Philippe Alcoy
Le T1 c’est l’un des pires moyens de transport de l’Île-de-France.
Pauvre moyen de transport. Moyen de transport pour les pauvres. Bondé
sans relâche. Cette fois, ce n’était pas une exception. Au milieu
d’anciens, d’adolescents, de malades, de gens fatigués – tous debout,
mais pas la nuit – une mélodie. Une langue étrangère. Une mélodie
solitaire. Dans cette grisaille ? Un fou ! Le tram s’arrête. Une foule
descend. Une autre foule monte. Le tram continue. À nouveau la mélodie.
Toujours solitaire. Toujours dans une langue étrangère. Toujours cette
sensation de folie au milieu de la normalité aigrie. Cette fois
j’aperçois l’artiste.
Le tram s’arrête à nouveau. Et à nouveau la mélodie.
Quelqu’un hurle en direction du musicien improvisé. Ils discutent fort
dans une langue que je n’arrive malheureusement pas à distinguer. Ils
sont, sans aucun doute, de quelque part dans la région
Inde-Pakistan-Bangladesh-Sri Lanka. Le ton monte. Trop. Je ne comprends
que « Pakistan » au milieu de cet échange. L’un s’énerve. Menace de
frappe. Il descend. Le chanteur reste dans le tram et dit quelque chose.
Non moins énervé. L’autre revient et essaye de le frapper, cette fois
pour de bon. Il lance un coup de poing et rate la cible. Mais il ne rate
pas la machine pour valider son ticket. Ça doit faire mal. Il lance un
coup de pied cette fois. Il touche à peine le chanteur qui s’énerve mais
ne répond pas.
Dans le tram, les gens regardent. Certains demandent d’arrêter la
bagarre. D’autres disent au chanteur de répondre. La situation se calme à
peine. Une femme, âgée de plus de 60 ans, aussi pauvre que les autres
passagers, maghrébine, voile sur la tête, s’indigne : « c’est les
Roumains [les rroms] ! Ils volent, ils frappent. Qu’est-ce que vous
voulez, on leur a laissé la porte ouverte ».
Je n’ai aucune idée de l’origine de ces deux personnes, ni de la
raison pour laquelle elles se sont disputées. Mais je sais au moins une
chose : elles n’étaient pas Rroms. Je sais peut-être une autre chose :
la propagande raciste, le racisme d’État, pénètre profondément dans la
population. Même parmi les plus pauvres. Même parmi certaines victimes
directes de ce racisme ambiant. L’heure est grave.
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