russie, il s’agit
d’un modèle très proche du « pacte social » du régime de Poutine :
quelques concessions sociales en échange de libertés démocratiques et
d’un mode de gouvernance autoritaire.
Au-delà de certains messages alarmistes exagérés, il y a une crainte
réelle que dans ce contexte de polarisation politique et sociale que la
crise puisse prendre un tournant violent. Mais alors que toute une série
de partis dit « populistes » de droite commencent à progresser
électoralement à l’aune de la crise des partis traditionnels, la Pologne
montre à sa façon les contradictions que ce type gouvernements pourrait
provoquer. Une mesure prise en dehors du rapport de force entre les
classes pourrait provoquer une réaction des travailleurs et des secteurs
populaires. Et cela représente une énorme préoccupation non seulement
pour ces gouvernements dits « illibéraux » mais aussi pour l’ensemble
des partis pro-capitalistes.
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