Nous avons interviewé Boro, journaliste du site web alternatif de l’État Espagnol La Haine
qui nous raconte la répression que lui-même et d’autres médias
alternatifs subissent de la part de l’État. La Haine, qui existe depuis
16 ans, se base essentiellement dans le Pays Basque et travaille avec
des mouvements sociaux, avec des mouvements anticapitalistes, en
relayant leurs luttes.
Propos recueillis par Philippe Alcoy
Tu peux nous raconter ton cas, ce qui s’est passé, de quoi on t’accuse ?
Il y a 2 ans et demi, dans le cadre de mon travail, j’ai été à Madrid
pour couvrir des manifestations, les « Marchas de la dignidad », et
l’une d’elles était contre la monarchie. Lors de cette manifestation la
police a empêché les gens de se rassembler, ils avaient une attitude
très hostile aussi bien contre la presse que contre les manifestants.
Finalement, la manifestation s’est dispersée.
Quand je partais avec ma compagne prendre la voiture, on a vu tout à
coup que la police était en train de pousser un groupe de personnes dont
des manifestants, des journalistes. On a donc décidé de nous rapprocher
pour voir ce qui se passait. Et là la police a commencé à pousser et à
frapper ma compagne. Je me suis alors interposé pour essayer d’arrêter
l’agression. Cela a été suffisant pour qu’un policier me courre après.
J’ai couru quelques mètres mais ils m’ont rattrapé et jeté par terre,
ils ont commencé à me frapper. Il y a eu un groupe de journalistes qui
sont venus filmer l’arrestation et ils ont aussi été brutalement
réprimés. On leur a cassé le matériel, l’un d’entre eux a perdu
conscience après un coup.
Ils ont chassé les journalistes et m’ont mis les menottes. J’avais un
œil gonflé par le coup qu’ils m’ont donné. Quand ils ont alors commencé
à m’amener au camion j’ai pu voir des journalistes qui filmaient et
j’ai crié « je suis journaliste de La Haine, c’est une arrestation
illégale ! ». La Haine c’est un site que la police connaît très bien.
Nous avons informé de beaucoup de leurs abus, de leur répression, au
cours de ces dernières années. Nous considérons que c’est qu’à partir de
ce moment que j’ai été dans leur viseur.
Vidéo de l’arrestation de Boro :
J’ai eu également deux autres procès après tout ça. L’un était aussi
lors de la couverture d’une manifestation à Pamplona (Pays Basque), mais
ce procès a été classé sans suite. Le troisième procès est lié à ce que
l’on appelle « l’opération Araignée ». Il s’agit d’une série
d’opérations policières qui ont été lancées contre les usagers des
réseaux sociaux (Twitter, Facebook) pour des commentaires et des posts
politiques. On est accusé « d’apologie du terrorisme » alors que la
plupart du temps il s’agit de commentaires sur l’actualité, en dénonçant
la brutalité policière.
Voilà un peu mon histoire, celle de mon média, et les deux procès
auxquels je fais face. Dans le premier procès on m’accuse d’avoir frappé
deux policiers, ce qui est complètement faux et d’ailleurs il y a de
nombreuses vidéos où l’on voit que c’est moi qui suis attaqué. On a
requis contre moi six ans d’emprisonnement et 6200 euros d’amende. Dans
le deuxième on a requis un an et huit mois de prison.
Ton affaire est-elle liée à un tournant répressif dans l’Etat Espagnol ?
En juillet de l’année dernière est entré en vigueur la loi
« Mordaza ». Il s’agit d’un ensemble de lois répressives qui visent tout
d’abord à arrêter les luttes que les mouvements sociaux mènent contre
l’austérité, contre les expulsions locatives ; puis à faire taire les
moyens de communication alternatifs ou anticapitalistes ; et enfin, le
troisième objectif c’est de limiter la liberté d’expression dans sa
conception la plus large.
Les deux procès que j’ai sont antérieurs à la Loi « Mordaza » mais
cette montée répressive a commencé depuis un moment. On voyait déjà que
la répression allait augmenter. Car toutes ces lois ont été votées dans
un contexte de mobilisations, du mouvement des « Indignés ».
Aujourd’hui, parfois, faire une blague liée à la politique peut te
conduire à des peines de prison. Il s’agit vraiment de limiter le droit à
l’information, que rien ne sorte de la ligne avec la laquelle ils
veulent traiter l’information. Avec ces lois on est aussi en train
d’ajouter à la répression physique la répression à travers des amendes
exorbitantes.
Vous avez mis en place une campagne de solidarité ? Comment on peut aider depuis la France ?
Nous lançons d’habitude des campagnes sur notre site web La Haine, en
principe pour nous financer, mais cette fois on a demandé une aide
spéciale car je dois payer des frais d’avocats, des voyages à Madrid,
etc. Donc à travers notre site web les gens peuvent aider
économiquement, pour qu’on puisse continuer à tenir le site et pour
faire face à cette répression.
Mais je pense que la meilleure solidarité est de continuer la lutte
aussi bien ici dans le Pays Basque, comme dans le reste de l’État
Espagnol, en France ou n’importe où dans le monde. Avec la France on a
en commun le fait que vous faites partie de l’UE qui veut aussi vous
imposer ses politiques néolibérales. Et un bon exemple de résistance a
été la lutte contre le Loi Travail au cours de laquelle il y a eu
beaucoup de mobilisations. Donc je pense que la meilleure solidarité
c’est de continuer la lutte contre le capitalisme et de prendre en
compte que dans tout la planète il y a des gens qui lutte contre le
capitalisme. Et diffuser les luttes c’est aussi un point d’appui pour la
solidarité.
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